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Démarches administratives : le numérique doit rester "une offre supplémentaire", préconise la Défenseure des droits

La dématérialisation des services publics "ne doit pas se substituer au papier ou au téléphone", estime Claire Hédon qui pointe dans un rapport les difficultés de certains publics face au numérique.

Article rédigé par franceinfo
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La Défenseure des droits Claire Hedon lors de la cérémonie nationale de commémoration d'Hubert Germain à l'Hôtel des Invalides à Paris, le 15 octobre 2021. (LUDOVIC MARIN / POOL / AFP)

"La dématérialisation c'est une chance pour un grand nombre de personnes parce que cela simplifie les démarches, mais ce n'est pas une chance pour tout le monde", constate Claire Hédon, mercredi 16 février sur France Inter. Dans son rapport publié la veille, elle pointe du doigt les inégalités d'accès aux services publics que crée la dématérialisation des démarches. "ll y a un certain nombre de personnes pour qui ça complique la vie, pour qui les démarches deviennent un obstacle", a-t-elle poursuivi. Cette dématérialisation ne doit pas se substituer au papier ou au téléphone, mais rester "une offre supplémentaire".

"La situation est en train de s'aggraver pour certaines personnes, des personnes âgées mais aussi des jeunes", alerte la Défenseure des droits. En 2019, son prédécesseur Jacques Toubon alertait sur les risques et dérives liés à la généralisation de la dématérialisation des démarches administratives. Si les autorités publiques semblent avoir été sensibles aux constats faits il y a trois ans, la Défenseure des droits Claire Hédon constate que "le nombre d'alertes et de réclamations liées à la dématérialisation ne fléchit pas".

Treize millions de personnes en difficulté avec le numérique

Tous les ans, plus de 80% des réclamations adressées à l'institution concernent les difficultés liées aux services publics. Selon le rapport, près d'un Français sur quatre exprime le sentiment de vivre dans un territoire délaissé par les pouvoirs publics. "Chaque jour, des usagères et des usagers sont confrontés à l'impossibilité de faire aboutir une démarche administrative, se heurtent à une absence de réponse, peinent à contacter un interlocuteur ou trouvent porte close." Comme en 2019, 13 millions de personnes sont en difficulté avec le numérique dans notre pays et sont "les laissés pour compte de la dématérialisation."  Claire Hédon évoque une "hausse de 15% des réclamations". Une personne sur 5 n'a pas d'ordinateur chez elle, ni de tablette, et un jeune sur 4, âgé de 18 à 24 ans, dit avoir du mal à faire des démarches en ligne et donc "du mal à accéder à ses droits".

Comme il y a trois ans, la Défenseure des droits pointe les difficultés spécifiques que rencontrent certains publics. Ainsi, les majeurs protégés et les personnes détenues n'ont pas vu leur situation s'améliorer. Les personnes étrangères sont encore plus massivement empêchées d'accomplir leurs démarches. Les personnes âgées, encore souvent éloignées du numérique, les jeunes, moins à l'aise qu'on ne le croit avec l'administration dématérialisée, et les personnes handicapées, qui n'ont toujours pas affaire à des services publics accessibles, rencontrent aussi d'importantes difficultés.

Le rapport souligne que les démarches numériques apparaissent comme un obstacle parfois insurmontable pour les personnes en situation de précarité sociale. "Je pense également qu'on pourrait réfléchir à simplifier les sites internet des services publics et réfléchir à un droit à la connexion, car se connecter à Internet est indispensable", déclare Claire Hédon. Le pass numérique qui vise à former le plus de monde au numérique est "indispensable", de l'avis de la Défenseure des droits, "mais ce n'est pas suffisant". Sur la base de 15 à 20h de formation, "les personnes ont besoin de plus d'heures", a-t-elle estimé, précisant que seuls 100 000 pass ont été utilisés "sur les 600 000 distribués".

Des lacunes concernant les procédures

L'institution estime également que la qualité des sites et des procédures dématérialisées souffre toujours de lacunes considérables. Certaines personnes qui, auparavant, étaient en mesure de réaliser leurs démarches seules ne le sont plus. "Les effets de la dématérialisation nous concernent toutes et tous", affirme la Défenseure, car "chacun un jour, peut rencontrer un blocage incompréhensible face à un formulaire en ligne". Selon elle, on fait reposer "sur les épaules de l'usager ou de ses aidants la charge et la responsabilité du bon fonctionnement de la procédure."

"On demande en réalité aux usagers de faire plus pour que l'administration fasse moins et économise des ressources."

La Défenseure des droits

à franceinfo

Cette dématérialisation porte "atteinte au principe d'égal accès au service public", estime le rapport, et met "en danger notre cohésion sociale, notre sentiment d'appartenance commun, et fait courir le risque d'un affaiblissement de la participation démocratique, dans toutes ses dimensions." 

Le problème, pour la Défenseure des droits, n'est pas tant la dématérialisation que le fait qu'on "n'arrive plus à joindre personne dans les services publics". En guise d'exemple, elle a rappelé que la démarche pour le dispositif "Maprimerénov", qui s'adresse plutôt à un public défavorisé, "ne peut se faire que sur internet". "Ce que l'on préconise, c'est qu'elle doit pouvoir se faire sur internet et en version papier avec la possibilité de pouvoir rencontrer quelqu'un", a insisté Claire Hédon. "On a pensé faire plus d'économies en fermant des guichets, l'erreur est là", a-t-elle déploré, tout en proposant "d'arrêter de fermer" les guichets d'accueil et de mettre en place "des numéros d'appel gratuits, non surtaxés".

La Défenseure des droits propose de "renverser la perspective, et d'offrir aux usagers la possibilité de choisir réellement leurs modes d'interaction avec les administrations afin que le service public s'adapte aux besoins et aux réalités des usagers et non l'inverse". Elle entend "revenir aux fondements du service public". Ainsi, la dématérialisation des procédures administratives "s'inscrirait comme une offre supplémentaire et non substitutive au guichet, au courrier papier ou au téléphone". Cela permettrait de penser l'organisation du service public "non pas à partir des attentes et des priorités des administrations, mais à partir de la situation réelle des gens, qui doit être reconnue et prise en compte, dans toute sa complexité."

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