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Procès de Nicolas Sarkozy : l'article à lire pour comprendre l'affaire des "écoutes"

L'ancien président a été reconnu coupable de "corruption" et "trafic d'influence". Les juges le soupçonnaient notamment d'avoir tenté d'obtenir auprès d'un magistrat des informations secrètes sur une autre affaire le concernant.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 18min
Nicolas Sarkozy répond à des journalistes, le 24 juillet 2020, à Ajaccio, en Corse. (PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP)

Nicolas Sarkozy a été jugé coupable dans "l'affaire des écoutes", également connue sous le nom d'"affaire Paul Bismuth". L'ancien chef de l'Etat a été condamné, lundi 1er mars, à trois ans d'emprisonnement, dont un ferme, pour "corruption" et "trafic d'influence", dans cette affaire née en 2014 d'interceptions téléphoniques avec son avocat historique Thierry Herzog. Le tribunal correctionnel a estimé qu'un "pacte de corruption" avait été conclu entre l'ex-président, aujourd'hui âgé de 66 ans, Thierry Herzog et l'ancien haut magistrat Gilbert Azibert, tous deux condamnés également à trois ans de prison dont un ferme. Il s'agissait du premier procès pour "corruption" d'un ancien président de la Ve République. Si vous n'avez rien suivi à cette affaire, franceinfo vous aide à y voir plus clair.

A noter que cet article a été publié au moment de l'ouverture du procès, en novembre 2020. 

Pourquoi Nicolas Sarkozy se retrouve-t-il au tribunal ?

Tout commence à la fin de l'année 2013. A l'époque, les juges décident de mettre sur écoute l'ancien président de la République dans le cadre d'une enquête sur un possible financement libyen de la campagne présidentielle de 2007. Deux téléphones portables sont alors visés par Serge Tournaire, juge d'instruction au pôle financier du TGI de Paris. Mais le magistrat comprend rapidement que Nicolas Sarkozy utilise une autre ligne pour communiquer. Il découvre l'existence d'une puce prépayée "SFR la carte" et met sur écoute ce nouveau téléphone en janvier 2014. Les écoutes vont alors mettre les enquêteurs sur une autre piste, loin de Tripoli.

Nicolas Sarkozy utilise cette ligne pour converser principalement avec son avocat, Thierry Herzog. Les deux hommes semblent très préoccupés par une décision attendue à la Cour de cassation, concernant les agendas de l'ancien président de la République saisis dans le cadre de l'affaire Bettencourt (pour mémoire, Nicolas Sarkozy était poursuivi pour "abus de faiblesse" sur la personne de Liliane Bettencourt). Après avoir bénéficié d'un non-lieu dans cette affaire, l'ancien chef de l'Etat décide de maintenir son pourvoi car il ne souhaite pas voir les informations contenues dans ces agendas présidentiels réapparaître dans d'autres dossiers. "Le seul intérêt d'une cassation éventuelle était d'essayer d'interdire l'utilisation de ces agendas dans d'autres procédures, et notamment dans la procédure Tapie", confirme Hervé Témime, qui a été l'avocat de Bernard Tapie, dans son livre Secret défense (Gallimard, 2020). 

Dans ce contexte, les juges découvrent lors des écoutes que Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog semblent obtenir des informations sur la procédure de cassation en cours de la part d'un certain Gilbert Azibert, premier avocat général près la Cour de cassation. Il est aussi rapidement question, au début du mois de février 2014, d'un service que l'ancien président de la République pourrait rendre à "Gilbert". "Il m'a parlé d'un truc sur Monaco", déclare ainsi Thierry Herzog lors d'une conversation retranscrite par les magistrats dans l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. La justice soupçonne donc Nicolas Sarkozy et son avocat d'avoir cherché à obtenir des informations, et même d'avoir tenté d'influencer la décision de la Cour de cassation en leur faveur via l'intervention de Gilbert Azibert, en échange d'une aide pour l'obtention d'un poste au Conseil d'Etat à Monaco.

