Covid-19 : comment l'Agence européenne des médicaments enquête-t-elle sur les possibles effets indésirables du vaccin AstraZeneca ?
Son comité d'évaluation épluche les données pour estimer s'il existe un lien entre le vaccin et des cas de thromboses signalés dans plusieurs pays. Une enquête complexe qui n'aboutira pas forcément à une réponse définitive.
La France n'a pas résisté à l'effet domino. Après l'annonce par l'Allemagne de la suspension des injections du vaccin AstraZeneca outre-Rhin, qui a "pris de court" Paris, selon des sources gouvernementales, Emmanuel Macron a pris la même décision, lundi 15 mars. La mesure a été décidée "par précaution" après des inquiétudes sur un hypothétique lien entre le produit et l'apparition de caillots sanguins chez des personnes vaccinées contre le Covid-19, notamment au Danemark.
Emmanuel Macron a déclaré attendre l'avis de l'Agence européenne des médicaments (EMA), avant de reprendre la vaccination. L'organisme est "fermement convaincu" des bénéfices du vaccin, mais une grande partie du continent reste suspendue aux conclusions de son comité d'évaluation, attendues jeudi. Qui compose ce comité ? Comment va-t-il déterminer si le vaccin est dangereux ou non ? Les pays membres devront-ils suivre son avis ? Eléments de réponse.
Un travail mené par un comité spécialisé
C'est au Comité pour l'évaluation des risques en matière de pharmacovigilance (Prac) que l'EMA a confié le soin de tirer au clair les soupçons d'effets indésirables concernant le vaccin AstraZeneca.
Cette instance créée en 2012 compte une directrice, un vice-directeur, un membre nommé par chaque Etat membre (en France, il est issu de l'Agence nationale de sécurité du médicament, l'équivalent national de l'EMA), six experts scientifiques indépendants nommés par la Commission européenne (deux d'entre eux sont des Français), deux représentants des professionnels de santé et deux représentants des organisations de patients. C'est ce comité qui s'est réuni mardi et organise une nouvelle réunion extraordinaire jeudi, "pour tirer une conclusion au sujet des informations réunies et des actions qui pourraient être nécessaires".
Des données venues de toute l'Europe
Juger de l'existence et de la gravité du phénomène repose sur "une analyse rigoureuse de toutes les données", explique l'EMA dans un communiqué (en anglais) publié lundi. L'agence européenne bénéficie en effet de la base de données EudraVigilance, qui centralise les signalements d'effets indésirables possibles reçus par les réseaux de pharmacovigilance de tous les Etats membres de l'EMA. Franceinfo expliquait en décembre comment fonctionne ce système en France.
"Il suffit de taper 'thrombosis', et vous avez tous les cas de thromboses signalés", explique à franceinfo Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l'université de Bordeaux. Le Prac s'est aussi probablement rapproché des différentes agences nationales pour s'assurer que tous les cas potentiels avaient bien été remontés. Ces données ne renseignent pas uniquement sur le nombre de cas, mais aussi sur les circonstances cliniques : profil du malade, symptômes observés, calendrier de ceux-ci… Autant d'éléments qui ont leur importance.
Le Prac peut aussi faire appel à des expertises extérieures. Dans son communiqué, l'EMA explique d'ailleurs que son comité travaille "en étroite collaboration" avec des experts des troubles sanguins, qui peuvent l'aider dans l'interprétation des données. Elle a aussi intégré au circuit le laboratoire AstraZeneca, qui dispose de ses propres données, issues des essais cliniques. Enfin, l'EMA travaille avec l'agence du médicament britannique, pour bénéficier de "son expérience liée à l'administration d'environ 11 millions de doses du vaccin" au Royaume-Uni (qui n'est plus membre de l'EMA). En temps normal, le Prac pourrait également recommander la conduite de nouvelles études pour étudier le possible lien entre les vaccins et les thromboses. Cette fois, l'urgence oblige à se contenter des signalements.
Une évaluation du risque
Le comité de l'EMA dispose de plusieurs moyens pour arriver à des recommandations, explique Bernard Bégaud, qui connait bien le fonctionnement de la pharmacovigilance européenne pour avoir longtemps participé à ce type d'instances. Outre le nombre de cas, le comité va s'intéresser à leur gravité, qui fait l'objet de critères bien définis. Notamment la notion d'effet "sérieux", qui correspond à "la mort, une menace vitale immédiate, la nécessité d'une hospitalisation ou la présence de séquelles". Observer si les effets indésirables soupçonnés sont classés "sérieux" ou non donne une première indication.
