: Vrai ou faux Covid-19 : faut-il laisser circuler le variant Omicron pour en finir au plus vite avec la crise sanitaire ?
Si le variant Omicron semble laisser entrevoir une porte de sortie de la crise du Covid-19, les épidémiologistes restent prudents et déconseillent de favoriser la circulation du virus, tant que la couverture vaccinale de la population n'est pas maximale.
Sur les sept derniers jours, Santé publique France a enregistré 287 604 nouveaux cas de Covid-19 et 2 219 nouvelles hospitalisations par jour en moyenne sur le territoire. Dans son point épidémiologique hebdomadaire du 6 janvier, l'agence nationale de santé publique note en effet une "accélération extrêmement marquée de la circulation du Sars-CoV-2 liée à la progression très rapide du variant Omicron". Entre le 27 décembre et le 2 janvier, "74% des tests criblés montraient un profil compatible avec le variant Omicron".
Face à cette cinquième vague de l'épidémie, le gouvernement n'a pas fait le choix de mesures sanitaires restrictives fortes, mais plutôt de durcir le pass sanitaire en le transformant en pass vaccinal, ou d'inciter à davantage de télétravail. L'exécutif se défend cependant de "laisser filer le virus". Invité de franceinfo mercredi 12 janvier, le ministre de la Santé Olivier Véran a déclaré : "On ne cherche pas à laisser circuler ce variant. [...] Maintenant, il est tellement contagieux que oui, il circule." Et si, cependant, les contaminations au variant Omicron étaient une bonne nouvelle pour notre immunité collective ? C'est en tout cas ce que certains scientifiques et médecins envisagent avec prudence. Alors, faut-il laisser circuler le variant Omicron pour en finir au plus vite avec la crise sanitaire ?
Un espoir de sortie de crise encore incertain
Plus contagieux que les variants Alpha et Delta, Omicron provoque cependant moins de formes graves. En effet, le variant Omicron, contrairement à Delta, entraîne plutôt des infections dans les voies respiratoires hautes. C'est-à-dire que l'infection se concentre davantage dans le nez, la gorge et les sinus. Le variant Delta, lui, cause des infections respiratoires plus basses, touchant davantage les poumons. Il engendre donc des formes plus graves. Selon Yves Buisson, épidémiologiste et président de la cellule Covid de l'Académie nationale de médecine, cette localisation du virus dans les muqueuses du nez et de la bouche explique sa grande contagiosité, mais pourrait également se révéler être une bonne nouvelle pour l'acquisition d'une immunité collective.
"Omicron améliore la protection face au virus, la rend plus solide et plus durable, analyse le médecin. Il déclenche une protection des muqueuses au niveau des voies respiratoires, du nez, de la gorge, de la bouche. Les vaccins stimulent les anticorps, mais le virus a le temps de se multiplier dans les voies aériennes supérieures. Si on a une protection de la muqueuse en plus, c'est beaucoup mieux." Des vaccins contre le Covid-19 par voie nasale sont d'ailleurs actuellement à l'essai, avec pour objectif une mise sur le marché en 2023.
L'Agence européenne des médicaments (EMA), se montre elle aussi relativement optimiste à propos du variant Omicron. Marco Cavaleri, chef de la stratégie vaccinale de l'EMA, a déclaré mardi que le variant Omicron pourrait permettre de passer d'une phase pandémique à une phase endémique de la maladie, autrement dit une banalisation du Covid-19, à la manière d'une maladie virale comme la grippe. "Avec l'augmentation de l'immunité dans la population, et avec Omicron, il y aura beaucoup d'immunité naturelle en plus de la vaccination. Nous avancerons rapidement vers un scénario qui sera plus proche de l'endémicité", a jugé l'expert européen. Cependant, il a également rappelé que "nous ne devons pas oublier que nous sommes toujours dans une pandémie", donc rester prudents.
Une prudence que partagent les épidémiologistes contactés par franceinfo. Comme le rappelle Mahmoud Zureik, professeur de santé publique et d'épidémiologie à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et directeur d'Epi-Phare, Omicron reste un variant récent. "On n'est pas à l'abri d'une bonne surprise, mais ce n'est pas encore un virus banalisé comme le rhume. Il ne faut pas tirer trop vite des conclusions. Omicron, ça ne fait même pas deux mois qu'il est là. On ne connaît pas encore ses conséquences à moyen terme. Cela invite à la plus grande vigilance et prudence avant de le laisser circuler librement. On ne peut pas prendre des paris sur des choses comme ça."
"On ne connaît pas bien la durée de l'immunité conférée par Omicron. Il faut peser le pour et le contre avec beaucoup de patience du fait du manque de données scientifiques. Il y a encore trop d'inconnues pour faire un choix éclairé", abonde Emmanuel Rusch, président de la Société française de santé publique (SFSP) et médecin au CHRU de Tours.
