IVG aux Etats-Unis : quatre questions sur la décision de la Cour suprême, qui maintient temporairement l'accès à la pilule abortive
La Cour suprême des Etats-Unis a décidé, vendredi 21 avril, de maintenir temporairement l'accès à une pilule abortive, la mifépristone, utilisée pour plus de la moitié des interruptions volontaires de grossesse (IVG) dans le pays et prise par plus de cinq millions d'Américaines depuis près de vingt ans. Il s'agit de la première décision majeure de la haute cour à majorité conservatrice sur la question de l'avortement depuis le renversement de l'arrêt historique Roe contre Wade, qui a annulé la garantie constitutionnelle à l'IVG en juin 2022. Franceinfo répond à quatre questions pour décrypter ce que signifie cette annonce pour le droit à l'avortement outre-Atlantique.
1 Qu'a décidé la Cour suprême vendredi ?
À la suite de l'ordonnance de la Cour suprême, l'accès à la pilule abortive restera inchangé pour l'instant. Concrètement, avec cette décision rendue vendredi, les Américaines vont pouvoir recevoir par voie postale la mifépristone dans les Etats où l'IVG reste légale, et continuer à pouvoir l'utiliser jusqu'à dix semaines de grossesse, au lieu de sept si les restrictions décidées par des tribunaux inférieurs avaient été validées.
Cette décision de la Cour suprême ne devrait cependant pas influer grandement sur le sort des femmes qui souhaiteraient avorter dans la quinzaine d'Etats où l'avortement est déjà interdit, puisque la pilule abortive n'y est déjà officiellement plus disponible, même si des voies détournées pour s'en procurer se sont développées.
Pour rappel, le gouvernement fédéral avait saisi la haute cour en urgence pour faire suspendre des limitations d'accès à cette pilule abortive décidées par des juridictions d'échelons inférieurs. Avec cette décision, la Cour suprême suspend notamment l'ordonnance prise au Texas par Matthew Kacsmaryk. Ce juge fédéral, aux positions ultra-conservatrices et nommé par Donald Trump, avait retiré le 7 avril l'autorisation de mise sur le marché de la mifépristone dans tout le pays après avoir été saisi par des militants anti-avortement.
En dépit du consensus scientifique, ce magistrat avait estimé que ce médicament présentait des risques pour la santé des femmes. Le gouvernement fédéral de Joe Biden avait alors saisi en catastrophe la Cour suprême. Cette dernière avait temporairement maintenu, le 14 avril, l'accès à la pilule abortive, en suspendant la décision de la cour d'appel afin d'avoir plus de temps pour examiner le dossier.
Après la décision de son collègue au Texas, un juge fédéral siégeant dans l'Etat de Washington, nommé par Barack Obama, avait à son tour estimé que la mifépristone était "sûre et efficace" et avait interdit à la Food and drug administration (FDA), l'agence des médicaments américaine, de retirer l'agrément permettant sa mise à disposition dans 17 Etats ainsi que dans la capitale.
Une cour d'appel à la Nouvelle-Orléans, saisie par le gouvernement fédéral, avait ensuite permis, le 12 avril, que la pilule abortive reste autorisée, mais en limitant les facilités d'accès accordées par la FDA au fil des années. La Cour suprême pouvait, au choix, décider de suspendre les décisions des cours inférieures, les maintenir, s'emparer de l'affaire ou au contraire refuser de s'impliquer.
2 Pourquoi la haute cour américaine a-t-elle pris cette décision ?
La Cour suprême, dont six des neuf juges ont été nommés par des présidents républicains, est majoritairement conservatrice. Parmi ces neufs juges, seuls deux conservateurs, Clarence Thomas et Samuel Alito, ont pourtant fait savoir leur désaccord vendredi avec la décision prise à la majorité.
La haute cour n'a pas expliqué son raisonnement, ce qui est assez ordinaire dans les actions d'urgence, précise le Washington Post (article payant et en anglais).
Première piste d'explication : dans des affaires similaires, la Cour suprême a majoritairement suivi la FDA en matière de réglementation des médicaments. L'administration de Joe Biden et des entreprises pharmaceutiques craignaient également que la décision du juge fédéral texan, si elle avait été validée par la Cour suprême, puisse être étendue à de nombreux autres médicaments aux Etats-Unis. "Si cette décision devait être maintenue, alors il n'y aurait pratiquement aucune prescription approuvée par la FDA qui serait à l'abri de ce genre d'attaques politiques et idéologiques", avait déclaré Joe Biden dans un communiqué (en anglais) le 7 avril.
Cette décision de la Cour suprême pourrait par ailleurs permettre à l'institution de renforcer sa crédibilité auprès du public américain, alors qu'elle se trouve de plus en plus contestée pour ses différentes prises de positions conservatrices, note le média spécialisé Politico (en anglais).
3 Comment ont réagi les défenseurs du droit à l'avortement ?
A l'annonce de la décision de la Cour suprême, l'organisation de planning familial Planned Parenthood a jugé qu'il s'agissait d'une "bonne nouvelle", mais que "les faits restent les mêmes : l'accès à la mifépristone n'aurait jamais dû être menacé en premier lieu". Cette décision "n'efface pas le chaos, la confusion et la peur que cette affaire cherchait à susciter", a commenté Elisa Wells, fondatrice de Plan C, un réseau d'information sur les pilules abortives. "Et même si la mifépristone peut rester sur le marché pour l'instant, l'accès à l'avortement est toujours sévèrement et injustement restreint dans de nombreux Etats", a-t-elle rappelé dans un communiqué.
Joe Biden a promis quant à lui de continuer à se battre contre "les attaques politiques visant la santé des femmes". "Les enjeux ne pourraient pas être plus importants pour les femmes à travers l'Amérique", a-t-il ajouté.
4 Quelles sont les prochaines étapes de cette bataille judiciaire ?
La bataille judiciaire autour de la pilule abortive va se poursuivre dans les prochaines semaines. Le dossier n'a, en effet, pas été jugé sur le fond en deuxième instance. Une nouvelle audience devrait se tenir le 17 mai devant la cour d'appel de la Nouvelle-Orléans, connue pour son conservatisme. La décision reviendra ensuite très probablement devant la Cour suprême.
Le misoprostol, l'autre médicament administré avec la mifépristone pour une IVG médicamenteuse, peut-être utilisé seul, mais reste moins efficace et entraîne davantage d'effets secondaires. Une interdiction ou un durcissement des conditions d'accès à la mifépristone, à l'issue de cette bataille judiciaire, pourrait alors entraîner un important redéploiement des femmes vers des cliniques pour procéder à une IVG chirurgicale, ce qui provoquerait des difficultés à assurer tous les avortements à temps.
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