"On sera loin les uns des autres" : la délicate reprise de la vie parlementaire à l'heure de la "guerre" contre le coronavirus
L'Assemblée nationale et le Sénat vont reprendre leur travaux jeudi en "format restreint" pour examiner en urgence les textes concoctés par le gouvernement, notamment dans le cadre du report du second tour des élections municipales.
Emmanuel Macron a déclaré, lundi 16 mars, la "guerre sanitaire" contre le coronavirus. Et le chef de l'Etat a besoin de soldats. "Il nous faut donner des armes législatives à l'exécutif pour qu'il puisse répondre aux problèmes des Français", explique Richard Ferrand, le président de l'Assemblée nationale, à franceinfo. Les députés et les sénateurs vont donc reprendre le chemin du travail jeudi et vendredi afin de voter deux textes en urgence pour lutter contre l'épidémie et ses conséquences.
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Le Parlement, qui devait initialement respecter une trêve jusqu’au 23 mars, sera en "format restreint afin de concilier continuité de la vie démocratique et sécurité sanitaire", précise le député Damien Abad, président du groupe LR au Palais Bourbon. "On ne met pas en arrêt les institutions démocratiques, car cela reste important qu'elles fonctionnent", défend Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement.
Jusqu'à nouvel ordre, concernant les textes, on ne met rien à l'ordre du jour qui ne concerne pas le coronavirus.
Marc Fesneauà franceinfo
Comme l'a annoncé le chef de l'Etat, toutes les réformes en cours sont donc suspendues, y compris la très contestée réforme des retraites.
Une trentaine de députés au maximum
Richard Ferrand a pu s'entretenir avec les présidents de groupe mardi matin pour mettre en place toutes les modalités de cette reprise parlementaire très particulière. Sur le champ de bataille, l'heure est au consensus.
Tous mes collègues ont fait preuve d'esprit de coopération afin d'œuvrer pour l'intérêt général.
Richard Ferrandà franceinfo
"En vingt ans de Parlement, j'avais rarement vu une telle responsabilité", se félicite Jean-Christophe Lagarde, président du groupe UDI. "Il ne peut pas exister autre chose que l'unité nationale pour lutter contre ce fléau", ajoute Philippe Vigier, président du groupe Libertés et territoires. "Tout cela se fait dans la concertation, tout a été très bien anticipé par le président de l'Assemblée nationale", confirme André Chassaigne, président du groupe Gauche démocrate et républicaine. Testé positif la semaine dernière, le député communiste, qui vient de sortir de l'hôpital, raconte que Richard Ferrand l'a appelé "quand j'étais sur mon lit d'hôpital pour préparer cette reprise parlementaire".
Dans une Assemblée nationale devenue un véritable "cluster", avec au moins 18 députés contaminés, les précautions seront maximales. "On prend des mesures de réduction très importantes pour la présence des parlementaires en séance et en commission, avec seulement, pour chaque groupe, deux députés et le président du groupe", explique Marc Fesneau. Il y aura donc une trentaine de députés maximum à l'Assemblée. "C'est très bien, comme ça on sera loin les uns des autres", se réjouit le député Philippe Vigier.
On a 27 ou 28 places pour notre groupe, donc les trois députés vont pouvoir se mettre à cinq mètres les uns des autres.
Jean-Christophe Lagardeà franceinfo
Toutefois, si un député se présente au Palais Bourbon, "l'accès ne pourra pas lui être refusé, il faut donc compter sur la discipline de chaque groupe", rappelle André Chassaigne. "Le président de la République a lancé un appel à la responsabilité de chacun et j'appelle mes collègues à faire preuve du même état d'esprit", lance Richard Ferrand. Reste la question des vingt non-inscrits, parmi lesquels les députés du Rassemblement national.
J'ai dit à Marine Le Pen qu'il ne fallait pas que nous soyons trop nombreux. Elle l'a parfaitement compris et s'est montrée très réceptive.
Richard Ferrandà franceinfo
Pour compenser le faible nombre de députés présents, un dispositif spécial de vote pour les séances va être instauré, à l'image de ce qui se pratique déjà au Sénat. Les présidents des groupes politiques pourront ainsi porter les votes de tous les députés de leur groupe. "Je voulais qu'il y ait une égalité de représentation politique mais que cela ne se fasse pas au détriment du poids politique de chacun", justifie le président de l'Assemblée nationale.
Des sandwichs à prévoir pour les députés
A la chambre basse, "il va y avoir un nettoyage des lieux avant et après dans l'Hémicycle, les entrées et les sorties seront échelonnées, il y aura bien entendu du gel hydroalcoolique [mais a priori pas de masques] et un affichage avec les consignes pour les gestes barrières", affirme le député LR Damien Abad. "Tous les micros seront vaporisés et nettoyés au désinfectant par les huissiers après chaque prise de parole", ajoute Jean-Christophe Lagarde. "Je veillerai à ce que les consignes données par l'Agence régionale de santé soient strictement respectées", prévient Richard Ferrand.