Dans son réquisitoire publié en octobre 2017, le Parquet national financier (PNF) estime donc qu'il "existe des charges suffisantes à l'encontre de Nicolas Sarkozy et de Thierry Herzog" et dénonce des méthodes dignes de "délinquants chevronnés". Pour rappel, le trafic d'influence consiste, pour une personne dépositaire de l'autorité publique, à solliciter ou à accepter un avantage en échange d'un acte que lui permet sa fonction, ou en échange de son influence, "réelle ou supposée", sur une décision. La corruption passive est le fait pour une personne de se laisser "acheter" pour accomplir ou ne pas accomplir un acte de sa fonction. La corruption active est le fait pour une personne de rémunérer l'accomplissement ou le non-accomplissement d'un tel acte.

Qui sont les autres personnes jugées avec lui ?

En plus de Nicolas Sarkozy, deux hommes sont donc attendus à la barre. Thierry Herzog, l'avocat de l'ancien président et son ami depuis 40 ans, et le magistrat Gilbert Azibert devront également répondre des chefs d'accusation de "corruption" et "trafic d'influence". Les deux hommes sont également poursuivis pour "violation du secret de l'instruction". 

Thierry Herzog parle à la presse à la sortie du tribunal, le 7 mars 2017, à Paris. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Thierry Herzog, 65 ans comme Nicolas Sarkozy, est inscrit au barreau de Paris. Il s'est spécialisé au fil du temps dans la défense de personnalités politiques mises en cause dans des affaires politico-financières. Outre Nicolas Sarkozy, il a ainsi défendu Jean et Xavière Tiberi dans l'affaire des HLM de Paris et dans celle des faux électeurs du 5e arrondissement. Gilbert Azibert, 73 ans, était premier avocat général à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation au moment des faits, après avoir été notamment directeur de l'Ecole nationale de la magistrature et procureur général près la cour d'appel de Bordeaux. Il a pris sa retraite en 2014.

Mais qui est donc ce Paul Bismuth ?

L'affaire dite des "écoutes" a parfois aussi été appelée "affaire Paul Bismuth". C'est le nom choisi par Thierry Herzog pour la ligne utilisant une puce prépayée attribuée à Nicolas Sarkozy afin de pouvoir discuter sereinement avec son conseil. L'avocat a emprunté ce patronyme en référence à un ancien camarade de classe.

Thierry Herzog a expliqué à la justice qu'il avait acquis des téléphones portables afin d'éviter des écoutes "sauvages" qui auraient pu viser Nicolas Sarkozy après son départ de l'Elysée. "Vous pouvez facilement imaginer qu'il aurait pu être mis en place des officines pour tenter d'intercepter ses communications", a ainsi déclaré l'avocat aux juges. Il souhaitait ainsi pouvoir s'entretenir de manière confidentielle avec son client. Mais certains dialogues révélés par les écoutes montrent qu'il se méfiait aussi des écoutes judiciaires. Nicolas Sarkozy évoque dans une conversation "les juges qui écoutent"

Que contiennent exactement ces écoutes recueillies par la justice ?

La justice n'a pas retranscrit l'intégralité des conversations entre Nicolas Sarkozy et son avocat, mais s'est concentrée sur les éléments qui pouvaient prouver la tentative de corruption et le trafic d'influence. Les écoutes montrent le travail qu'aurait effectué Gilbert Azibert pour se renseigner sur la procédure en cours en cassation au sujet des agendas présidentiels. "Il m'a dit euh... J'ai déjeuné avec l'avocat général... J'ai... Voilà... II a bossé hein !", raconte ainsi Thierry Herzog le 29 janvier. L'avocat indique dans une autre conversation que Gilbert Azibert a eu accès à l'avis du conseiller-rapporteur, un avis qui n'est jamais rendu public.

Début février, Thierry Herzog évoque de son côté pour la première fois le service qui pourrait être rendu à Gilbert Azibert, en échange de ces infos. "Il va y avoir un poste qui se libère au conseil d'Etat monégasque et, euh, il était bien placé. Mais, simplement, il me dit : 'Euh, j'ose pas demander. Peut-être qu'il faudra que j'ai un coup de pouce'. Ben je lui ai dit : 'Tu rigoles, avec ce que tu fais...'" 

Appelle-le aujourd'hui en disant que je m'en occuperai, parce que moi je vais à Monaco et je verrai le prince [Albert].

Nicolas Sarkozy

Dans une conversation téléphonique avec Thierry Herzog, retranscrite par la justice

Fin février, Nicolas Sarkozy doit se rendre à Monaco et Thierry Herzog rappelle à l'ancien président de ne pas oublier de "dire un mot pour Gilbert", de lui "donner un coup de main". L'ancien président, qui a prévu de s'entretenir avec le ministre d'Etat de la principauté de Monaco, Michel Roger, répond : "Tu peux lui dire que (...) je suis là-bas et que je vais faire la démarche auprès du ministre d'Etat demain ou après-demain."

