Quand les sportives de haut niveau subissent le diktat de la beauté physique, critère de visibilité et donc de performance
À l'occasion de la journée internationale du sport féminin, franceinfo: sport s'est intéressé au phénomène de sexualisation et d'hypersexualisation des athlètes féminines.
"Lorsque j'étais jeune, j'étais assez forte et j'avais un corps 'atypique'. Le plus dur a été d'entendre les critiques venant des compères : 't'es trop grosse', 'regarde tes cuisses'", se souvient tristement Charlotte Lembach, vice-championne olympique en sabre féminin par équipes. "Mes surnoms étaient 'gros jambon' ou 'cuisses de poulet'. Je suis souvent rentrée chez moi en pleurs. Mais ça m'a donné encore plus de force pour travailler et être meilleure que les autres."
Charlotte Lembach n'est pas la seule athlète à avoir subi de tels commentaires sur son physique. Le corps des sportives n'échappe pas au phénomène de sexualisation, voire d'hypersexualisation déjà présent dans l'ensemble de la société.
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Par ces termes, on entend "la mise en avant de caractéristiques qui ne sont pas liées au sport à proprement parler, mais à des considérations esthétiques, voire sexuelles. Il s'agit de rendre la sportive conforme aux stéréotypes de genre liés à la femme, c'est à dire tout ce qui va 'l'objectifier' et la rendre disponible pour l'homme", explique Béatrice Barbusse, sociologue et vice-présidente de la fédération française de handball (FFH).
Plaire aux sponsors
Outre des remarques et commentaires qui peuvent être dégradants et difficiles à vivre pour l'athlète, cette sexualisation peut avoir un impact réel sur la carrière sportive. Lorsque qu'elles ne correspondent pas aux normes de beauté et de féminité standards - silhouette longiligne, visage bien maquillé,etc... - définis et imposés par la société actuelle, elles peuvent éprouver de réelles difficultés à trouver des sponsors. Et tout simplement, à être visibles.
Or, ce sont ces mêmes sponsors qui leur permettent de vivre et de disposer des ressources financières nécessaires pour participer aux différentes compétitions. "Il faut d'abord que la sportive gagne et montre qu'elle est performante. Après, il est encore mieux pour elle de correspondre aux canons de beauté", fait remarquer Béatrice Barbusse.
Un constat partagé par Charlotte Lembach. Malgré son titre de vice-championne olympique aux Jeux de Tokyo, l'escrimeuse peine à trouver des sponsors pour Paris 2024. "Quand je vois que je galère alors que d'autres sportives très jolies, qui n'ont pas mon palmarès, ont plus de visibilité et se font carrément démarcher par des marques sur les réseaux sociaux, ça m'amène à me poser des questions...", lâche en toute franchise celle qui a un projet de maternité avant Paris 2024.
"Chez les hommes, je trouve que la performance est davantage mise en avant. Chez les femmes, il faut se battre si l'on ne rentre pas dans les critères de beauté prédéfinis par la société."
Charlotte Lembach, vice-championne olympique en sabre féminin par équipeà franceinfo: sport
Une tendance également éprouvée par Mélina Robert-Michon, vice-championne olympique aux Jeux de Rio, en 2016, et vingt fois championne de France. Son brillant palmarès parle de lui-même. Pourtant, la spécialiste du lancer de disque rencontre elle aussi une difficulté à trouver des sponsors. "La performance est plus importante chez les hommes, alors que le physique a une part plus importante chez les femmes", raconte celle qui a conscience d'être "un peu plus charpentée que la moyenne".
"Les équipementiers préfèrent travailler avec des filles bien foutues, qui passent bien à l'écran, même si elles n'ont rien fait de spécial. Il y a quelques années, ils n'avaient pas peur de nous le dire directement. Aujourd'hui, c'est beaucoup moins politiquement correct, alors ils trouvent d'autres excuses. Il faut arrêter de se cacher, cette vision est encore présente."
