Qui fleurit encore la tombe de Robert Brasillach, figure de l'antisémitisme français ?
A quelques jours des rassemblements contre l'antisémitisme, franceinfo s'est intéressé aux admirateurs de cet auteur et journaliste pro-nazi, qui se retrouvent dans le cimetière de Charonne, dans le 20e arrondissement de Paris.
L'école est finie, le soleil décline. Dans le 20e arrondissement de Paris, lundi 18 février, des élèves rentrent chez eux en coupant par le petit cimetière de Charonne. Une petite fille et sa mère cherchent Grisou, le chat qui rôde dans ce lieu encerclé par quelques immeubles d'habitation. Une retraitée s'arrête devant la pierre tombale de la famille Malraux. Mais ce jour-là, personne ne s'attarde sur une tombe qui se trouve le long de la courte allée principale : celle de Robert Brasillach, figure de l'antisémitisme français et collaborationniste, qui a été fusillé le 6 février 1945.
Cela ne signifie pas que la sépulture de cet écrivain et journaliste de l'hebdomadaire Je suis partout est à l'abandon. Au contraire, sa tombe et celle de son beau-frère Maurice Bardèche, connu pour être le premier négationniste français, sont parmi les plus fleuries et les plus entretenues du cimetière.
Le lieu est devenu un point de ralliement pour certains antisémites français, des individus au cœur des préoccupations des autorités quelques jours après les rassemblements contre l'antisémitisme et l'annonce de la hausse de 74% des actes antisémites en France en 2018.
Une cérémonie d'hommage chaque année
Sur la tombe de Robert Brasillach se trouvent notamment des fleurs blanches à peine flétries et un ruban tricolore dénoué. L'ensemble a été déposé, le 9 février, lors d'une cérémonie à la mémoire de l'auteur pro-nazi, qui a notamment écrit "il faut se débarrasser des Juifs en bloc et ne pas garder les petits". Yvan Benedetti, ancien président de L'Œuvre française, groupe pétainiste dissous en 2013 après la mort de Clément Méric, a participé à ce rassemblement qui a lieu chaque année, pour célébrer l'anniversaire de la mort de l'auteur.
"C'est le sang du poète qui nourrit, aujourd'hui, nos aspirations, ce sang qui rend fort, qui ordonne alors que l'honneur nous conduit, cette sève dans laquelle chaque nationaliste puise la volonté de se battre..."
— YVAN BENEDETTI (@Yvan_Benedetti) February 9, 2019
Robert Brasillach ? Présent !
Cimetière de Charonne- 9fevrier2019 pic.twitter.com/mLHrGceT4x
Le porte-parole du Parti nationaliste français, également directeur du site d'extrême droite Jeune Nation, est un habitué de cet hommage. Il dit à franceinfo y participer depuis au moins trente ans. Mais celui qui s'était lui-même présenté, en 2011, comme "antisioniste, antisémite et anti-juif", n'est pas l'organisateur de l'événement. C'est le Cercle franco-hispanique qui est à l'origine de l'initiative. Ce dernier a été fondé par Olivier Grimaldi et son épouse, en 1982, pour la défense et le souvenir du phalangisme espagnol. Hélène Grimaldi poursuit les activités de son mari mort en mars 2014, et les fleurissements perdurent. Contactée par franceinfo, elle n'a pas donné suite à nos sollicitations.
Parmi les habitués, il y a également Pierre Sidos, 92 ans. Il dit y participer depuis 1952. Ce fils d'un collaborateur fusillé à la Libération a fondé L'Œuvre française, en 1968. Il est présenté par la revue Charles (article payant) comme "un personnage aussi secret qu'important de l'extrême droite française", et comme "le mentor" d'hommes politiques de la droite traditionnelle comme Gérard Longuet, Alain Madelin et Patrick Devedjian.
Prières et chant militaire
D'après les images disponibles en ligne, entre trente et quarante personnes ont participé cette année au rassemblement au cimetière de Charonne. Des visages plus jeunes étaient présents, à l'image d'une militante qui se présente sur Twitter comme "catholique et nationaliste convaincue, amoureuse de sa patrie charnelle".
Hommage aux morts du 6 février 34 ! Avec le Cercle Franco Hispanique et @JeuneNation
— Zelea ن (@Loup_Augier) February 9, 2019
Avec M. Pierre Sidos & @Yvan_Benedetti pic.twitter.com/pUH09UWApn
Peu après le rassemblement, lors d'une manifestation des "gilets jaunes" près de l'Arc de Triomphe, cette militante a été prise en photo en train de faire une quenelle, le geste controversé popularisé par le polémiste Dieudonné, et considéré comme antisémite.
#ActeXIII #GiletsJaunes pic.twitter.com/gdg4rC2nk4
— Zelea ن (@Loup_Augier) February 9, 2019
>> Comment l'ultradroite tente de noyauter le mouvement des "gilets jaunes"
Florian Rouanet est un autre représentant de la jeune génération. Né en 1990, il se présente sur Facebook comme "conférencier", "militant catholique et nationaliste". Il n'a pas souhaité répondre aux questions de franceinfo, tout en précisant ne pas s'être rendu au dernier rassemblement en date. Mais il y était en 2015. Le groupuscule Paris nationaliste, qu'il a lancé, a posté sur internet une vidéo montrant l'intégralité de cette cérémonie. On y voit les participants, dont Hélène Grimaldi, Florian Rouanet et Yvan Benedetti, enchaîner les discours et réciter des prières catholiques. La minute de silence étant considérée comme "d'origine maçonnique", ils effectuent un "appel des morts" : "Robert Brasillach" est ainsi crié, ce à quoi l'assistance répond "Présent". Enfin, ils entonnent le chant militaire La Cavalcade, coutumier des parachutistes et des légionnaires, pour clore la cérémonie.
