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Coronavirus : l'épidémie peut-elle affecter les résultats des municipales ?

A l'approche du premier tour, les formations politiques ont dû revoir leur stratégie de fin de campagne. Craignant une abstention encore plus massive, elles tentent, sur le terrain, de rassurer les électeurs. 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone, Elise Lambert - Charlotte Causit
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des produits antiseptiques dans un bureau de vote à Bordeaux (Gironde), le 11 mars 2020.  (GEORGES GOBET / AFP)

Dans le département de l'Oise, l'un des épicentres de l'épidémie de coronavirus Covid-19 en France"tout est interdit", résume le député Les Républicains Eric Woerth, élu sur ce territoire. Tout, y compris les réunions publiques des aspirants maires. Il a donc fallu revoir en profondeur leurs campagnes en vue des élections municipales"Ils font [désormais] beaucoup de porte-à-porte, ils ont beaucoup recours à internet", développe l'ancien ministre. Ce dernier se veut rassurant : pour le premier tour, les maires du parti "ont tous programmé une organisation des bureaux de vote" spécifique, pour mieux répondre à l'épidémie. 

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Car ce premier tour des élections municipales, "se tiendra" dimanche 15 mars, a annoncé jeudi soir Emmanuel Macron, lors de son allocution sur la crise liée au Covid-19. "Il est important en ce moment, en suivant l'avis des scientifiques comme nous venons de le faire, d'assurer la continuité de notre vie démocratique et de nos institutions", a insisté le chef de l'Etat, alors que les crèches et tous les établissements scolaires – de l'école primaire à l'université – seront fermés dès lundi.

Le gouvernement a promis aux édiles des mesures spécifiques pour assurer la bonne tenue du scrutin, selon un document consulté par franceinfo. De part et d'autre de l'échiquier politique, les partis politiques s'adaptent tant bien que mal à l'épidémie. Non sans inquiétudes à l'approche du premier tour. 

Une fin de campagne chamboulée

Le virus a en effet son impact sur leurcampagnes, à quelques jours de l'échéance. A Nantes (Loire-Atlantique) par exemple, la maire socialiste sortante, Johanna Rolland, a décidé jeudi soir de suspendre sa campagne électorale, afin de se "consacrer totalement et uniquement" à la lutte contre le nouveau coronavirus. "J'ai toujours dit qu'il était irresponsable de maintenir ces élections", dénonce Jean-Claude Villemain, le maire PS de Creil. 

Nous avons dû supprimer des réunions publiques et adapter nos initiatives auprès des Creillois en évitant les regroupements.

Jean-Claude Villemain

à franceinfo

A gauche, "on m'a fait remonter que quelques militants souhaitaient lever le pied [du porte-à-porte], car ils ne souhaitent pas être contaminés", constate quant à lui Pierre Jouvet, porte-parole du Parti socialiste en charge des élections. "Des assesseurs commencent aussi à dire qu'ils aimeraient éviter de rester quatre heures" dans un bureau de vote, ajoute-t-il. "Cela ne crée pas de pénurie" mais une légère réorganisation s'impose.

L'annulation de meetings et leur remplacement par des lives Facebook n'inquiètent pas Pierre Jouvet. "Un meeting, ça s'adresse à la presse et à ses militants pour les rebooster dans les derniers jours de campagne", livre-t-il. Le risque semble faible, à priori, de perdre des électeurs en se privant de ces événements, selon lui. Cela reste quand même "pénalisant" aux yeux de Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d'Europe Ecologie-Les Verts

Nous avons pris toutes les mesures, annulé des grands meetings à Lyon, à Villeurbanne, à Paris. (...) Tout le monde n'applique pas ces consignes. A Paris, LR a tenu son meeting lundi.

Sandra Regol

à franceinfo

Dans la capitale, les écologistes ont trouvé une alternative à travers "une déambulation" dans les rues au départ du Cirque d'hiver, dans le 11e arrondissement. "Bien sûr, le nombre de personnes sera beaucoup moins important" qu'en meeting, regrette Sandra Regol. "Il y a eu des réunions publiques annulées, c'est vrai que ça impacte", rajoute le député de Charente Thomas Mesnier, membre du bureau exécutif de La République en marche. A l'extrême droite, le constat est clair. "La campagne est beaucoup plus réduite à cause de ces conditions", regrette le député Rassemblement national Bruno Bilde, membre du bureau national du parti. 

Le spectre d'une abstention massive

"Le risque, c'est une abstention plus forte", ajoute l'élu frontiste du Pas-de-Calais. A Paris, "des électeurs nous disent qu'ils préfèrent ne pas aller voter que de prendre le risque d'être contaminé", lâche un candidat LR dans Le Parisien. Des inquiétudes qui se confirment à l'échelle nationale : pas moins de 28% des Français interrogés "sont susceptibles de ne pas aller voter aux élections municipales à cause des risques de transmission du coronavirus", d'après un sondage Ifop publié le 6 mars. Au total, 16% d'entre eux se disent certains de bouder les urnes. Et selon une enquête Odoxa Dentsu-Consulting pour franceinfo et Le Figaro, une minorité non négligeable de Français (36%) estime que l'exécutif a eu tort de maintenir les élections municipales

28% [d'abstention liée au coronavirus], c'est beaucoup trop !