On ne peut pas demander aux Français des mesures de confinement et de notre côté faire les guignols.
Philippe Vigierà franceinfo
"Les collaborateurs parlementaires ne pourront pas venir, mais il y aura quand même du personnel de l'Assemblée nationale. Tout sera très réglementé, très strict, y compris pour la presse", poursuit André Chassaigne.
Le député communiste s'est confiné dans sa maison de campagne depuis sa sortie de l'hôpital et passe son temps en réunion téléphonique ou en visioconférence pour préparer la reprise des travaux parlementaires. "Tout va être fermé à l'Assemblée, il va falloir s'organiser. Les députés vont devoir prévoir de quoi se nourrir... On ne pourra pas se faire livrer", prévient-il. "Toute la restauration, la résidence hôtelière sera fermée, confirme Jean-Christophe Lagarde. Pour les volontaires, il va falloir aller à l'épicerie du coin pour trouver un sandwich au pain de mie."
Deux textes à voter en urgence
Le planning va être serré à l'Assemblée et au Sénat, qui ont pour objectif de voter deux textes "avant vendredi ou samedi", selon Richard Ferrand. "Je suis plutôt confiant, il s'agit de mesures d'urgence pour répondre aux nécessités posées par cette épidémie." Le Sénat va commencer jeudi avec l'examen du projet de loi permettant le report du second tour des municipales, probablement à la fin du printemps, et prolongeant le mandat des conseillers municipaux actuels. Ce projet de loi doit également prévoir la commande d'un rapport public au conseil scientifique pour le mois de mai, afin de faire le point sur l'épidémie et valider ou non la date du 21 juin pour le report des élections. Il reste des points de débats sur ce report, comme sur le fonctionnement des intercommunalités (qui vont voir de nouveaux élus cohabiter avec des maires toujours en fonction, dans l'attente du second tour) ou sur la date de dépôt des listes pour le second tour.
Enfin, un article de ce texte doit permettre au gouvernement de trancher par ordonnances une série de modalités techniques, comme la question des comptes de campagne. Les ordonnances permettent au gouvernement de prendre des mesures relevant en théorie de la loi sans passer par le processus législatif habituel. "Il y a des tas de conséquences techniques liées aux mesures de confinement, mais aussi des trucs très concrets qu'il faut pouvoir gérer dans l'urgence", explique Marc Fesneau. De l'avis de plusieurs présidents de groupe, ce recours aux ordonnances apparaît nécessaire.
Avec de vrais textes, on ne pourrait jamais légiférer face à la vitesse de propagation du virus.
Jean-Christophe Lagardeà franceinfo
En parallèle des travaux au Sénat, l'Assemblée doit se réunir le même jour, en commission, à partir de 10 heures, puis en séance plénière, à 15 heures, pour étudier le projet de loi de finances rectificative (PLFR). Ce dernier comprend plusieurs mesures, comme la garantie des prêts bancaires accordés aux entreprises à hauteur de 300 milliards d'euros aux entreprises confrontées au risque de faillite, les dispositions sur le chômage partiel et le fonds de soutien aux entreprises.
On ne peut pas trop bavarder, il faut que des décrets soient pris ce week-end.
Philippe Vigierà franceinfo
"Il y a des entreprises qui sont par terre, des indépendants en difficulté, on ne peut pas perdre de temps..." s'impatiente déjà Philippe Vigier. Une mission d'information sur la crise du coronavirus avec 25 députés va également être créée pour étudier "l'impact, la gestion, émettre des recommandations, et tirer les enseignements", indique André Chassaigne.
Avant le travail sur les textes, jeudi matin, des séances de questions au gouvernement seront tout de même organisées dans les deux chambres, en respect de la Constitution. "Cela se fera en format réduit. Au Sénat, on a convenu avec le président Gérard Larcher qu'il y aura une question par groupe et pas plus", précise Marc Fesneau. L'ensemble du gouvernement ne sera pas présent. Seuls les ministres concernés par la crise devraient se déplacer : Bruno Le Maire (Economie) pour la problématique économique, Olivier Véran (Santé) pour l'aspect sanitaire ou encore Christophe Castaner (Intérieur) pour les questions de sécurité. "Il y aura moins d'une dizaine de ministres, estime Marc Fesneau. L'idée, c'est aussi de montrer l'exemple tout en montrant qu'on assume les responsabilités. Il nous a d'ailleurs été demandé par le Premier ministre de ne pas quitter Paris."
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