Cet article date de plus de cinq ans.

Indépendance, speed dating et réalité virtuelle : bienvenue dans les villages retraite, nouvel eldorado des seniors

L’espérance de vie qui s’allonge, l’arrivée des "baby-boomers" à l’âge de la retraite et une volonté plus forte d’indépendance des personnes âgées incitent à repenser le logement des retraités. Reportage  dans une résidence pour seniors de Saint-Mandé, près de Paris.

Article rédigé par franceinfo - Noémie Leclercq
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Le salon-club de la résidence seniors de Saint-Mandé (Val-de-Marne), ouverte en juillet 2018. (THOMAS BOIVIN / LES SENIORIALES)

"C’est le paradis, ici !" Ongles manucurés, brushing impeccable, boucles d’oreilles bleues assorties à sa tenue... Martha, 85 ans, ne tarit pas d’éloges sur sa résidence "services seniors". Installées à Saint-Mandé (Val-de-Marne) depuis juillet 2018, entre une crèche et des appartements fraîchement construits, Les Senioriales promettent aux locataires de couler une retraite heureuse "aux portes de Paris".

Les résidences services seniors, en ville, et les villages retraite, plutôt à la campagne ou dans les petites villes, proposent aux personnes âgées autonomes de disposer de leur propre logement tout en bénéficiant de services et d’aides adaptés. Repas, loisirs, espaces de rencontre, aide ménagère… Le concept, venu des Etats-Unis, séduit les retraités "qui craignent de perdre en autonomie et qui ne veulent surtout pas entrer en Ehpad ou en maison de retraite trop tôt", commente Mélissa Petit, docteure en sociologie spécialisée dans les modes de vie des seniors.

Un marché en pleine expansion

Des solutions de logement de plus en plus sollicitées. On comptait 580 résidences de ce type en France en 2016. Le chiffre est passé à 728 en 2018 et il devrait grimper à plus de 1 000 d'ici à 2020 : soit une augmentation de 54% en quatre ans, selon une étude de marché du site logement-seniors.com. 

La résidence Les Senioriales de Saint-Mandé (Val-de-Marne). (THOMAS BOIVIN / LES SENIORIALES)

Une analyse que Martha approuve : "Avant, j’étais dans une résidence classique, ça n’avait rien à voir, sourit-elle. Ici, on ne nous force à rien, on s’adapte à nous, on nous connaît." La directrice de la résidence, Victoria Nguyen, tailleur noir et talons aiguilles rouges, salue chaque résident qui passe devant son bureau, demande des nouvelles des enfants des uns, ou si le repas de la veille était au goût des autres. "L’avantage, c’est que notre structure est petite. Avec 70 logements, on peut garder un lien particulier avec chaque personne", appuie la jeune femme. En charge de l'établissement depuis son ouverture en juillet 2018, elle souhaite "en finir avec les clichés sur les personnes âgées, souvent mises au ban de la société."

"J'avais besoin de retrouver la tranquillité"

En moyenne, les seniors vivent en effet aujourd'hui plus longtemps et en meilleure santé qu’avant : seules 8% des personnes âgées sont dépendantes et nécessitent une aide ou une surveillance régulières, d’après le ministère de la Santé et des Solidarités. "On est dans l’ère de la 'retraite-loisirs', estime Anne-Marie Guillemard, professeure en sociologie à l’université Paris-Descartes. En France, la durée moyenne d’une retraite est de vingt-huit ans, il y a différentes phases, mais on s’oriente davantage vers un vieillissement actif" où maintenir des relations amicales et amoureuses est une priorité. Loin donc de la "retraite-retrait" des années 1970, où la fin de la vie professionnelle sonnait le glas de la vie sociale.

Anne-Marie Guillemard se montre néanmoins critique envers ces résidences services et ces villages retraite. "Les retraités ne veulent plus se retrouver avec des gens du troisième âge. Ils ne supportent pas cette ségrégation générationnelle", rapporte la professeure, pour qui ces formules ne sont pas en adéquation avec les aspirations d'une partie des personnes vieillissantes.

Une analyse que ne semblent pas partager les résidents des Senioriales de Saint-Mandé. Dans le salon-club, certains s’essaient à la réalité virtuelle –l’activité du jour– et débriefent leur partie de belote de la veille. "C’est quand même dommage qu’il n’y ait personne qui aime le bridge…" déplore Robert Berger.  A 93 ans, "le docteur", comme le surnomment ses camarades –du fait de son ancienne profession– est le doyen de la résidence. "Avant d’emménager ici, j’habitais une maison devenue trop grande sans mon épouse, se souvient le retraité. Et puis, je me suis fait attaquer deux fois devant chez moi, j’avais besoin de retrouver la tranquillité." Dans sa nouvelle résidence, l'ancien médecin généraliste se sent en sécurité : contrôle des visiteurs à l’entrée, visiophone dans les appartements, judas aux portes, rien ne manque.

Des sessions de speed dating

Comme la majorité des résidents des Senioriales, Robert Berger est veuf depuis plusieurs années. 

Avec l’allongement de l’espérance de vie, et la hausse des divorces après 60 ans, il y a de plus en plus de retraités qui se retrouvent célibataires.

Mélissa Petit, sociologue

à franceinfo

"Même si le sujet est encore tabou, les résidences seniors permettent de renouer des relations amoureuses…" glisse dans un sourire la sociologue. A Saint-Mandé, on attend impatiemment le premier mariage. "Il y a en eu une vingtaine sur l’ensemble des résidences du groupe, rigole la directrice. J’aimerais beaucoup en célébrer ici."

