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"La santé, c’est la priorité des priorités" : après l'épidémie de Covid-19, onze idées pour repenser notre système de soins

#EtAprès. PrĂ©vention, lutte contre les dĂ©serts mĂ©dicaux, dĂ©sengorgement des urgences, accompagnement du grand âge… Onze acteurs du monde de la santĂ© livrent leurs propositions pour amĂ©liorer le système de soins français.

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PrĂ©vention, lutte contre les dĂ©serts mĂ©dicaux, dĂ©sengorgement des urgences, accompagnement du grand âge… Onze acteurs du monde de la santĂ© livrent leurs propositions pour amĂ©liorer le système de soins français. (AWA SANE / FRANCEINFO)

"Sur le seul plan sanitaire, cet Ă©pisode infectieux nous amène dĂ©jĂ  Ă  repenser l'intĂ©gralitĂ© de notre système de soins et de prĂ©vention." Dans une tribune aux Echos parue fin mars, Guy Vallancien, membre de l'AcadĂ©mie nationale de mĂ©decine, appelait Ă  lancer une rĂ©flexion sur le système de santĂ© français, Ă©branlĂ© par l'Ă©pidĂ©mie de coronavirus. MĂ©decins, directeurs de CHU ou de clinique, Ă©conomiste, ancienne ministre… Franceinfo a donnĂ© la parole Ă  onze acteurs du monde de la santĂ© qui livrent leurs idĂ©es pour construire le système de soins français de demain.

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Axel Kahn, généticien, président de la Ligue contre le cancer : "Considérer la santé comme un bien suprême"

La santé est un bien suprême dans la vie, la priorité des priorités. Pourtant, à l'échelle des nations, elle est progressivement devenue un fardeau, un coût qu'il fallait assumer, et pour lequel nous devions faire des économies. Cette notion doit changer pour une raison évidente : après cette épidémie, les citoyens ne l'accepteront plus.

Les Français attendent que les richesses du pays soient investies dans ce qui leur apporte le plus : la santĂ©. 

Axel Kahn

Ă  franceinfo

Aujourd'hui, un trader est bien mieux payĂ© qu'un mĂ©decin ou qu'un infirmier. La rĂ©munĂ©ration est au prorata de la rentabilitĂ© financière, pas de l'utilitĂ©. Inversons cela. Le ministre de la SantĂ© doit ĂŞtre un ministre d'Etat, et augmentons de 20 Ă  25% l'objectif national des dĂ©penses d'assurance-maladie (Ondam). Cessons de voir la dĂ©pendance des personnes âgĂ©es comme un obstacle, un danger budgĂ©taire considĂ©rable. Grâce aux transformations liĂ©es Ă  l'intelligence artificielle, augmentons les investissements dans les mĂ©tiers d'accompagnement, notamment pour le grand âge. LĂ , oui, nous aurons montrĂ© que nous avons compris ce qui s'est jouĂ©.

Laure Artru, rhumatologue au Mans (Sarthe) et membre de l'Association de citoyens contre les déserts médicaux : "Trois consultations par an pour les patients sans médecin"

Dans cette crise, un message a été sans cesse répété : "Contactez, allez voir votre médecin." Mais comment font les millions de Français qui n'en ont pas ? Ils ne téléphonent pas. Nous ne le savons pas encore, mais certains patients seront morts car ils n'auront pas consulté. Vivre dans un désert médical est un drame. Sans médecin, vous perdez votre chance de vie et de survie en bonne santé. En tant que rhumatologue, je dépiste à longueur de journée des cancers, des hypertensions et des maladies cardiovasculaires.

Il faut un rattrapage de soins pour ces patients.

Laure Artru

Ă  franceinfo

Ils devront ĂŞtre reçus au moins trois fois par an par des gĂ©nĂ©ralistes, pour le renouvellement d'ordonnances, la prĂ©vention, le suivi. Une vĂ©rification des reins ou de l'hypertension, une prĂ©vention des cancers en parlant des tests de dĂ©pistage. Nous pouvons mobiliser les mĂ©decins locaux et les jeunes, en leur proposant des consultations mieux payĂ©es, Ă  hauteur de 70 ou 80 euros.