Finalement, Nicolas Sarkozy semble renoncer. Sur sa ligne officielle, le 26 février, l'ancien président évoque pour la première fois Gilbert Azibert avec son avocat pour expliquer qu'il n'a pas voulu intervenir pour un homme "qu'il ne connaissait pas plus que ça" et dont il ne savait pas "exactement ce qu'il a fait" "Ça ne me pose pas de problème en soi mais si tu veux, je ne l'ai pas senti d'en parler, j'ai pas envie."

Pourtant, Thierry Herzog appelle Gilbert Azibert début mars pour lui assurer que "la démarche a été faite" et semble vouloir lui en dire plus : "Je veux te raconter quelque chose, que tu sois pas un jour surpris. (...) Mais c'est par rapport à nous, on a été obligés de... de dire certaines choses au téléphone." La justice soupçonne alors Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog d'avoir été mis au courant de la mise sur écoute de la ligne Paul Bismuth.

Si Nicolas Sarkozy n'est pas intervenu, que lui reproche-t-on ?

La justice n'a effectivement pas de preuve matérielle d'une intervention de Nicolas Sarkozy en faveur de Gilbert Azibert. Les autorités monégasques ont affirmé que l'ancien président n'avait pas fait une telle démarche. Mais pour la justice, il n'est pas nécessaire "que le pacte corrupteur soit effectivement réalisé" pour caractériser l'infraction, c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire que les choses promises soient effectuées. "La seule sollicitation ou acceptation suffit à la consommation de l'infraction", explique l'ordonnance de renvoi.

De la même manière, le résultat de l'opération importe peu. Gilbert Azibert n'a jamais décroché de poste à Monaco, et Nicolas Sarkozy n'a pas obtenu la décision qu'il attendait de la Cour de cassation. Mais c'est bien l'intention qui est répréhensible aux yeux de la loi. 

Quelle est cette histoire de "taupe" dans l'affaire ?

Oui, c'est un peu une affaire dans l'affaire. Au cours de l'instruction, les magistrats ont été étonnés quand Nicolas Sarkozy a évoqué pour la première fois le nom de Gilbert Azibert sur sa ligne officielle pour dire à Thierry Herzog qu'il refusait d'intervenir en faveur du magistrat. D'autant que l'ex-président et son avocat ont échangé un coup de fil similaire peu de temps après pour se dire la même chose sur la ligne "Paul Bismuth". Les juges redoutent l'existence d'une "taupe" qui aurait pu informer les deux hommes de la mise sur écoute de la ligne officieuse.

Le Parquet national financier (PNF), créé en 2014 après l'affaire Cahuzac, s'est lancé dans une enquête et a notamment épluché les factures téléphoniques – les fameuses "fadettes" – d'une dizaine de ténors du barreau, dont l'actuel ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti. Au bout de six années d'investigations, la "taupe" est restée introuvable et l'enquête a été classée sans suite par le PNF fin 2019.

Mais la révélation des modalités de cette enquête a provoqué l'indignation de nombreux avocats. "Il y a non seulement une atteinte à la vie privée comme il y en aurait pour n'importe quel justiciable, mais également une atteinte à mon secret professionnel. Et cela sans autorisation, et surtout sans aucune motivation. C'est une folie !", avait confié à franceinfo l'avocate Marie-Alix Canu-Bernard. "On est tellement convaincu par avance que Nicolas Sarkozy est coupable, qu'on se dit qu'il y a forcément une taupe au sein de la justice", confie à franceinfo Jean-Yves Le Borgne. Résultat, la ministre Nicole Belloubet a demandé à l'Inspection générale de la justice de conduire une inspection de fonctionnement sur cette enquête. Le rapport, publié mi-septembre, n'a pas relevé de dysfonctionnement majeur.

Au final, que risque Nicolas Sarkozy ?

S'il est déclaré coupable pour les faits de corruption active et de trafic d'influence actif, Nicolas Sarkozy encourt au maximum dix ans d'emprisonnement, selon l'article 433-1 du Code pénal. "Ça, c'est la théorie. Mais il va déjà falloir prouver la corruption, ça ne va pas être simple", estime l'avocat Jean-Yves Le Borgne.