Le Prac va également se pencher sur l'imputabilité, c’est-à-dire la possibilité théorique que le vaccin provoque la pathologie observée, dans la période de temps où elle est survenue. Par exemple, une thrombose peut-elle intervenir deux jours, une semaine, un mois après l'injection, ou y a-t-il un délai au-delà duquel il est impossible qu'un lien existe ? "Ils vont discuter de ces questions avec des experts de ces pathologies, ce qui permettra de se faire une idée un peu plus précise de la plausibilité d'un lien", explique Bernard Bégaud.
L'étude du profil des patients, du type de symptômes observés, du nombre de doses reçues, permet d'analyser la reproductibilité, c'est-à-dire évaluer si les cas présentent beaucoup de similarités ou non. "Une thrombose, ça peut désigner plein de choses différentes", rappelle le professeur en pharmacologie. "Si la population touchée et le type de lésions sont très diffus", qu'aucun profil type ne se dégage, "ça n'exclut pas totalement la causalité, mais c'est moins probant". A l'inverse, si les cas observés se manifestent tous de la même manière et chez un public bien précis, les chances qu'il s'agisse d'un hasard sans lien avec le vaccin sont plus faibles. Cela permettrait, par ailleurs, d'établir des recommandations spécifiques pour des catégories à risque, sans forcément tirer un trait sur la vaccination dans son ensemble.
Le comité va aussi comparer la fréquence des thromboses signalées chez des personnes vaccinées à celle observée dans la population générale. C'est d'ailleurs ce que fait déjà l'EMA dans son communiqué publié lundi, où elle explique que "le nombre total d'événements thromboemboliques chez des personnes vaccinées ne semble pas être plus haut que celui observé dans la population générale". Cependant, les cas signalés aux organes de pharmacovigilance ne sont que la partie émergée de l'iceberg. "Il s'agit des gens qui s'en sont aperçu, qui ont pensé à un lien possible avec le vaccin et qui l'ont déclaré aux autorités sanitaires. Il existe forcément une sous-notification très importante", met en garde Bernard Bégaud. Selon lui, les études montrent qu'en temps normal, "même pour les effets indésirables graves, seuls 5% des cas sont déclarés".
Enfin, le comité d'évaluation de l'EMA ne doit pas seulement juger de l'existence ou non d'un risque, mais aussi le mettre en balance avec les bénéfices attendus. "Il existe des méthodes statistiques de modélisation qui permettent de voir si, même dans le scénario du pire et en prenant en compte la sous-notification des cas, le risque reste inférieur ou non à celui encouru par la personne non-vaccinée", explique Bernard Bégaud. Une évaluation compliquée par le fait que l'alternative n'est pas forcément l'absence de vaccination, puisqu'il existe d'autres vaccins.
Un verdict non contraignant pour les Etats
Au terme de son évaluation, le Prac rédige un texte dans lequel il présente ses conclusions et ses recommandations, et ses membres votent pour l'adopter ou non (la majorité absolue suffit). Le résultat ne sera pas forcément une conclusion définitive sur la dangerosité ou non du vaccin AstraZeneca, parce que la question est difficile à trancher, mais aussi parce que le processus relève de la diplomatie : "On arrive toujours à des choses qui ressemblent à un communiqué de l'ONU, un peu mi-chèvre, mi-chou", ironise Bernard Bégaud.
Quoi qu'il arrive, le Prac n'a pas le pouvoir de prendre des décisions contraignantes. Ses annonces, jeudi, ne pourront être que des recommandations sur la façon d'utiliser ou non le vaccin AstraZeneca. Bien sûr, si le comité préconisait d'arrêter la campagne de vaccination, difficile d'imaginer des Etats prendre le risque politique d'ignorer cet avis. Il peut par ailleurs recommander une modification, voire un retrait de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) accordée au vaccin. Si l'EMA suit la recommandation et retire l'AMM du vaccin, alors les Etats n'ont pas d'autre choix que d'arrêter de l'utiliser.
A l'inverse, si la poursuite de la vaccination est recommandée, les Etats membres ont le droit d'ignorer cet avis et de continuer de s'en passer. Ou de mener leurs propres études sur la question : "Avec EPI-Phare", instance publique qui réalise des études de pharmaco-épidémiologie, dont il préside le conseil scientifique, "la France pourrait assez vite étudier la question elle-même", estime Bernard Bégaud. En observant, par exemple, "si on trouve plus de thromboses chez les personnes ayant reçu le vaccin AstraZeneca que le Pfizer ou le Moderna". Si plusieurs pays, dont la France, ont indiqué qu'ils attendraient les conclusions de l'EMA avant d'administrer à nouveau le vaccin, rien ne dit que le débat sera tranché définitivement jeudi.
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