Mélina Robert-Michonà franceinfo: sport
Et le phénomène va encore plus loin. Selon plusieurs chercheuses interrogées, certaines athlètes vont aller jusqu'à se "recréer une féminité". L'objectif ? Attirer les sponsors et poursuivre leur carrière dans de meilleures conditions.
"Celles qui n'ont pas des physiques s'apparentant aux stéréotypes féminins vont mettre du vernis, des bijoux ou encore sur-investir les robes pour essayer de donner des gages qui ramènent à une féminité", expose Sandy Montanola, maîtresse de conférences à l’Université Rennes 1 et spécialisée dans les questions de sport, de genre et de médias. "Les athlètes ont anticipé le fait que les sponsors attendent des représentations sociales assez stéréotypées."
Mal dans son corps, mal dans son sport
Des normes de féminité bien ancrées, même chez les partenaires, qui peuvent empêcher certaines jeunes sportives de se sentir bien dans leur corps, notamment au moment de l'adolescence. "Les représentations médiatiques ont une influence sur la façon dont on se perçoit, dont on s’identifie. Chacun, chacune, construit aussi son identité par rapport à ça", insiste Natacha Lapeyroux, sociologue des médias du genre et du sport.
Mélina Robert-Michon se souvient : "J'ai été grande très tôt. L'adolescence est un moment où l'on veut passer inaperçues, et finalement on ne voit que nous. Je savais que j'avais plus d'épaules que les autres, des cuisses plus marquées. Pas besoin d'en rajouter. De telles remarques peuvent faire peur à certaines jeunes filles, au moment où le corps change et où on a un rapport à lui qui est plus difficile."
Les critères de beauté et de morphologie imposés implicitement par certains sports sont aussi facteurs de troubles chez l'athlète. La patineuse Maé-Bérénice Méité a fait l'objet de lourdes réflexions quant à son physique et son poids, sous prétexte qu'elle ne correspondait pas à la figure fine, élancée et longiligne de la patineuse artistique.
"Ta robe, ton maquillage, ta coiffure, ton visage, ton physique, vont être scrutés en détails, car ta ligne va jouer sur la note finale (...). Il faudrait connaître et comprendre tous les types de morphologie, au lieu de vouloir transformer chaque athlète en un prototype prédéfini", revendique avec fermeté la sextuple championne de France. Cet épisode a malheureusement laissé des traces sur sa carrière. "Depuis, je souffre de dysmorphie corporelle. Dans le miroir, je me vois un peu grosse, pas suffisamment tonique et affûtée. Heureusement, j'en ai conscience donc je travaille dessus."
Le diktat des tenues
Les stéréotypes de genre ne se limitent pas qu'au physique. Ils se reflètent également dans les tenues, qui font partie entière du processus de sexualisation. Parfois jugées trop courtes ou trop échancrées, nombreuses sont les sportives à s'en être déjà offusquées. Peu à peu, les langues se délient et les athlètes ne masquent plus leur malaise.
"Des joueuses de beach handball ont refusé la sélection tricolore à cause du port obligatoire du bikini. Et encore, ça ressemble plutôt à un string. Elles étaient mal à l’aise, c'est une réalité", déplore Béatrice Barbusse. "Le sport doit être inclusif. Ce n’est pas via ce genre de tenues qu’on va faciliter la démarche."
De nombreuses disciplines ont déjà fait face à une telle problématique. La handballeuse française Allison Pineau évoluait à Nîmes, en 2013, lorsqu'il a été décidé que les joueuses disputeraient les matchs en jupe. "Nous ne nous sommes pas senties super à l’aise avec ce changement, car nous ne connaissions pas très bien les motivations qu'il y avait derrière", confesse sans langue de bois la championne olympique. "Ok, il y a une volonté de féminiser les tenues. Mais pourquoi la jupe ? Avec la jupe, on parle d'un genre, on rentre dans les stéréotypes. C'est aussi plus court... N'y a-t-il pas une autre manière de féminiser ?"
