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"Nous devons toujours faire face au rejet, à la peur de la séropositivité" : ils vivent avec le VIH et témoignent

Trente-six ans après l'apparition du sida en France, 150 000 personnes sont porteurs du virus dans notre pays. Quel est le quotidien des séropositifs en 2017 ? Quel regard la société porte-t-elle sur eux ?

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des manifestants lors de la Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre 2016 à Paris.  (OLIVIER DONNARS / AFP)

"Ça m'a fait perdre l'équilibre. Je sais qu'on n'en meurt plus. Mais quand vous apprenez ça, vous savez que ça va être compliqué." Julien, étudiant en ingénierie et militant à Act Up-Paris, a 23 ans. Il a appris sa séropositivité à l'âge de 20 ans. Le jeune homme s'estime chanceux : il n'a pas redoublé et parvient à poursuivre des études qui le passionnent. Mais le traitement contre le virus "n'est pas anodin", explique-t-il d'une voix calme. Ses os commencent à se fragiliser. "C'est une petite mort en soi, un peu plus chaque jour", confie-t-il. 

Comme Julien, 150 000 personnes vivent avec le VIH en France, selon l'association Solidarité sida. Quelque 30 000 personnes seraient séropositives sans le savoir, faisant de l'Hexagone l'un des pays les plus concernés d'Europe. L'Institut national de veille sanitaire (InVS) rapporte que près de 6 000 personnes ont découvert leur séropositivité en 2015. Un chiffre annuel quasiment stable depuis plus de cinq ans. 

Alors que le film 120 battements par minute, qui retrace les premières heures du combat d'Act Up, est sorti en salles mercredi 23 août, franceinfo a recueilli les témoignages de personnes séropositives et des militants associatifs engagés dans la lutte contre le sida en France. 

Un traitement moins lourd, mais constant 

En plus de trente ans, les avancées de la recherche ont permis une amélioration considérable des traitements du VIH. "Avant, il fallait prendre jusqu'à vingt comprimés jour et nuit", rappelle Mikaël Zenouda, président d'Act Up-Paris. L'arrivée des trithérapies a permis de combiner plusieurs médicaments en une seule gélule, transformant le quotidien des personnes séropositives. Aujourd'hui, Julien ne prend plus qu'un seul cachet par jour. Il réalise un bilan médical tous les six mois, contre deux fois par mois au début de son traitement. 

Catherine Kapusta-Palmer, 55 ans, a vécu toute l'évolution de ces traitements depuis l'annonce de sa séropositivité, en 1987. A l'époque, "on n'avait que quelques années à vivre", se souvient la cofondatrice du collectif Femmes et VIH. Avec l'arrivée des premiers traitements, elle a souffert de complications digestives et de lipodystrophie (perte ou développement anormal de graisses). Aujourd'hui, "j'ai de la chance", confie-t-elle. "Je vis presque normalement." Catherine Kapusta-Palmer ne prend plus que deux cachets par jour pour lutter contre le VIH, mais neuf chaque matin et douze chaque soir pour ses problèmes cardiaques et sa pancréatite (inflammation du pancréas). Des effets secondaires directement liés au virus. "J'ai fait deux infarctus, j'ai des problèmes d'articulation. J'ai vieilli plus vite, poursuit-elle. Mais le symptôme le plus terrible est la fatigue. Elle peut démarrer dès le matin." 

Malgré les progrès, les effets secondaires des traitements restent ainsi bien présents dans la vie des séropositifs. Mikaël Zenouda évoque l'insuffisance rénale, les troubles du sommeil et les hallucinations, les maux de tête. Sans compter les risques de développer des cancers. Les personnes séropositives sont dix fois plus exposées aux cancers d'origine infectieuse que le reste de la population, selon Sidaction. Il s'agit de la première cause de mortalité des personnes vivant avec le VIH. "Comme le système immunitaire est affaibli, les cancers apparaissent de manière bien plus précoce et leur évolution est plus agressive", précise Mikaël Zenouda. Même en France, "on meurt encore du sida", rappelle-t-il. 

Un risque de précarité accru

"Etre séropositif va souvent de pair avec la précarité sociale et économique", martèle l'association Solidarité sida dans un récent état des lieux de la maladie en France. Et la situation ne s'améliore pas : entre 2003 et 2011, le taux de chômage des personnes séropositives est ainsi passé de 12,6% à 15,8% en France, selon l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Du fait d'un traitement encore important, certaines personnes sont contraintes de quitter leur emploi. D'autres sont en invalidité et ne peuvent pas travailler à temps plein. Elles seraient 25% dans cette situation, selon Solidarité sida. 

Les discriminations dans l'emploi sont aussi bien présentes pour les personnes séropositives. Quelque 500 000 postes, dans la gendarmerie, l'armée ou chez les sapeurs-pompiers, leur sont interdits. Ceux qui suivent un traitement sont vus comme "inaptes au terrain", explique Libération. Laurent Pallot, ancien gendarme aujourd'hui militant à Aides, se souvient bien de cette réalité. "On a demandé à certains collègues séropositifs de partir. D'autres ont été mis dans des bureaux", raconte-t-il. Après sa préretraite de gendarme, Laurent Pallot a commencé à travailler dans le secteur bancaire, dans la télésurveillance. "Dès que mes collègues ont su que j'étais séropositif, on m'a donné un bureau plus loin. On ne mangeait plus ensemble, il y avait des réflexions dans mon dos", se souvient-il. 

