Santé : les fortes hausses à venir des prix des mutuelles sont-elles justifiées ?

Les complémentaires santé prévoient une augmentation moyenne de 8,1% des cotisations en 2024, après une augmentation de 4,7% en 2023. Franceinfo vous explique les raisons de ces hausses.
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Un centre de santé à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), le 22 octobre 2022. (ALINE MORCILLO / AFP)

Se soigner va coûter beaucoup plus cher l'année prochaine. Les cotisations des complémentaires santé vont connaître des augmentations record en 2024, avec une hausse moyenne de 8,1%. Dans le détail, cette hausse sera de 7,3% pour les contrats individuels et de 9,9% pour les contrats collectifs obligatoires (souscrits par les entreprises pour leurs salariés), selon une enquête de la Mutualité française, parue mardi 19 décembre.

Le cabinet Addactis, spécialiste du secteur, prévoit de son côté des hausses encore supérieures, de l'ordre de 9 à 11% pour les complémentaires santé souscrites individuellement, et de 8 à 12,5% pour les contrats collectifs. "Ce n'est pas tenable", prévenait Aurélien Rousseau, l'ex-ministre de la Santé, début novembre. Il affirmait alors que les mutuelles "ne peuvent pas faire des patients la variable d'ajustement de leur modèle économique". Lors de sa rencontre avec les acteurs du secteur vendredi, il avait dénoncé des augmentations "inacceptables".

Des dépenses en hausse

De leur côté, les complémentaires santé assurent que la hausse de leurs cotisations ne fait que refléter l'augmentation de leurs dépenses en faveur de leurs assurés. "Sur les huit premiers mois de 2023, les prestations versées par les mutuelles ont augmenté de +6% par rapport à la même période l'année précédente, soit nettement plus que l'augmentation estimée" initialement, relève ainsi la Mutualité française sur son site

Les assureurs estiment que cette hausse des dépenses de santé des Français est notamment due à l'"augmentation des rémunérations des professionnels de santé", comme l'affirme la Mutualité française, alors que les médecins généralistes ont obtenu que le prix d'une consultation passe de 25 euros à 26,50 euros. Ils pointent également le vieillissement de la population.

Mais pour l'économiste Frédéric Bizard, spécialiste des questions de protection sociale, l'essentiel de l'augmentation des dépenses de santé est plutôt "dû aux affections de longue durée (ALD), ainsi qu'aux médicaments innovants", dont les prix sont extrêmement élevés. Or "100% de ces dépenses sont remboursées par l'Assurance-maladie, donc il n'y a pas de surcharge pour les complémentaires", pointe-t-il auprès de franceinfo, dénonçant l'explication avancée par les mutuelles. 

Une part de la Sécu qui baisse 

En revanche, les complémentaires pâtissent bien de la diminution de la prise en charge de certaines prestations par la Sécurité sociale. Cette dernière "transfère de plus en plus de financements vers les complémentaires", décrypte l'économiste Nathalie Coutinet, spécialiste du secteur de la santé. Depuis le 15 octobre, le taux de prise en charge par l'Assurance-maladie de la plupart des soins dentaires est ainsi passé de 70% à 60%, la différence étant financée par les complémentaires.

Le plan "100% santé" permet aussi aux Français de bénéficier depuis le 1er janvier 2021 d'une prise en charge de leurs lunettes, de leurs prothèses dentaires et de leurs prothèses auditives, sans frais supplémentaires. Le tout en partie financé par les mutuelles. "Avec ce dispositif, on a observé une explosion de l'audioprothèse", observe Nathalie Coutinet.

La chercheuse regrette que le gouvernement "refuse d'augmenter les cotisations sociales", qui permettraient de financer une meilleure prise en charge par l'Assurance-maladie. "Faire supporter la croissance des dépenses de santé aux complémentaires revient nécessairement à augmenter leurs prix d'année en année", insiste l'économiste. 

"En passant d'un financement par la Sécurité sociale à un financement par les complémentaires, on génère des inégalités."

Nathalie Coutinet, économiste

à franceinfo

Car les Français n'ont pas accès ni aux mêmes complémentaires ni à la même couverture, selon leur niveau de revenu et leur situation professionnelle. Un salarié du privé peut bénéficier d'une meilleure complémentaire s'il est dans un grand groupe que s'il est dans une PME de dix salariés. "Par ailleurs, on paye sa complémentaire selon son nombre d'enfants, ce qui n'est pas le cas de la Sécurité sociale", ajoute Nathalie Coutinet, qui note que les "plus mal lotis" sont "les chômeurs, les étudiants et les retraités".

La concurrence comme solution ?

Les complémentaires santé pourraient-elles trouver les moyens de contenir l'envolée des prix ? "Elles ont énormément de salariés et des coûts de gestion très élevés, de l'ordre de 7,5 milliards d'euros, couverts par 20% des cotisations de leurs assurés", souligne Frédéric Bizard.  

Par ailleurs, les réserves des assureurs privés en santé s'élèvent à "86 milliards d'euros", selon l'économiste, soit "2,6 fois plus que les réserves prudentielles exigées par la Banque de France pour assurer les Français". L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui supervise les secteurs de la banque et de l'assurance a demandé en novembre aux assureurs d'être "plus efficaces" en "piochant dans leur réserve", relaie l'économiste.

Pour l'heure, le gouvernement se contente d'inviter les Français à faire jouer la concurrence. "Mais c'est compliqué quand on a un contrat d'entreprise", rappelle Nathalie Coutinet. Elle souligne que, de toute façon, les "contrats sont peu lisibles et souvent très difficiles à comparer". Un constat partagé par Frédéric Bizard, qui estime qu'il faut "rendre le marché beaucoup plus transparent, avec une offre compréhensible et accessible à tous, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui".

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