Cet article date de plus de trois ans.

Vrai ou faux Peut-on affirmer que le pass sanitaire n'a "pas d'impact" sur l'économie, comme le fait Bruno Le Maire ?

Les effets à court terme de cette mesure sont très variables d'un secteur d'activité à l'autre. Quant aux conséquences économiques à plus long terme, il est encore trop tôt pour les évaluer.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un serveur contrôle un pass sanitaire le 20 août 2021 dans un bar de Saint-Nazaire. (MAXPPP)

"Le pass sanitaire n'a pas d'impact sur l'activité économique du pays." Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, l'a martelé au moment d'officialiser la fin de la politique du "quoi qu'il en coûte", lundi 30 août, au cours d'une conférence de presse à Bercy. Depuis des semaines, de nombreuses organisations professionnelles alertent pourtant sur les répercussions de l'instauration de cette mesure sur leur secteur d'activités. Le pass sanitaire est-il vraiment si indolore pour l'économie française, déjà fragilisée par l'épidémie de Covid-19 ?

Bruno Le Maire a égrené une série de statistiques pour appuyer ses propos. Dans les bars et les restaurants, les dépenses par cartes bleues ont augmenté de 5% la semaine du 9 août, lorsque le pass y est devenu obligatoire. De même, dans les parcs d'attraction et les zoos : après une baisse de 1% des dépenses par cartes bleues la semaine du 9 août, le bond a été de 17% la semaine du 16 août. Conclusion du ministre : "Il y a bien eu un impact au début de l'application" du pass sanitaire pour certaines activités, comme les cinémas, les parcs d'attractions et les lieux culturels, mais "le retour à la normale s'est fait très rapidement", "à une ou deux exceptions près", notamment les centres commerciaux.

Données de paiement et enquêtes déclaratives

Pour évaluer l'"impact" immédiat d'une mesure comme le pass sanitaire sur l'économie, les experts ne s'appuient pas sur les grands indicateurs macro-économiques (comme les chiffres de la croissance, de la consommation, de l'emploi ou de la production...), qui ne sont pas encore disponibles, mais sur les premières indications disponibles : les données fournies par les systèmes de paiement ou les enquêtes déclaratives auprès des entreprises. "Depuis le début de la pandémie, comme on a besoin d'informations économiques en temps réel, les pratiques se sont un peu modifiées", explique à franceinfo Cécile Bastidon, maître de conférences au laboratoire d'économie de l'université de Toulon. Les bonnes statistiques avancées par Bruno Le Maire émanent des données des systèmes de paiement.

Mais le "retour à la normale" rapide souligné par Bruno Le Maire semble contredit par les retours du terrain en provenance de certaines organisations professionnelles. Ces dernières signalent que l'"impact" a été ressenti sur tout le mois d'août. Du côté des cafés, restaurants, hôtels et discothèques, "la quasi totalité des établissements du secteur" ont subi "une perte d'activité en moyenne de 20% entre l'été 2021 et l'été 2019", ont chiffré dans un communiqué commun le Groupement national des indépendants de l'hôtellerie-restauration (GNI), l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), le Groupement national des chaînes hôtelières (GNC) et le Syndicat national de la restauration thématique et commerciale (SNRTC), sur la base d'une enquête réalisée en août auprès de leurs adhérents.

Les professionnels du secteur alertent en particulier sur la situation "catastrophique" des établissements des grandes métropoles et d'outre-mer, qui vu leur activité reculer de 45% au cours de l'été, et sur les hôtels parisiens, dont les deux tiers étaient fermés en août. En août toujours, seuls 40% des restaurants français ont réalisé leur chiffre d'affaires habituel. Un quart des restaurateurs (26,3%), souvent ceux installés "en zone rurale ou très touristique", ont néanmoins passé un bel été, avec des ventes en hausse de 20% en moyenne. De même, les discothèques qui ont ouvert leurs pistes de danse ont réalisé une activité équivalente à celle de l'été 2019.