En plus de la peine de prison, la loi prévoit aussi la possibilité pour le juge de condamner pour ces faits à une amende de 1 million d'euros, à l'interdiction des droits civiques, civils et de famille, à l'affichage ou la diffusion de la décision de condamnation et à l'interdiction d'exercer une fonction publique.

Et quelle est sa ligne de défense ?

Lors de l'enquête, Nicolas Sarkozy a accepté de répondre aux questions des juges pour tenter de prouver son innocence. Concernant les interventions de Gilbert Azibert au sein de la Cour de cassation, il a affirmé n'avoir jamais eu de contact téléphonique avec le magistrat et ne lui avoir rien demandé. Selon l'ancien président, Gilbert Azibert n'avait d'ailleurs pas l'influence qui lui est prêtée : "Je n'avais nul besoin de l'influence de monsieur Azibert qui, en l'occurrence, n'en n'avait pas, comme l'a démontré le résultat final." Il estime aussi que le magistrat n'était pas au centre de ses préoccupations, puisque sur les 142 interceptions téléphoniques de la ligne "Paul Bismuth", il y en avait "au maximum cinq qui parlent d'Azibert, soit 3%", selon les déclarations de Nicolas Sarkozy.

Concernant la candidature de Gilbert Azibert à Monaco, l'ancien chef de l'Etat a déclaré avoir voulu faire plaisir à Thierry Herzog. Pour lui, la démarche était "d'une banalité extrême", son ami Thierry Herzog lui ayant déjà demandé par le passé une aide pour les "les gens qu'il aime ou qu'il connaît". Mais Nicolas Sarkozy a répété à plusieurs reprises ne pas être intervenu en faveur de Gilbert Azibert. "L'issue ne fait pas de doute. De la même façon que l'affaire Bettencourt, pour laquelle j'ai bénéficié d'un non-lieu. De la même façon que l'affaire dite du prétendu financement libyen, qui est en train de s'effondrer", assurait Nicolas Sarkozy dans un entretien au Point (article réservé aux abonnés) en juin 2019. "Savez-vous que le poste que visait Gilbert Azibert était rémunéré 370 euros par an ? Que les autorités monégasques entendues ont affirmé que je n'étais jamais intervenu ? Que tous les magistrats de la chambre criminelle interrogés ont précisé que personne n'avait fait pression sur eux ? Et que, de surcroît, Gilbert Azibert n'a pas eu ce poste qui était déjà pourvu ?"

De son côté, Thierry Herzog devrait une nouvelle fois mettre en avant dans sa défense le secret professionnel censé protéger les conversations entre un avocat et ses clients. Ce point a déjà été tranché par la Cour de cassation qui a validé les écoutes judiciaires, mais la question reste sensible du côté des avocats. "Il y a eu un arrêt incompréhensible et une validation de la retranscription des écoutes dans cette affaire. Le secret professionnel des avocats existe tout le temps. On est là dans un recul dramatique que j'espère provisoire", estime Hervé Témime, l'avocat de Thierry Herzog, dans son livre Secret défense (Gallimard, 2020). Les différents défenseurs s'interrogent aussi sur le zèle de la justice dans ce dossier. "Au bout de six ans d'instruction judiciaire, on en arrive à six phrases que l'on peut considérer comme équivoques, estime de son côté Dominique Allegrini, l'avocat de Gilbert Azibert, contacté par franceinfo. Mais voilà, vous mettez Sarkozy, Monaco, Cour de cassation dans le titre et ça fait de la dynamite."

J'ai eu la flemme de tout lire, pouvez-vous me faire un petit résumé ?

Nicolas Sarkozy a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour des faits de "corruption" et de "trafic d'influence" dans l'affaire dite "des écoutes", également connue comme "l'affaire Paul Bismuth". La justice a intercepté des conversations téléphoniques entre l'ancien président et son avocat, Thierry Herzog. Elle soupçonne les deux hommes d'avoir cherché à obtenir des informations et d'avoir tenté d'influencer une décision de la Cour de cassation grâce à l'intervention du magistrat Gilbert Azibert, premier avocat général près la Cour de cassation, en échange d'un "coup de pouce" dans l'obtention d'un poste au Conseil d'Etat de Monaco.

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