François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France : "Des publicités plus humoristiques pour améliorer la prévention"

En matière de prĂ©vention, comment rĂ©ussir Ă  faire adopter de bons comportements aux Français ? Nous avons vu dans cette crise sanitaire beaucoup de dĂ©fiance Ă  l'Ă©gard de la parole publique, notamment sur l'utilisation des masques et des tests. Il faut une confiance dans la communication de santĂ© publique, c'est très important. Et si vous dites : "Utilisez des masques et des gels hydroalcooliques", il faut s'assurer d'avoir ces masques et ces gels. 

Utilisons les prochaines Ă©pidĂ©mies saisonnières de grippe pour rĂ©expliquer la nĂ©cessitĂ© de la distanciation sociale, des gestes barrières. Cela va armer les Français pour de nouvelles crises majeures, et aider Ă  rĂ©duire la mortalitĂ© inacceptable liĂ©e Ă  la grippe. Mobilisons au plus près des lieux de vie des gens : dans les Ă©coles, invitons les enfants Ă  bien se laver les mains, Ă  mettre des masques. Dans les Ehpad, empĂŞchons les visites de proches malades. Il faut aussi promouvoir le tĂ©lĂ©travail et les tĂ©lĂ©consultations.

Ayons une communication adaptĂ©e aux rĂ©alitĂ©s locales, des relais de terrain et des publicitĂ©s plus humoristiques, mais aussi très prĂ©sentes dans l'espace public, dans les mĂ©dias. Ces campagnes de communication crĂ©eront l'environnement pour ces mesures de prĂ©vention.

Hugo Huon, infirmier, président du collectif Inter-Urgences : "Un mi-temps dans les centres de santé, pour recréer du lien"

Après cette Ă©pidĂ©mie, nous craignons de voir aux urgences des patients qui auront dĂ©compensĂ© complètement, tant sur le plan physique que psychologique. Des personnes qui ont des maladies chroniques et qui ne consultaient plus, des dĂ©couvertes de cancer que l'on ne faisait plus. Il y aura une recrudescence des traumatismes, des violences, des bouffĂ©es dĂ©lirantes et des dĂ©pressions avec ce qui s'est passĂ©. 

Et si les infirmiers des urgences partageaient leur temps de travail entre leur service et des centres de santé ?

Hugo Huon

Ă  franceinfo

Cela n'engage que moi, mais les soignants qui fatiguent pourraient voir des patients dans un autre contexte que celui de l'agressivitĂ© permanente qui règne aux urgences. Cela permettrait de recrĂ©er du lien, de redonner du sens Ă  leur travail, pour qu'ils restent ensuite plus longtemps aux urgences. Ils pourraient apprendre aux patients quand consulter, auprès de qui, pourquoi et comment. Ils parleraient des mĂ©decins traitants, les mettraient en lien avec des spĂ©cialistes. La population comprendrait mieux comment nous travaillons.

Nathalie Coutinet, enseignante-chercheuse Ă  la Sorbonne Paris Nord, membre des Economistes atterrĂ©s : "Revaloriser la rĂ©munĂ©ration des soignants, en s'alignant sur l'Allemagne"

La rĂ©munĂ©ration des soignants des hĂ´pitaux publics, surtout des "non mĂ©decins", est particulièrement faible par rapport Ă  leur qualification. Le salaire moyen des infirmiers est ainsi infĂ©rieur de 5% au salaire moyen des Français (source OCDE). La pandĂ©mie a mis en lumière les difficultĂ©s que cela engendre : des soignants n'ont pas les moyens de se loger près de leur hĂ´pital en Ile-de-France, des postes ne sont pas pourvus parce qu'ils ne sont pas assez attractifs et les hĂ´pitaux manquent de personnel.

A l'issue de cette crise, il faudra donner plus de moyens à l'hôpital pour qu'il puisse remplir sa mission de santé publique. Il faudra revaloriser la rémunération des soignants, en s'alignant sur d'autres pays comme l'Allemagne (où le salaire des infirmiers est supérieur de 13% au salaire moyen, selon les chiffres de l'OCDE). Cela doit s'accompagner d'une amélioration globale des conditions de travail, pour permettre aux hôpitaux de recruter.