Faute d'emploi, les difficultés financières augmentent pour les personnes porteuses du virus. L'enquête Vespa2, publiée par le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, rapporte que 31,5% des personnes séropositives déclarent "faire face difficilement à leurs besoins ou devoir s'endetter pour y parvenir". Fred Navarro, séropositif depuis 1986, a perdu son emploi dans une association après une hospitalisation. Il vit uniquement de l'allocation adulte handicapé depuis 1993. "800 euros et quelque par mois, c'est en deçà du seuil de pauvreté, réagit l'ancien président d'Act Up-Paris. J'ai la chance d'avoir un logement social, mais sinon, je passe mon temps à compter. Pas de vacances, pas de restaurants. Je jongle entre les factures d'électricité, le loyer et le reste." 

Les femmes séropositives sont aussi particulièrement exposées. Selon l'étude Vespa2, elles sont plus nombreuses à être inactives et sans emploi, et sont 30% à 50% à rencontrer une situation financière difficile. "Les femmes touchées en France sont plus précaires, mais il y a une forme d'invisibilité, une non-prise en compte de leur statut social", regrette Catherine Kapusta-Palmer.

Le poids des discriminations et de l'isolement

La stigmatisation des personnes séropositives persiste aussi dans le domaine affectif et familial. "Il y a toujours un rejet, une peur de la séropositivité", confirme Mikaël Zerouda. En 2016, 30% des personnes séropositives ont déclaré avoir subi des discriminations au cours de l'année passée, rapporte Aides. Elles sont 50% à avoir été rejetées par un partenaire, alors que le risque de contamination est aujourd'hui "quasi-nul" avec un traitement, selon l'association. "Il y a des gens qui n'ont pas eu de relation amoureuse depuis dix ans", témoigne Julien, lui-même rejeté par un partenaire.

Le jeune militant raconte aussi le poids du rejet familial. "Les insultes ont été multipliées par dix. Ma mère me disait : 'Tu l'as bien cherché', 'tu crèveras plus vite'", confie-t-il. Les relations entre Julien et ses parents se sont améliorées avec le temps, mais pour beaucoup d'autres, cela n'a pas été le cas. Selon Aides, 43,6% des personnes porteuses du virus sont stigmatisées par leurs proches. "Des femmes ont été renvoyées de chez elles, de leur famille quand elles ont annoncé qu'elles étaient séropositives", raconte Fatem-Zahra Bennis, chargée de développement à l'association Ikambere, qui accompagne les femmes séropositives. "Je viens de voir une femme mise dehors par sa fille, abonde Mamiro*, sa collègue. La stigmatisation perdure."

Du fait de ces discriminations, familiales, sociales mais aussi médicales, près de 40% des personnes séropositives se disent "plutôt seules" ou "très seules", poursuit l'association Aides. L'isolement est particulièrement important pour les seniors ayant vieilli avec la maladie, affirme Francis Carrier, 63 ans, séropositif et fondateur de l'association Grey Pride. "Nous sommes vieux, gays, séropositifs : tout se cumule pour que nous ayons une vie sentimentale très difficile. Beaucoup sont isolés, insiste-t-il. Le VIH est encore plus tabou chez les personnes âgées. Les associations de lutte contre le sida ne s'en préoccupent pas, et les pouvoirs publics l'ignorent totalement. Personne ne parle de ça." 

"Il reste tous les combats à mener"

Près de trente ans après les débuts d'Act Up, racontés dans 120 battements par minute, que reste-t-il de la mobilisation contre le sida en France ? "Il reste tous les combats à mener", martèle Mikaël Zenouda. Qu'il s'agisse du regard de la société, du manque de prévention ou de l'absence de guérison, beaucoup des combats "historiques" des associations "restent terriblement d'actualité", pour le président d'Act Up-Paris. 

La plupart des missions de l'association restent donc les mêmes que par le passé. "Un de nos slogans était 'Information = Pouvoir'. Ça reste notre slogan aujourd'hui", explique Mikaël Zenouda. Act Up-Paris continue ainsi de diffuser de l'information et de distribuer des préservatifs lors de soirées, de festivals ou d'événements fréquentés par les jeunes. L'association a aussi développé Reactup, un site d'information sur la prévention et la recherche autour du sida. Les actions fortes de l'association sont certes moins fréquentes, "parce que nous sommes davantage reçus par les pouvoirs publics", reconnaît Mikaël Zenouda. Mais les "relances" sont permanentes, assure le président d'Act Up-Paris. L'association poursuit les interpellations lors d'événements, les tribunes dans la presse et les actions dans la rue, même si elles n'ont plus la même ampleur. 

Car la mobilisation perd en force depuis quelques années. Chez Act Up-Paris, les militants les plus réguliers ne sont plus que dix. Ils étaient jusqu'à 200 dans les années 2000. "Nous étions le cœur de la diffusion de l'information dans les années 1990 et avant. Il n'y avait pas internet ! Les gens venaient parce qu'ils voulaient savoir : 'Où en est-on ? Est-ce que j'ai encore un répit ?' se souvient Hugues Fischer, militant historique d'Act Up-Paris, désormais salarié de l'association. Aujourd'hui, il n'y a plus cette urgence vitale d'information. On a donc vu beaucoup moins de gens se mobiliser."  Pourtant, "on a encore vraiment du boulot, poursuit-il. En principe, un séropositif devrait avoir la vie de monsieur Tout-le-monde aujourd'hui. Ce n'est pas le cas." 

*Le prénom a été modifié à la demande de notre interlocutrice 

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