Universités : pourquoi les lycéens ne protestent pas contre la réforme de l'accès à la fac, qui les concerne directement
Pour l'instant, les manifestations contre la loi sur les nouvelles modalités d'accès à l'université n'ont pas gagné les lycées.
Assemblées générales, établissements bloqués, examens reportés... La contestation contre la réforme de l'accès à l'université ne faiblit pas dans les facs. Le mouvement peut-il encore s'étendre ? Force est de constater que les étudiants peinent à mobiliser les lycéens, qui sont pourtant concernés au premier chef. Comme le prévoit la loi adoptée début mars, ces derniers verront désormais leurs vœux d'orientation examinés par une commission quand les filières demandées sont en tension. Objectif : évaluer "leurs acquis" et "leurs compétences". Si ceux-ci ne répondent pas aux "attendus requis" pour suivre telle ou telle licence, le bachelier devra se soumettre à un "parcours pédagogique spécifique".
"On ne peut être que frappé par l'absence remarquable des lycéens lors des journées de mobilisation des mois de février et de mars, notamment des élèves inscrits en classe de terminale, qui sont directement concernés par ce changement des règles", relève dans une tribune publiée par Le Monde Hugo Melchior, doctorant en histoire à l'université de Rennes 2 et ancien militant de la Ligue communiste révolutionnaire et du syndicat Sud Etudiant. Comment expliquer cette faible mobilisation des quelque 660 000 futurs bacheliers inscrits sur Parcoursup ? Elements d'explication.
Parce que le tirage au sort a été supprimé
Pour expliquer la faible implication des lycéens dans le mouvement actuel, Hugo Melchior cite notamment le soulagement de voir que le tirage au sort pour l'accès à certaines filières universitaires a été supprimé.
Fin décembre, le Conseil d'Etat a décidé d'annuler la circulaire autorisant cette pratique dans les filières universitaires les plus demandées, donnant raison aux associations SOS Éducation, Promotion et défense des étudiants et Droits des lycéens. Le gouvernement a entériné cette décision dans sa réforme. "La nouvelle procédure, qui passera par la plateforme Parcoursup, exclut tout recours au tirage au sort", a rappelé la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal.
Parce que le baccalauréat approche
Les syndicats de lycéens reconnaissent avoir du mal à mobiliser les élèves de terminale alors que le bac approche. "Contrairement aux étudiants, ils ne sont pas assez émancipés pour bloquer leurs lycées, rater des jours de cours et monter dans les grosses villes pour manifester", souligne à franceinfo Thomas Le Corre, porte-parole du Syndicat général des lycéens (majoritaire).
Au-delà du baccalauréat, les lycéens savent que leurs performances pendant l'année de terminale, notamment, détermineront en partie leur entrée dans l'enseignement supérieur. "Chaque lycéen, autoentrepreneur de son parcours scolaire, doit faire en sorte de se faire recruter par une formation", souligne dans Libération Julie Le Mazier, docteur en science politique. De quoi réfléchir à deux fois avant de sécher les cours.
Parce que le gouvernement soigne sa com'
Comme l'observe Hugo Melchior, "les lycéens ont joué le jeu de Parcoursup en saisissant sur la plateforme leurs vœux, comme le gouvernement le leur enjoignait (...). Aucune crise du consentement, aucune rupture d'allégeance." Thomas Le Corre y voit l'efficacité du gouvernement en matière de communication autour de la réforme. "Il a été très bon sur ce point, en réalisant notamment des fiches pour expliquer à quel point Parcoursup était génial", ironise-t-il.
"On ne peut pas rivaliser avec nos tracts", abonde Nathan Le Potier, secrétaire général du syndicat de lycéens UNL-SD. Avec "50 000 euros annuels" de budget, "on n'a pas les mêmes moyens, même si on pallie avec les réseaux sociaux", ajoute-t-il. "A une période, on entendait Jean-Michel Blanquer [le ministre de l'Education nationale] tous les jours à la radio ou à la télévision, alors que le début de mobilisation des lycéens, en janvier, a été sous-médiatisé", regrette-t-il encore.
Parce que les lycéens n'évaluent pas encore les conséquences de la réforme
Communication ou pas, les lycéens n'avaient pas hésité à descendre en masse dans la rue en décembre 1986 pour protester contre un projet de loi qui visait à instaurer la sélection à l'université. "Contrairement à 1986, il n'est pas question d'augmentation des frais d'inscription, ni de remise en cause du caractère national des diplômes", relève Hugo Melchior dans sa tribune publiée par Le Monde. "Pour un certain nombre, cette réforme est source d'inquiétude, mais est considérée comme un progrès. Et ceux qui y voient une vraie régression ne se mobilisent pas pour autant", ajoute-t-il auprès de l'AFP.
"On essaie de les sensibiliser et de leur faire comprendre que beaucoup sont en danger pour la suite. Mais ils ne mesurent pas encore les conséquences de la réforme", explique Thomas Le Corre pour le Syndicat général des lycéens. Quand une majorité d'élèves n'obtiendront pas l'orientation souhaitée en fin d'année, ils vont réaliser." "Quand les lycéens se verront refuser l'accès à une filière, ils se mobiliseront", abonde Nathan Le Potier, de l'UNL-SD.
Parce que les dernières manifestations ont échoué
Selon le juriste et politologue Rubi Morder, cette faible mobilisation des lycéens dans la rue peut s'expliquer par le relatif échec des manifestations contre la réforme du Code du travail à l'automne 2017. Hugo Melchior, qui a justement manifesté contre les lois Travail, pointe également "l'intransigeance supposée du gouvernement" et "le caractère estimé vain des manifestations de rue" comme facteurs de démobilisation. Il évoque également la "pénurie de militants politiques" dans les lycées. "C'est vrai qu'il y a une perte de vitesse du milieu associatif et syndical, les jeunes s'engagent moins", concède Marouane Majrar, porte-parole de la FIDL. Mais "les lycéens se sont pas mal mobilisés en début d'année. Après, il y a eu le neige et les vacances puis les étudiants ont pris le relais. Ils ont laissé faire les facs."
Si le mouvement lycéen s'est essoufflé rapidement, les syndicats comptent bien le relancer après les vacances d'avril, en organisant une grande journée de mobilisation. "Si ça ne marche pas, on prendra nos responsabilités, mais on ne lâchera pas", prévient Nathan Le Potier.
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