Anne Gervais Hasenknopf, hépatologue à l'hôpital Bichat, membre du collectif Inter-Hôpitaux : "Accepter de laisser des lits vides à l'hôpital"

On considère actuellement que les hôpitaux publics doivent être rentables, et donc que tous les lits doivent y être occupés. Mais lorsqu'on raisonne en termes de contraintes budgétaires et non de santé publique, on n'a pas la souplesse nécessaire pour faire face à une crise sanitaire. Cette épidémie a néanmoins montré que lorsqu'on remet le patient au cœur du système, sans penser d'abord au financement, on peut créer des milliers de lits de réanimation pour traiter des malades.

C'est ce que nous rĂ©clamons depuis des mois : une gestion des hĂ´pitaux en fonction des besoins et non en fonction du budget. Il faut Ă©valuer pour chaque service le nombre de soignants et de lits nĂ©cessaires, en acceptant d'en laisser certains vides au lieu de les supprimer. Avoir des chambres individuelles, que l'on peut transformer en chambres doubles en pĂ©riode de crise.

Guy Hascoët, coordonnateur d'une mission sur la relance d'une usine de masques en Bretagne : "Relançons une production hexagonale de masques"

À l'évidence, il va falloir se réorganiser pour reprendre la maîtrise de certaines filières stratégiques, comme celle du matériel de protection contre une pandémie. Ce gain qui conduisait à tout délocaliser est effacé aujourd'hui, tout en exposant la population à l'insécurité.

Reprenons la main. Organisons la production de ces matériels sensibles en France.

Guy Hascoët

Ă  franceinfo

Il faut par exemple relancer une production hexagonale de meltblown, ce matĂ©riel qui est la clĂ© de la performance des masques FFP2. L'Etat doit ensuite Ă©dicter une règle : au nom de la protection sanitaire, autorisons Ă  faire du mieux-disant. Achetons ces fournitures locales plutĂ´t que de recommencer la course au moins-disant. Il faut ensuite une fĂ©dĂ©ration de tous ceux qui utilisent ce matĂ©riel autour de ces projets. Les acteurs mĂ©dico-sociaux sont très lucides sur la pĂ©nurie de masques en France. Voici ce qu'ils nous disent : "Plus jamais ça."

Michèle Delaunay, cancérologue, ex-ministre déléguée aux Personnes âgées : "Les Ehpad doivent devenir des lieux ressources pour le grand âge"

La crise du coronavirus a montrĂ© que nous ne sommes pas du tout armĂ©s pour accompagner le grand âge. Aujourd'hui, les Ehpad sont des lieux fermĂ©s, oĂą l'on va pour mourir. Il faut en faire des lieux permĂ©ables, des lieux ressources pour le territoire oĂą ils sont implantĂ©s. Des lieux d'accueil temporaire, voire d'accueil d'urgence, pour les personnes âgĂ©es pour Ă©valuer leur Ă©tat de santĂ©, les soigner, rĂ©flĂ©chir Ă  leur futur. Il faut permettre l'Ehpad Ă  domicile, avec des employĂ©s qui assurent au moins une partie des soins de maintien chez soi. 

Pour cela, il faut davantage de personnel. Trop d'Ehpad n'ont pas d'infirmières la nuit, pour prendre en charge les rĂ©sidents dont l'Ă©tat se dĂ©grade. Il faut une loi ambitieuse pour mieux accompagner nos aĂ®nĂ©s. Les mĂ©tiers du grand âge doivent ĂŞtre considĂ©rĂ©s comme une voie d'excellence, et non comme des petites mains.