En février, à l’occasion de la Saint-Valentin, un speed dating a été organisé dans la résidence. "On a eu plus de 40 inscrits, avec des seniors venus de tout Saint-Mandé et des alentours", se félicite Victoria Nguyen. Une ouverture sur l’extérieur fondamentale pour le bon fonctionnement de la structure. "C’est nécessaire que ces habitats s’intègrent pleinement au territoire et participent à la vie de la cité, appuie la sociologue Mélissa Petit. Et pour que ça ne devienne pas des 'ghettos de vieux', il faut y faire entrer d’autres générations.   

Connecter les générations

Chez Colette Gerbi, au 5e étage, étagères et murs sont couverts de clichés de ses petits-enfants. L'un deux dévoile son sourire édenté, devant un fond bleu ciel. L'autre pose devant le Grand Canyon, aux Etats-Unis. "Et encore, je n’ai exposé que mes photos préférées", précise l'octogénaire, quatre fois grand-mère. Dans son salon, lumineux et donnant sur une grande terrasse, et comme dans tous les appartements de la résidence, le canapé est convertible en lit. "Ça permet aux enfants et aux petits-enfants de venir passer quelques jours", indique la directrice de l’établissement. Le wifi haut débit et illimité est à disposition dans chaque logement, "pour inciter les jeunes à rester chez papy et mamie", glisse-t-elle.

Victoria Nguyen, directrice de la résidence seniors de Saint-Mandé (Val-de-Marne) et Colette Gerbi, une des locataires, le 10 avril 2019. (NOEMIE LECLERCQ / FRANCE INFO)

Tout y est pensé pour faciliter le quotidien des résidents. Carrelage antidérapant, espace permettant l’accès en fauteuil roulant ou aux déambulateurs, prises situées à 80 cm du sol pour éviter d’avoir à se pencher. Colette Gerbi continue la visite de son appartement. "J’ai rajouté un meuble TV dans le salon, un autre dans la salle de bain…" montre la retraitée, qui "compte bien rester là longtemps !" Florence Franchi, chargée de communication du groupe des Senioriales, le rappelle : les résidences services pour les seniors sont des solutions de maintien à domicile. "Chacun a son appartement, rien n’est contraint, appuie-t-elle. Ce ne sont ni des maisons de retraite, ni des Ehpad."

Un chez-soi, avec quelques petits plus. Au cœur du dispositif, une personne disponible à l’accueil 7 jours sur 7 en journée. A l'image de Sabrina, qui gère l’intendance du lundi au vendredi. "Je m’occupe de l’accueil des résidents et de leur famille, mais mon travail va bien au-delà du bureau à l’entrée", explique l’ancienne employée d’hôtellerie de luxe. Une résidente vient justement demander de l’aide pour l’installation d’une box TV. "On me sollicite souvent pour des démarches en ligne, de plus en plus courantes et compliquées pour les personnes âgées", ajoute-t-elle. Son téléphone l'interrompt. Elle rassure, de sa voix douce et avec toutes les politesses possibles, le fils d'une résidente qui vient d'emménager. "Je vais aller voir comment ça va pour elle", promet-elle. 

L’opportunité en or de la "silver économie" 

Tous ces services ont un prix. "Mais c’est jusqu’à deux fois moins cher qu’une maison de retraite ou qu’un Ehpad", assure Florence Franchi. Les résidents paient médecins et soins infirmiers en fonction de leurs besoins, ce qui est considérablement moins coûteux qu’une surveillance médicale permanente. Quant aux prix des loyers, "ils suivent ceux de l’immobilier" local. Pour la résidence de Saint-Mandé, une ville huppée de l'est parisien, il faut débourser environ 1 500 euros par mois. "Nous faisons en sorte d'orienter les personnes vers un établissement correspondant à leurs besoins et à leurs moyens, précise la représentante du groupe. Si leur reste à vivre est trop faible, nous préférons envisager avec eux une autre solution." Les résidents ont ensuite droit aux aides au logement (APL) et à l'aide personnalisée d'autonomie (APA). Aux Senioriales de Saint-Mandé, la population est plutôt aisée. 

Sur l’ensemble des logements de ce type en France, la moyenne du loyer mensuel s'élève à 800 euros, charges et services hôteliers (ménage, petit-déjeuner, activités, gardiennage) compris. A titre de comparaison, une place en Ehpad coûte entre 3 000 et 5 000 euros par mois. Les deux ne s'adressent cependant pas au même public, puisque les résidences services seniors ne sont pas médicalisées et hébergent des personnes autonomes. Il s'agit d'une formule hybride de maintien à domicile : chaque résident dispose de son propre logement et peut, s'il le souhaite, participer à des moments de collectivité et bénéficier d'aides personnalisées. 

Colette Gerbi, résidente des Senioriales de Saint-Mandé (Val-de-Marne), sur le balcon de son appartement, le 10 avril 2019. (NOEMIE LECLERCQ / FRANCE INFO)

Les Senioriales appartiennent à Pierre & Vacances, pionnier du genre, mais d’autres groupes du secteur développent leur offre pour seniors. Derrière cet intérêt, beaucoup d'argent est en jeu car le marché de la "silver économie" est un marché d'avenir : les plus de 60 ans représenteront près d’un tiers des Français en 2030. Les "baby-boomers" arrivant à l’âge de la retraite, il y a, selon Mélissa Petit, "une vraie demande de diversité des habitats, qui doivent s’adapter aux besoins et aux désirs des seniors". 

Depuis son balcon, Colette Gerbi interpelle Jocelyne, une voisine de l’immeuble d’en face. "J’ai emménagé ici avant que la résidence n’ouvre, confesse cette dernière. Sans quoi, j’y aurais bien posé mes valises moi aussi..." Elle vient régulièrement participer aux animations proposées, ouvertes à tous. "C’est comme si les gens restaient jeunes…" 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.