Pas d'indicateurs fiables pour le moment

Bruno Le Maire mentionne les parcs d'attractions et les cinémas comme exemples des secteurs d'activités ayant subi un "impact" au début de l'instauration du pass sanitaire, mais pour lesquels il y a eu un "retour à la normale" rapide. A l'inverse du ministre, les professionnels de ces secteurs déplorent de lourdes pertes sur tout le mois d'août. Interrogé sur franceinfo, le président du Syndicat national des espaces de loisirs, d'attractions et culturels, Arnaud Bennet, rapporte que les sociétés de son secteur "ont perdu entre 20, 30, 40 et 50% de leur chiffre d'affaires" pendant l'été. Or la saison estivale "représente jusqu'à 80% de leur chiffre d'affaires annuel". Même constat du côté des salles obscures. "La mise en place du pass sanitaire a coûté près de 7 millions d'entrées au cinéma", a estimé Richard Patry, le président de la Fédération nationale des cinémas français, à la fin du mois d'août sur franceinfo. "Ça veut dire près de 50 millions de chiffre d'affaires pour l'ensemble du secteur qui est parti en fumée."

"Exception" citée par Bruno Le Maire, les centres commerciaux continuent de pâtir du pass sanitaire, près d'un mois après son entrée en vigueur. Sur les quelque 800 centres commerciaux français, "environ un centre sur cinq" est soumis à ce sésame, mais tous en souffrent et la tendance n'est pas à l'amélioration, a exposé sur franceinfo Gontran Thüring, délégué général du Conseil national des centres commerciaux (CNCC). Ils sont ainsi passés de -15% de fréquentation la première semaine d'août, à -19% la deuxième, puis -25% la troisième. "Pour les centres commerciaux les plus grands qui sont soumis au contrôle du pass sanitaire, on est plutôt entre -30 à -40% de fréquentation", a insisté le représentant.

"A court terme, la plupart des secteurs d'activités sont a priori perdants de manière assez massive, à l'exception des secteurs de la santé ou des technologies notamment."

Cécile Bastidon

à franceinfo

Pour mesurer l'effet à moyen terme de l'application du pass sanitaire sur l'économie, "il faut encore attendre un peu", prévient Cécile Bastidon. "Nous n'avons pour le moment aucun indicateur qui permette de chiffrer sérieusement l'impact économique", confirme un économiste de l'OFCE. Contactée par franceinfo, l'Insee renvoie à son point de conjoncture début septembre. La Banque de France, elle non plus, ne dispose "pas d'étude ou d'enquête spécifique". Sa prochaine publication mensuelle, qui sortira mi-septembre, fournira peut-être "quelques indications sur un impact éventuel au niveau sectoriel".

De nombreux facteurs qui entrent en compte

"L'effet d'incitation à la vaccination induit par le pass sanitaire impacte la dynamique de l'épidémie et ce faisant génère des effets macro-économiques relativement conséquents", analyse Cécile Bastidon. Certains consommateurs vont changer de comportements, d'autres non. Certaines entreprises vont modifier leurs activités, d'autres non. "C'est très difficile de connaître le solde des deux effets a priori", relève la maître de conférences. L'amélioration de la situation sanitaire va aussi inciter les autorités à lever les restrictions... Autant de variables à analyser. Sans compter que le pass sanitaire n'est pas la seule mesure susceptible d'influer sur l'économie.

"Il est difficile de discriminer les effets du pass sanitaire des autres causes de l'évolution de l'activité dans les différents secteurs."

Cécile Bastidon, maître de conférence à l'université de Toulon

à franceinfo

Il existe certes des outils de modélisation, qui combinent des modèles mathématiques épidémiologiques et macro-économiques, portant d'une part sur l'évolution de l'épidémie et d'autre part sur les comportements des consommateurs, des entreprises et de l'Etat, relève la chercheuse. Ceux-ci permettent de faire des prévisions en bâtissant des scénarios théoriques (du plus au moins favorable, en passant par le scénario médian, considéré comme le plus probable). Mais "sur le pass sanitaire, il n'y en a pas", conclut Cécile Bastidon.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.