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Violences sexuelles dans le sport : "La honte doit changer de camp" pour Sébastien Boueilh, fondateur de l'association Colosse aux pieds d'argile

Violé par le mari de sa cousine alors qu'il était adolescent, l'ancien rugbyman Sébastien Boueilh a fondé l'association Colosse aux pieds d'argile en 2013. L'objectif : mieux lutter contre la pédocriminalité et le bizutage dans les milieux sportifs. Entretien.

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'ancien rugbyman Sébastien Boueilh, fondateur de l'association Colosse aux pieds d'argile, mène une action de prévention auprès d'enfants à Guérande (Loire-Atlantique), le 6 février 2019.  (MAXPPP)

Patinage, football, équitation... Depuis une semaine, d'accablants témoignages de violences sexuelles sur mineures se multiplient dans le milieu du sport. Un mouvement de libération de la parole inédit dans ce secteur, initié par la championne de patinage artistique Sarah Abitbol. Dans son livre Un si long silence (Plon), elle accuse son ancien entraîneur, Gilles Beyer, de l'avoir violée et agressée sexuellement de 1990 à 1992, quand elle avait 15 à 17 ans. 

Comment expliquer ce fléau des violences sexuelles dans le sport ? Pourquoi ces témoignages n'émergent-ils que maintenant, et faut-il y voir le #MeToo du milieu sportif ? Pour répondre à ces questions, franceinfo a interrogé Sébastien Boueilh, fondateur et directeur de Colosse aux pieds d'argile. Lui-même victime de viol pendant son adolescence, il a fondé cette association pour mieux lutter contre les risques de pédocriminalité et de bizutage dans les milieux sportifs. 

Franceinfo : Quelle a été votre réaction en voyant ces témoignages de violences sexuelles dans le sport ?

Sébastien Boueilh : Je ne suis pas étonné. Rien de tout cela ne me surprend. Cela fait un moment que je dis que la France va être touchée. Les Etats-Unis l'ont été, avec des témoignages dans le milieu de la gymnastique. L'Allemagne aussi, dans l'équitation. Nous avons alerté plusieurs fois pour dire que cela allait sortir. Nous savons par exemple que dans le judo et le volley-ball, il y a eu des actes condamnables, des viols. Ces témoignages auraient pu sortir bien avant si les victimes avaient été entendues. Les choses changent car leur parole est désormais prise en considération. 

Pensez-vous que d'autres témoignages de violences sexuelles dans plusieurs milieux sportifs vont émerger ? 

Oui, et ça a déjà commencé. Nous avons reçu [depuis le début de cette prise de parole] pas mal de témoignages, deux rien qu'aujourd'hui concernant l'équitation. Nous avons reçu également des témoignages concernant le football. A chaque fois, ces témoignages libèrent la parole. Il faut en parler, il faut que ça dure, la honte doit changer de camp. 

Quelles sont les particularités du sport qui peuvent expliquer ce fléau ? 

Le problème, c'est tout d'abord la relation entraîneur-entraîné, qui facilite les violences sexuelles. Il y a la proximité avec l'entraîneur, les parents qui lui font à 200% confiance et qui vont donc ne pas voir les signaux envoyés par leur enfant après des agressions sexuelles. Ces entraîneurs prédateurs sont de très bons manipulateurs : ils vont tenter de gagner la confiance des parents et de tous ceux qui gravitent autour de l'enfant, avant de s'en prendre à lui. Puis ils vont acheter leur silence. Nous avons vu des entraîneurs offrir des scooters, des ordinateurs à leurs victimes. 

Voyez-vous des similitudes avec l'ampleur de la pédocriminalité au sein de l'Eglise catholique ? 

Bien sûr, je pense notamment à l'affaire Barbarin. J'espère que Didier Gailhaguet [le président de la Fédération française des sports de glace] sera puni s'il s'avère qu'il était bien informé [des accusations visant l'entraîneur Gilles Beyer] et qu'il n'a rien signalé. Mais quand je vois que le cardinal Barbarin a été relaxé, je me dis qu'il faut que la justice intervienne davantage. 