"Psychologiquement, nous ne sommes pas prêtes à ce changement. Nous sommes plus à l'aise dans un short pour bouger. Nous avons toutes des corps différents. Le but est que chacune se sente bien dans ses vêtements, dans son maillot. Et pas, à l'inverse, créer des complexes."
Allison Pineauà franceinfo:sport
Dans un essai publié cet été, l'heptathlète britannique médaillée d'or aux Jeux de Londres en 2012, Jessica Ennis-Hill, avait pris position sur le sujet des tenues. Celle qui avait l'habitude de courir en slip au début de sa carrière a admis avoir été terrifiée à l'idée de subir "un souci gênant avec sa tenue" pendant une compétition.
Dans une logique similaire, les gymnastes allemandes avaient pris part aux Jeux de Tokyo en "académique", un uniforme qui couvre le corps des bras jusqu'à la cheville, au lieu du justaucorps habituel. "Nous voulions montrer que chaque femme doit décider ce qu'elle porte", avait alors insisté Elisabeth Seitz.
Contactée par franceinfo: sport, la directrice des équipes de France de gymnastique artistique féminine, Véronique Legras, se veut rassurante : selon elle, les tenues sont discutées avec les gymnastes elles-mêmes, en adéquation avec leurs souhaits.
Si les académiques sont désormais autorisés par la fédération internationale, la France n'a pas encore franchi le pas. "Nous sommes actuellement en pleine réflexion, car la réglementation de la gymnastique fédérale n'a pas encore validé les académiques en France. C'est un sujet qui va être traité", détaille-t-elle. "Il faut évoluer avec notre temps et nous sommes à l'écoute du bien-être des gymnastes."
"Nous ne devons pas freiner des gymnastes à vouloir pratiquer leur sport, simplement car elles ne sont pas à l'aise dans leur corps et dans leur tenue."
Véronique Legras, directrice des équipes de France de gymnastique artistique féminineà franceinfo:sport
Mais quelles sont les raisons avancées à une telle sexualisation des corps ? "On en revient toujours au même : attirer les sponsors et les partenaires", rétorque Béatrice Barbusse.
"Quand les athlètes ne répondent pas aux stéréotypes féminins ou qu'elles sont trop musclées, comme les boxeuses ou les rugbywomen par exemple, il va y avoir une sanction médiatique. Nous les apercevons très peu en photo ou dans les médias", complète Sandy Montanola.
"Un éveil des consciences de genre"
"Il y a tout un écosystème avec les médias, les sponsors, les fédérations, les athlètes et les agents. Ces acteurs ont besoin de vendre, il y a une recherche de profit. Pour y répondre, ils vont se valoriser par rapport à ce qu’ils pensent être attendu. Les médias vont faire pareil, les sponsors aussi, ce qui fait qu’on a ici tout un système d’entretien."
Mais que faut-il faire pour mettre un point final au phénomène de sexualisation des sportives ? "Un éveil des consciences de genre", propose Béatrice Barbusse. "Il faut que de plus en plus de sportifs et sportives s’éveillent à ce qu'est le féminisme et se rendent compte que l'on est enfermé dans des représentations stéréotypées, qui sont autant de pressions à être comme ci ou comme ça. Les athlètes seraient plus performantes et épanouies en se libérant de ça."
"Il faut évidemment que les femmes soient bien davantage représentées dans les instances dirigeantes et qu'elles fédèrent autour de ces questions", poursuit la sociologue. Mais la parité, ce n'est pas pour tout de suite. Le 18 janvier, le Sénat a rejeté l’instauration de la parité dans les instances dirigeantes du sport à partir de 2024. Pour rappel, seules 18 femmes sont à la tête d’une des 113 fédérations sportives en France.
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