Alexis Dussol, ancien président de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers : "Sortons de la tarification à l'activité"

Avec le Covid-19, nous sommes revenus aux fondamentaux : soigner les gens, guĂ©rir, aider. Il ne s'agit plus de faire primer l'Ă©conomie et la gestion. En faisant cela, nous avions oubliĂ© le soin. La tarification Ă  l'activitĂ© (T2A, une mĂ©thode calculant les ressources d'un Ă©tablissement de santĂ© selon son activitĂ© effective) cristallise le malaise, la rancĹ“ur des soignants. Elle Ă©tait une promesse de dynamisme dans les hĂ´pitaux, de motivation et de justice. Chacun allait obtenir des moyens selon ses activitĂ©s, nous allions travailler plus mais gagner plus. Mais avec cela, une course Ă  l'activitĂ© s'est instaurĂ©e dans les hĂ´pitaux. 

Annonçons clairement une sortie de la T2A (l'ancienne ministre de la SantĂ©, Agnès Buzyn, proposait dĂ©jĂ  de diminuer sa part dans le financement de l'hĂ´pital). Imaginons un système d'enveloppe forfaitaire au parcours, englobant Ă  la fois l'hĂ´pital et la mĂ©decine de ville pour les pathologies chroniques. Ces financements seraient rĂ©gionalisĂ©s pour une meilleure vision des besoins et de l'offre de soins. PrĂ©voyons aussi une enveloppe dĂ©diĂ©e aux urgences, une autre sur l'activitĂ© et une enveloppe mĂ©dicaments, dispositifs mĂ©dicaux et innovations de santĂ©. Il nous faudra aussi une enveloppe pour favoriser la qualitĂ© des prises en charge. Redonnons un sens aux missions des soignants.

Cécile Jaglin-Grimonprez, directrice du CHU d'Angers (Maine-et-Loire) : "Des services d'accès aux soins pour désengorger les urgences."

Vingt-sept centres médicaux de garde ont été créés dans le Maine-et-Loire pour accueillir les cas de Covid-19. Des médecins libéraux s'y relaient, avec notamment des consultations en soirée, ce qui a évité une embolisation des urgences du CHU.

Il faut poursuivre cette dynamique et réfléchir à la mise en place de Services d'accès aux soins (SAS) impliquant la médecine de ville.

Cécile Jaglin-Grimonprez

Ă  franceinfo

En temps normal, 70 à 90% des patients qui se présentent aux urgences ont besoin d'une consultation simple (coupure sans gravité, grippe, foulure…). Des SAS sur le modèle de nos centres Covid traiteraient rapidement ces personnes ou les redirigeraient vers un hôpital, si nécessaire. Cela permettrait aux services d'urgences de se concentrer sur les cas les plus graves. Cette épidémie a permis de rouvrir le dialogue et la coordination entre la médecine de ville et les hôpitaux. Il faut poursuivre dans cette voie.

Amine Benyamina, chef du service de psychiatrie de l'hôpital Paul-Brousse à Villejuif (Val-de-Marne) : "Un décret pour reconnaître les médecins à diplôme étranger"

Les mĂ©decins Ă  diplĂ´me Ă©tranger sont nombreux dans les urgences et en rĂ©animation. Ils sont en première ligne et sur tous les territoires. Cette crise a montrĂ© leur loyautĂ©, la nĂ©cessitĂ© de leur prĂ©sence. Pourtant, leurs statuts sont très prĂ©caires. Leur salaire mensuel est deux Ă  trois fois moins important que celui de leurs confrères français. Certains compensent avec de la permanence de soins (jusqu'Ă  vingt gardes par mois) pour parfois vivre dans une chambre d'Ă©tudiant. 

L'Etat doit très rapidement reconnaĂ®tre ces mĂ©decins Ă  travers un dĂ©cret prĂ©sidentiel ou une loi d'urgence. Ce texte reconnaĂ®trait une Ă©quivalence et l'autorisation d'exercice pour ces soignants. Nous devons les faire entrer dans le droit commun, avec des perspectives de carrière et un rĂ©alignement des rĂ©munĂ©rations. Quant aux futurs prĂ©tendants, il faut organiser des Ă©valuations en fonction des besoins et une reconnaissance quasi-automatique une fois ces Ă©preuves passĂ©es. Si nous souhaitons que l'hĂ´pital marche, ces mĂ©decins doivent y ĂŞtre stabilisĂ©s. Car ils aident Ă  maintenir l'hĂ´pital public Ă  flot.

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