Ce jour-là, dans son discours, Florian Rouanet rend hommage à Robert Brasillach en faisant l'apologie du fascisme : "Nous ne faisons pas confiance au peuple en politique. (...) La volonté populaire n'est pas bonne, contrairement à ce que pourrait déblatérer Rousseau." Une fascination pour le fascisme qui se retrouve sur son profil VK, le principal réseau social russe. Il y partage des portraits de Benito Mussolini, des images de croix gammée, ou encore un photomontage d'Adolf Hitler faisant le salut nazi avec la mention "Bon anniversaire tonton !" Aujourd'hui, Florian Rouanet réalise, en vidéo, des entretiens mensuels lors desquels il interroge Jérôme Bourbon, directeur de l'hebdomadaire d'extrême droite Rivarol, dont le compte Twitter a été suspendu, le 18 février, pour un message antisémite.
Alexandre Gabriac, exclu du Rassemblement national (ex-FN) pour une photographie le montrant en train de faire le salut nazi, aujourd'hui militant du mouvement catholique traditionaliste Civitas, s'est également rendu au cimetière de Charonne, en 2014.
Martyr des nationalistes
Le fleurissement de la tombe de Robert Brasillach est devenu une manifestation importante pour certains, car le personnage est aujourd'hui un symbole. En cause : son procès aussi expéditif que polémique et son exécution malgré l'appel d'intellectuels, tels Albert Camus, Paul Valéry ou encore Jean Cocteau, réclamant sa grâce, comme le rappelait Télérama en 2010. "Robert Brasillach et son sacrifice font partie des racines profondes du nationalisme français", déclare Yvan Benedetti à franceinfo.
"L'exécution d'un homme pour ses écrits, ce n'est pas très glorieux pour la République française, résume auprès de franceinfo Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l'extrême droite. Donc, c'est pratique pour l'extrême droite et il est normal qu'elle mette cela en avant." Annie Lacroix-Riz, historienne émérite à l'université Paris 7, estime que si Robert Brasillach a pris une place majeure dans certains milieux, c'est d'abord parce qu'il a été fusillé. Selon elle, il est présenté "comme exceptionnel alors que ses idées étaient partagées par beaucoup de monde dans l'entre-deux-guerres". Pour la chercheuse, il n'est que la pierre de touche de la "haine antisémite et de la haine des 'métèques' qu'il y avait à cette époque", un élément représentatif de la "xénophobie généralisée" de la France des années 1930.
Pour les admirateurs de Brasillach, la date du 6 février n'est pas seulement l'anniversaire de sa mort. Elle est aussi l'occasion de célébrer le soir du 6 février 1934, qu'ils considèrent comme "le solstice de la nation". Ce jour-là, à Paris, des membres des ligues d'extrême droite ont tenté de mener un putsch, sans succès.
"Tout ça est miniature"
En réalité, ces célébrations ne concernent qu'un nombre très limité de personnes. "Ce sont les néofascistes, qui ont une fibre européenne et très sociale", éclaire Nicolas Lebourg. Leur credo : "un tiers d'Hitler, un tiers de Mussolini et un tiers d'affirmation blanche", synthétise le spécialiste. Et de commenter : "Tout ça est miniature."
Chez les néofascistes, si vous êtes suivi par 100 personnes, vous êtes un gros acteur. A 150, vous êtes incontournable dans le paysage. A 200, vous êtes le roi du pétrole.
Nicolas Lebourg, spécialiste de l'extrême droiteà franceinfo
Mais, à leurs yeux, le nombre importe peu. "Nous ne faisons pas de publicité autour de cet hommage qui réunit essentiellement la famille et les proches", explique à franceinfo l'association des Amis de Robert Brasillach. "On ne cherche pas à avoir de grandes foules. Dans le combat pour la France, cet hommage est la braise qui continue à luire dans l'âtre de la cheminée", explique Yvan Benedetti, le leader du Parti nationaliste français, à franceinfo. "Pour eux, ce qui compte, c'est la transmission de la flamme, une image qui revient très souvent dans l'extrême droite", remarque Nicolas Lebourg.
Surveillance policière
En attendant, le fleurissement de la tombe de Robert Brasillach est dans le viseur des forces de l'ordre. Le père Rémi Griveaux de l'église de Charonne, qui dit à franceinfo ne pas avoir été en contact avec les admirateurs de l'auteur, évoque une "surveillance policière" lors des rassemblements, sans davantage de détails. "Chaque année, il y a des policiers. Le dispositif est plus ou moins voyant, plus ou moins important. Cette année, je ne les ai pas vus", affirme Yvan Benedetti, remarquant que les forces de l'ordre n'ont jamais empêché la tenue de la cérémonie. Sollicitée, la préfecture de police de Paris n'a pas été en mesure de répondre aux questions de franceinfo sur le dispositif déployé.
De son côté, la ville de Paris assure que le plan sur papier du cimetière de Charonne sera changé "dans les semaines qui viennent". Ce plan indique clairement l'emplacement de la tombe de Robert Brasillach, en tant que "l'une des sépultures des personnalités les plus demandées".
La ville de Paris explique à franceinfo que "les plans des cimetières signalant les tombes de personnalités publiques sont souvent anciens. Lors de leur conception, ces plans étaient destinés à orienter des personnes. Ils témoignent de l'histoire de Paris et n'ont pas pour objet de faire l'apologie des défunts." Mais effacer des plans les tombes de personnalités antisémites ne suffira pas à les faire tomber, elles et leurs idées, dans l'oubli.
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