: Témoignages La vaccination contre le Covid-19, une épreuve pour ceux qui ont peur des aiguilles : "Je suis tombé dans les pommes juste après"
De nombreux Français ont du mal à passer le cap d'au moins une injection, non pas par hostilité aux différents vaccins, mais par bélénophobie, la peur des aiguilles.
Raphäel n'a aucun souvenir de sa vaccination contre le Covid-19. Cet habitant de Meudon (Hauts-de-Seine) âgé de 27 ans s'est rendu, mercredi 21 juillet, à l'hôpital militaire Percy de Clamart, tout près de chez lui, pour sa première injection. Mais après, c'est le trou noir. "J'y suis allé à 10h15 et je me suis réveillé à 14h30 dans un lit d'hôpital", raconte-t-il. Entre-temps, il est tombé dans les pommes et s'est blessé à la tête. Après quatre points de suture, la fiche de soins de l'hôpital fait état d'un "malaise post-vaccination".
Le jeune homme le reconnaît, "il n'aime pas trop les piqûres" et n'a reçu aucun vaccin ni rappel depuis dix ans. Sans le savoir, il est peut-être atteint de bélénophobie, cette phobie des aiguilles et, par extension, des piqûres. Un réel problème pour obtenir le pass sanitaire, puisque la vaccination reste le moyen le plus simple d'en être détenteur.
Encore 16% des Français réticents à la vaccination
Depuis l'allocution d'Emmanuel Macron sur les nouvelles règles sanitaires, le 12 juillet, la campagne de vaccination a fait un bond pour atteindre 34 millions de personnes vaccinées au 29 juillet, soit plus de la moitié de la population française. Malgré cette hausse, selon un sondage Opinionway pour Les Echos paru le 23 juillet, encore 16% des Français "n'ont pas l'intention de se faire vacciner".
Parmi eux, certains sont atteints de bélénophobie. Rodolphe Oppenheimer, psychothérapeute et psychanalyste spécialisé dans la thérapie comportementale cognitive (TCC), reçoit de plus en plus de patients de ce type depuis le début de la campagne vaccinale contre le Covid-19. "Des patients pensent qu'ils ne veulent pas se faire vacciner mais en réalité ils ne peuvent pas à cause de leur anxiété vis-à-vis des piqûres et de la vue du sang", explique-t-il.
Un article publié en 2012 dans L'Encéphale, une revue de psychiatrie, rappelait qu'en France 6,8% des hommes et 16% des femmes sont touchés par des phobies spécifiques, qui englobent notamment "la phobie spécifique du sang-injection-accident" (PSIA), sans que celle-ci soit particulièrement quantifiée. La PSIA correspond à "une peur persistante et intense, à caractère irraisonné ou excessive, déclenchée par la présence ou l'anticipation de la confrontation à du sang, un accident, une injection ou toute procédure médicale."
"C'était un phénomène purement psychologique"
"Souvent, les patients ne retrouvent pas l'origine de leur phobie, selon Rodolphe Oppenheimer. En cherchant, on découvre qu'un membre de leur famille proche était malade au cours de leur enfance. Ils ont alors associé la maladie au sang et le sang, à la prise de sang et donc aux aiguilles." Nicolas, bélénophobe de 47 ans, explique qu'il ne se souvient pas de l'origine de ses troubles. Pourtant, il se souvient très bien de sa dernière prise de sang. "C'était il y a trois ou quatre ans, relate-t-il. Je suis tombé dans les pommes, j'ai gémi et je me sentais mal. Mon cerveau a mal réagi, c'était un phénomène purement psychologique."
En raison de sa peur du monde hospitalier, il n'a effectué aucun vaccin ou rappel de vaccin depuis...1995. Pourtant, il a décidé de franchir le pas pour se protéger du Covid-19, le 20 avril dernier. "J'ai réussi à vaincre mon stress, malgré ma méfiance sur les vaccins et ma hantise des piqûres." Contrairement à ce qu'il redoutait, l'injection fut rapide et presque indolore : "J'ai expliqué ma phobie à l'infirmière qui m'a piqué et elle m'a rassuré en me disant que ce vaccin était différent", notamment parce que la dose du produit injecté est plus réduite.
Exercices de respiration ou aiguilles pédiatriques
Pour Gwenaëlle, infirmière scolaire qui administre depuis le mois de mai des doses dans un centre de vaccination de l'Ain, les bélénophobes sont fréquents. "On essaie de prendre du temps avec ces personnes-là, d'utiliser des méthodes de sophrologie en travaillant sur la respiration, explique-t-elle. On les fait souffler et ensuite on les pique. C'est souvent après qu'elles font des malaises vagaux..." "Le nerf vague, c'est le nerf du stress, et quand il est hyper sollicité, il peut lâcher momentanément et déclencher un malaise vagal", développe-t-elle.
Armelle, autre infirmière qui officie dans un centre de vaccination du Bas-Rhin, se souvient d'un patient particulièrement anxieux. "Une fois, un monsieur est resté deux heures sur le brancard après son injection. Il a perdu tous ses moyens et n'arrivait pas à reprendre ses esprits."
Pour éviter que cela n'arrive, les deux infirmières ont leurs petites astuces, apprises sur le tas. "En tant qu'infirmières, on connaît bien le mécanisme de la phobie et on essaie de personnaliser l'approche à chaque fois, avance Gwenaëlle. Si le patient a trop peur des aiguilles, on peut aussi préparer quelques aiguilles pédiatriques, deux fois moins longues que les aiguilles ordinaires, pour rassurer." "L'aiguille est tellement petite qu'on ne la sens même pas, estime Armelle. Je les fais regarder ailleurs et je parle des vacances ou de leur métier. Souvent, ils ne remarquent même pas que je les ai piqués !"
Une méthode avec des casques de réalité virtuelle
Pour Emeric Languérand, psychologue spécialisé dans la thérapie cognitive et comportementale, les bélénophobes gagneraient à "se familiariser avec des images ou des vidéos de piqûres" avant leur vaccination, afin d'avoir moins de craintes le moment venu. C'est justement la technique proposée par Anne Roche, psychanalyste à Bordeaux et thérapeute experte nationale en thérapies par exposition à la réalité virtuelle (TERV). "Avec des casques de réalité virtuelle, on expose dans mon cabinet les patients à des situations de soins pour qu'ils s'habituent aux stimuli anxiogènes et on va à leur rythme, explique-t-elle. La bélénophobie est un trouble de l'anxiété, c'est une peur disproportionnée."
Vincent, 34 ans, a souffert de cette appréhension jusqu'à son rendez-vous pour une première injection dans un centre de vaccination du 18e arrondissement de Paris. "J'avais une peur incontrôlable et je me suis dit que si plus de 3,5 milliards de doses avaient été administrées dans le monde, ça ne devait pas être si douloureux." Un courage payant. "Je crois que beaucoup de bélénophobes ont peur de la douleur et je peux dire que finalement la piqûre est quasiment indolore !"
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