Nous voyons les mêmes processus au sein de l'Eglise catholique, dans les milieux familiaux ou sportifs. Les prédateurs ne font rarement qu'une victime, et ce sont toujours les personnes les plus impliquées, les plus serviables, arrangeantes et disponibles autour de l'enfant. 

Certains sports sont-ils plus touchés que d'autres ? 

Les sports les plus touchés sont les disciplines où l'enfant est le plus dénudé. La gymnastique, la natation, l'athlétisme... Il y a aussi de nombreux problèmes dans l'équitation, dans le football également. Dans les sports collectifs, l'approche des prédateurs est différente. Les violences sont commises en dehors des structures, chez l'entraîneur, ou au cours de déplacements. Dans les sports individuels, il est très facile pour un prédateur de se retrouver seul avec un enfant. 

Les sports collectifs sont autant concernés que les sports individuels. L'année dernière, nous avons effectué 300 interventions [auprès de jeunes dans les milieux sportifs], et nous avions en moyenne deux victimes par intervention. Depuis la création de notre association, en 2013, nous avons reçu quelque 4 000 témoignages. Un quart d'entre eux concernent des violences en milieu sportif. 

Quel est le rôle joué par les institutions dans ces violences ?  

On déplace les gens, on déplace les problèmes. Mais les personnes déplaçant le problème plutôt que de le signaler multiplient les victimes. L'autre problème, c'est la question du filtrage des bénévoles. Nous avons alerté la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, sur cette problématique. Il n'y a pas de filtrage, de contrôle [judiciaire] prévu pour les bénévoles. Nous avons depuis réussi à faire une expérimentation au niveau du football, en Centre-Val de Loire. Les bénévoles y sont désormais filtrés. Le deuxième volet [bulletin n°2] de leur casier judiciaire est contrôlé [ce bulletin ne peut être délivré qu'à certaines administrations pour des motifs précis comme, par exemple, accéder à un emploi en contact avec des mineurs]. Souvent également, les témoignages n'arrivaient pas à la bonne personne. Ils se perdaient dans les méandres administratifs. 

Quelles ont été les réactions des fédérations quand vous avez tenté d'alerter sur ces sujets ?

La Fédération française de gymnastique était bien consciente des problèmes, tout comme celle de basket. Nous travaillons très bien avec elles. Il y a d'autres fédérations où nous n'avons pas été aussi bien accueillis. Nous savons très bien que ce sujet fait peur. J'espère que les choses vont changer. Depuis ces nouveaux témoignages, plusieurs fédérations nous ont contactés, comme celle de natation cette semaine. Nous sommes aussi en pourparlers avec le triathlon, le tennis, le handball... Ils veulent agir. Ils veulent sensibiliser les jeunes et les encadrants. Je dois également bientôt intervenir dans l'équitation.

Que représentent selon vous ces témoignages ? Est-ce le #MeToo du sport ?

Oui, nous sommes à un tournant et nous pouvons féliciter les victimes sortant du silence. L'omerta est en train de bouger. Il faut que les fédérations s'engagent, il faut profiter de cet élan, de cette libération de la parole pour éradiquer la pédocriminalité dans le sport.

Il va falloir aussi rajeunir les fédérations. Plusieurs d'entre elles sont toujours présidées par des "anciens", et à leur époque, cela se faisait de voir un entraîneur se doucher avec un jeune, ou un enfant se faire étrangler par un coach. Ils toléraient ça. Les fédérations doivent vivre avec leur temps. 

Comme le cinéma avec l'affaire Harvey Weinstein, le sport avait besoin de cette libération de la parole pour être assaini. A nous d'être réactifs dans ce combat et de ne pas se tromper de cible. Il ne s'agit pas de mettre tout le monde dans le même panier, de voir le mal partout. Mais la honte doit changer de camp. Je suis la preuve qu'on peut s'en sortir. Pour cela, il faut parler. 

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