Thomas Mesnier

à franceinfo

En réponse à ce risque, le député LREM tente en Charente de faire passer "un message" auprès des électeurs. "C'est un virus. Certes, il y a des inquiétudes (...) mais il ne faut pas s'arrêter de vivre", défend-il. "Il est important que chacun puisse s'exprimer. Le plus grand mal collectivement pour notre démocratie, ce serait l'abstention." Mêmes propos chez les premiers adversaires de LREM, au Rassemblement national : "Notre message, c'est 'Allez tous aux urnes'", insiste Bruno Bilde. Et Paul Vannier, du comité électoral de La France insoumise, de préciser : "Nous appelons les électeurs à ne pas se laisser confisquer cette élection. (...) Nous les appelons à respecter les consignes des autorités sanitaires et nous veillons scrupuleusement à les mettre en œuvre pour permettre à chacun de participer." 

Nos interventions médiatiques vont toutes dans le même sens : allez voter.

Eric Woerth

à franceinfo

Mercredi, le secrétaire national d'EELV, Julien Bayou, a communiqué en ce sens à travers un e-mail. "Alors que le coronavirus inquiète légitimement une grande partie de la population, nous avons ce dimanche 15 et ce dimanche 22 mars un rendez-vous démocratique important avec les élections municipales", écrit-il rappelant qu"il suffit d'adopter quelques règles de prudence, telle que garder une distance d'un mètre avec son voisin et de se laver les mains avant et après". 

Quid du vote des personnes âgées

Les risques d'abstention liés au coronavirus ne sont pas les mêmes selon les tranches d'âges, les catégories socio-professionnelles, les lieux d'habitation... ou encore les affinités politiques. Ainsi, d'après le sondage Ifop du 6 mars, 36% des habitants de l'agglomération parisienne envisagent de ne pas voter à cause de l'épidémie, contre 27% des habitants d'autres communes urbaines et 25% des résidents de communes rurales. Les électeurs les plus enclins à éviter les bureaux de vote du fait du virus sont les abstentionnistes connus (34%) et les électeurs de Benoît Hamon en 2017 (34%), suivis ceux de Marine Le Pen (31%) et d'Emmanuel Macron (27%).

Une perspective inquiétante pour les partis concernés ? "Il y aura forcément des gens qui ne viendront pas, mais ce ne sont pas les gens auxquels on pense, temporise Stéphane Le Foll, candidat socialiste au Mans (Sarthe). C'est l'électorat qui est le moins enclin habituellement à aller voter qui sera le plus touché." "Sera-t-on plus pénalisé ? Je suis incapable de répondre à votre question, admet Pierre Jouvet. C'est une élection particulière où les gens connaissent leurs élus. Soit ils veulent se mobiliser, soit ils n'avaient pas forcément prévu d'aller voter."

C'est difficile à dire à quel point cela nous touchera, mais on ne sera pas plus touchés que les autres.

Bruno Bilde

à franceinfo

La question du vote des personnes âgées, population parmi les plus fragiles face au Covid-19, se pose néanmoins pour les candidats. "Vous pouvez avoir un effet sur les très, très âgés, auxquels leur médecin ou leur entourage ont conseillé de ne pas sortir", analyse Bruno Cautrès, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et enseignant à Sciences Po. "En même temps, les plus âgés sont très intégrés socialement, ce sont des participationnistes aux élections municipales." Et un certainombre d'entre eux semblent se diriger vers un vote par procuration. 

En tant que candidat, je vois une augmentation du nombre de personnes âgées, de plus de 85 ans qui se tournent vers nous et nous demandent de leur recommander des personnes de confiance pour faire procuration.

Gil Avérous

maire LR de Châteauroux

Les seniors ne sont d'ailleurs pas la tranche d'âge craignant le plus d'aller voter en cette période d'épidémie, d'après l'Ifop. Seuls 23% des plus de 65 ans envisagent de bouder les urnes du fait du coronavirus, contre 40% des 18-24 ans, précise l'enquête. "Chez les plus jeunes en situation un peu précaire, qui ont toujours un peu de mal à aller aux élections municipales, cela peut accentuer le filtre sociologique et rendre les municipales encore plus illisibles, commente Bruno Cautrès. Parce qu'on ne parle que du coronavirus et on a du mal à voir où sont les enjeux de ces élections."

A l'issue du scrutin, des recours devant la justice administrative – pour contester les résultats en cas de très forte abstention  ne semblent pas à l'ordre du jour, selon les personnalités politiques interrogées par franceinfo. Seul le Parti communiste français (PCF) estime qu'il pourrait soutenir les recours concernant le recueil de procurations par les directeurs d'Ehpad. "C'est une chose d'encourager la participation, mais là c'est une mesure étonnante", détaille Pascal Savoldelli, sénateur communiste du Val-de-Marne. "Cela met du trouble et ça ne rassure en rien au niveau sanitaire." 

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