Un risque de surcharge accentuée dans les hôpitaux
"Laisser le virus circuler, c'est jouer avec le feu", alerte Yves Buisson. "Ce variant Omicron donne beaucoup moins de formes graves que le Delta. Mais, comme il se multiplie plus vite, on aura toujours des entrées en réanimation. C'est un risque qu'il ne faut pas prendre." L'épidémiologiste fait également remarquer que le début de l'épidémie de grippe annuelle "fait rentrer tous les ans des centaines de patients en réanimation". Selon lui, "si on abandonne toutes les mesures barrières maintenant, on va voir des dégâts."
Pour Emmanuel Rusch, la question de favoriser la circulation du variant Omicron doit se peser sur la balance "bénéfice-risque". "Le constat, c'est que le virus circule largement aujourd'hui. Il n'en reste pas moins que tenter de limiter sa circulation permet d'étaler la surcharge pour les établissements de santé. Relâcher toutes les mesures entraînerait une tension supplémentaire pour eux." Or la France compte, au 12 janvier, 23 889 personnes hospitalisées, dont 3 985 en soins critiques.
Selon les dernières modélisations de l'Institut Pasteur (PDF), arrêtées au 7 janvier, "dans tous les scénarios, le pic des admissions à l'hôpital est attendu dans la deuxième moitié de janvier, avec un impact maximal sur l'occupation des lits fin janvier-courant février." Dans les scénarios jugés les plus probables par les modélisateurs et selon le taux de transmission du virus, il y aurait de 2 500 à 3 600 hospitalisations par jour en moyenne au pic de cette vague. Pour y faire face, l'hôpital aurait alors besoin de 17 000 à 23 000 lits d'hospitalisation conventionnelle et de 3 900 à 4 700 lits de soins critiques.
Mahmoud Zureik n'est, lui non plus, pas favorable à un relâchement des mesures sanitaires. Il rappelle l'importance de limiter la circulation du virus, afin de protéger les personnes fragiles. "La meilleure façon de protéger les personnes vulnérables, c'est de réduire la propagation. Une circulation importante expose davantage les personnes avec des pathologies sous-jacentes, les personnes âgées ou immunodéprimées. Ces personnes fragiles, même avec le vaccin, pourraient développer des formes graves avec Omicron. L'immunité collective c'est bien, mais pas pour ceux qui vont aller à l'hôpital ou qui vont décéder."
Une stratégie du "rappel naturel" complémentaire de la vaccination
"Omicron, avec son degré d'efficacité de transmissibilité extraordinaire et sans précédent, finira par trouver à peu près tout le monde. Malheureusement, ceux qui ne sont pas vaccinés vont subir les conséquences de plein fouet", a prévenu mardi Anthony Fauci, immunologiste américain et conseiller à la Maison Blanche. Cependant, le scientifique a apporté une lueur d'espoir, en déclarant : "Nous n'en sommes pas au point où nous pouvons dire de façon acceptable 'Vivons avec le virus', à cause notamment de la pression exercée actuellement sur le système de soins. Mais je pense que nous y arriverons". Et Anthony Fauci d'expliquer qu'"une combinaison entre une bonne immunité de fond et la possibilité de soigner une personne à risque" pourrait permettre une transition pour "vivre avec le virus".
L'immunité naturelle, notamment grâce à la protection de la muqueuse conférée par une contamination par Omicron, constitue en effet un espoir de voir le nombre de cas et les formes graves de Covid-19 diminuer. Pour Yves Buisson, Omicron "a la capacité de faire une sorte de rappel naturel", mais laisser circuler le variant et donc le virus reste trop risqué tant que la population n'est pas largement vaccinée. "Si toute la population était vaccinée puis contaminée par Omicron, on pourrait envisager une sortie de crise. Avec une vaccination obligatoire dès le mois de mai-juin, avec 90-95% de la population totale vaccinée, le risque aurait été beaucoup moins grand de laisser courir le variant Omicron. Or, on a encore près d'un quart de la population qui n'est pas vaccinée", estime l'épidémiologiste. Selon Santé publique France, au 11 janvier 77,6% de la population française totale est vaccinée avec au moins deux doses. "Si toute la population était vaccinée puis contaminée par Omicron, on pourrait envisager une sortie de crise", juge Yves Buisson. Sans cette couverture vaccinale, il semble donc prématuré d'envisager de relâcher les mesures sanitaires pour jouer la carte de l'immunité collective.
Emmanuel Rusch rappelle qu'en plus du variant Omicron, "le variant Delta continue à circuler". Selon Santé publique France, au 9 janvier, 11% des tests criblés présentaient la mutation L452R, caractéristique du variant Delta. Réduire les mesures sanitaires pour laisser circuler le variant Omicron aurait pour conséquence une libre circulation du variant Delta, responsable de davantage de formes graves, d'hospitalisations et de passages en soins intensifs et en réanimation. Afin d'éviter de surcharger encore plus les hôpitaux et pour protéger les personnes fragiles, Yves Buisson conclut donc : "Il faut maintenir les mesures barrières. On ne peut pas empêcher Omicron de se disséminer, mais il ne faut pas lui faciliter le travail."
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