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Témoignages "La jeune fille que j'étais il y a trois ans serait fière de moi" : portrait de deux jeunes décrocheurs qui ont trouvé leur voie pour mieux "raccrocher"

Chaque année, près de 100 000 jeunes décrocheurs sortent du système scolaire. La mission de l'association Afev est de les aider à "raccrocher" en trouvant leur voie, en obtenant un diplôme ou un contrat professionnel.

Article rédigé par franceinfo - Thomas Giraudeau
Radio France
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Temps de lecture : 6min
Grégory et Munevver ont tous les deux arrêté leurs études avant l'obtention de leur diplôme : en BTS pour l'une, en Bac Pro pour l'autre. Accompagnés par l'Afev, ils travaillent aujourd'hui dans des associations de Grande-Synthe (Nord), en CDD et en alternance.  (THOMAS GIRAUDEAU / RADIO FRANCE)

Sur son cahier, Munevver a soigneusement détaillé toutes les missions qu'elle a réalisé au sein de l'association FACE Flandre Maritime, dans laquelle elle travaille. Aider des habitants de l'agglomération de Dunkerque en grande difficulté, à remplir des papiers pour obtenir des aides de la CAF, des dossiers de sur-endettement auprès de la Banque de France, ou encore trouver des solutions en cas d'impayés de factures d'électricité.

Pourtant, Munevver n'aime pas prendre des notes. "J'apprends beaucoup plus sur le terrain, au contact des gens", résume la jeune femme. A 20 ans, elle vient de signer un contrat d'alternance de deux ans au sein de cette association de Grande-Synthe, dans le Nord.

Munevver a décroché en première année de BTS Métiers du commerce : "Ce n'était pas pour moi, je n'étais pas assez dans le concret, dans le feu de l'action". (THOMAS GIRAUDEAU / RADIO FRANCE)

"La jeune fille que j'étais il y a trois ans serait fière de moi, d'avoir trouvé ce que je voulais vraiment faire", sourit celle qui avoue ne jamais avoir été très scolaire. "Rester huit heures assise sur une chaise devant un tableau, très peu pour moi." Après son brevet, elle s'oriente vers un Bac Professionnel commerce et vente. Les cours l'ennuient, les stages beaucoup moins. Elle cravache pour décrocher son diplôme, et file en BTS Métiers du commerce. Munevver ne va pas au bout de la première année. Elle décroche. "Je n'étais pas la meilleure des élèves, on va pas se mentir... Ce n'était pas pour moi, je n'étais pas assez dans le concret, dans le feu de l'action", explique-t-elle.

Déterminée à acquérir des expériences, pour devenir éducatrice spécialisée, elle effectue un service civique, puis trouve une place en DEUST Intervention Sociale, à Dunkerque, une formation universitaire en alternance. Mais malgré 40 candidatures, elle ne trouve aucune association ou entreprise qui accepte de l'accueillir et de la former. Au pied du mur, elle contacte l'association Afev, qui l'intègre dans son programme Apprentis Solidaires. Durant six mois, à Grande-Synthe, avec d'autres décrocheurs, elle réalise des missions solidaires, travaille sur sa confiance en elle, passe de faux entretiens d'embauche, travaille son CV, ses lettres de motivation. "Tout pour être prêt au monde de l'emploi" selon elle. C'est dans ce cadre que Munevver entend parler de l'association FACE, postule et obtient son contrat en tant que médiatrice sociale.

Une "famille" qu'il ne quittera "jamais"

Grégory, lui, n'a pas seulement décroché un contrat avec l'Afev, mais aussi "retrouvé une famille, que je ne quitterais jamais", décrit celui qui a vécu de grandes difficultés personnelles. Le jeune homme commence à décrocher en 5e. "Rester assis en classe, subir des cours, ce n'était pas fait pour moi", décrit-il. Comme Munevver, il a besoin d'être actif. Après son brevet des collèges, Grégory part en CAP menuiserie. Il n'y passe qu'une année, les difficultés personnelles reviennent. En 2020, il arrive à Dunkerque et rentre dans une école de la deuxième chance. Un nouvel échec. "Trop de cours, et une formation trop longue" pour lui qui veut "travailler vite pour prendre [son] envol, [sa] vie en main". 

Il quitte l'école et contacte l'Afev, qui l'intègre dans son programme Apprentis Solidaires. Durant six mois, il travaille beaucoup sur sa confiance en lui, se remet à niveau en français et en maths. "A mon arrivée, j'étais réservé, dans mon coin", se rappelle-t-il. "Aujourd'hui, c'est complètement l'inverse, je parle à tout le monde".

Grâce à l'Afev, Grégory a signé un CDD de trois ans dans une association solidaire : "Je suis quelqu'un qui a besoin d'aider, de faire attention aux gens, de me sentir utile." (THOMAS GIRAUDEAU / RADIO FRANCE)

Durant l'une de ses missions solidaires, il aide le fondateur d'une association à trier des dons de vêtements, de sacs de couchage à destination de l'Ukraine : c'est lui qui l'embauche, quelques mois plus tard. Grégory a signé en juillet un CDD de trois ans. Il fait des maraudes, toutes les nuits, à la rencontre des sans-abris et des migrants qui veulent traverser la Manche et se rendre en Angleterre. Un investissement logique pour lui. "J'ai eu du mal dans ma vie, j'aurais aimé que des personnes me tendent la main, indique-t-il. Alors aujourd'hui, je le fais. Je suis quelqu'un qui a besoin d'aider, de faire attention aux gens, de me sentir utile." Grégory s'est même réconcilié avec l'école : il ambitionne de suivre une formation, théorique et pratique, pour, à son tour, accompagner des jeunes en grande difficulté.

"Donner un cadre, du sens"

Des jeunes comme Grégory et Munevver, Fatima Aaross en a aidé des dizaines depuis trois ans. Ils sont fragilisés, par leur parcours scolaire. Avec, parfois, "des histoires de vies difficiles à entendre, et nous les raccrochons par le lien social, des actions solidaires, afin de leur donner un cadre, du sens, se sentir utile". La manager du projet Apprentis Solidaires à Grande-Synthe voit dans l'apprentissage, l'alternance le type de formation le plus adapté à ces jeunes en situation d'échec scolaire et/ou de décrochage. "Ils ont une histoire compliquée avec l'Education nationale, explique-t-elle. Pour certains, l'école est une souffrance. Ils ont subi du harcèlement. Là, en étant la majeure partie de leur temps en entreprise, ou dans une association, cela leur permet de dédramatiser." De plus, "ce sont des jeunes qui veulent travailler, avoir une rentrée d'argent rapide pour être autonome. Travailler est leur manière à eux de se sentir reconnu dans la société, comme citoyen. Et ils se disent aussi qu'ils pourront se voir proposer un CDI."

Fatima Aaross encadre les jeunes en décrochage bénéficiant du programme Apprentis Solidaires. "Ma plus grande fierté, c'est quand ils reviennent nous voir après avoir obtenu un emploi", explique-t-elle. (THOMAS GIRAUDEAU / RADIO FRANCE)

Certains des plus anciens jeunes accompagnés, de la promotion 2020, ont en effet décroché un contrat stable. Sur les 21, 15 sont "sortis positivement", mais "certains ne sont pas allés au bout de notre accompagnement car leurs histoires, leurs difficultés personnelles sont encore trop fortes, trop compliquées", reconnaît-elle. L'association Afev va doubler le nombre de jeunes accompagnés en 2022, passant de 200 à 400 personnes aidées partout en France.

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