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"La deuxième vague, on la redoute encore, on s'y prépare" : avant le déconfinement, une médecin-urgentiste raconte le combat contre le coronavirus

Valentine Malet est médecin-urgentiste à Paris. Elle témoigne de la situation à l'hôpital. Elle dit craindre le déconfinement, la décompensation et une deuxième vague de contamination. Elle raconte la fatigue, les doutes. Mais aussi la solidarité et "la force du service public hospitalier".

Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Valentine Malet, médecin-urgentiste en région parisienne. (FRANCEINFO)

Depuis le début de la crise sanitaire, elle partage son temps entre le Samu et les urgences de l'hôpital. Médecin-urgentiste en région parisienne, Valentine Malet est sur le pied de guerre depuis deux mois pour faire face à l'épidémie de coronavirus. Comme tous les soignants en première ligne dans cette crise, elle a affronté la vague de contaminations, la mort de nombreux patients, le difficile deuil des familles, la fatigue, mais a aussi été touchée par la solidarité qui s'est exprimée lors de cette crise. Alors que le déconfinement commencera progressivement en France le 11 mai prochain, elle témoigne sur franceinfo sur ce qu'elle constate, aujourd'hui, de la situation sur le terrain et de ce qu'elle anticipe de l'après-confinement. 

franceinfo : Quelle est la situation en ce moment aux urgences de l’hôpital et au Samu, en région parisienne ?

Valentine Malet : Il faut noter qu’on a beaucoup moins de patients atteints du coronavirus ou suspectés de l’être depuis plusieurs jours, à la fois au téléphone en régulation, mais aussi en intervention Smur. Ces derniers jours, aucun patient pris en charge avec mes équipes n'était suspect. Ça fait du bien au moral, après un mois et demi de Covid exclusif. Ce ressenti, nous l'avons aussi aux urgences. Ce que l’on constate également ce sont les conséquences du confinement. Aux urgences, on a pas mal de patients qui viennent pour des phlébites, parce qu’ils sont chez eux et qu’ils ne bougent pas. La nuit dernière, on en a eu quatre ou cinq, et ce n’est pas classique. Par ailleurs, les spécialistes sont très inquiets de ne pas voir leurs patients habituels. Notamment en oncologie, il y a énormément de patients qui annulent leur rendez-vous de chimiothérapie, qui ne veulent pas venir à l'hôpital, par peur d'être touchés par le virus mais aussi, se considérant moins prioritaires aux soins, par peur de déranger les soignants.

Au Samu, on a encore eu des décompensations psychiatriques. On intervient sur des tentatives de suicide, défenestrations, intoxications médicamenteuses volontaires avec des comas profonds. Il s'agit parfois de patients très jeunes.

Valentine Malet

à franceinfo

En régulation, on a des appels pour des errances dans la rue. Des marginaux, des personnes alcoolisées qui chutent, qui sont perdues, qui délirent, des SDF pour la plupart, des toxicomanes, ou des personnes âgées qui décompensent par rapport à l’isolement social. Beaucoup de maraudes sont mises en place pour leur apporter aide et réconfort.

Depuis le début de la crise sanitaire vous êtes au contact de patients atteints de formes graves du Covid-19. Que pouvez-vous dire de cette maladie ?

En plus de la forme respiratoire initiale classique, on découvre beaucoup de symptômes vasculaires liés au Covid-19. Le coronavirus entraîne des atteintes majeures des petits et des gros vaisseaux. Beaucoup de patients atteints font des embolies pulmonaires, sur des lésions sur des gros vaisseaux mais aussi des micro-thrombi des extrémités avec des lésions sur les petits vaisseaux. Par ailleurs, le Covid-19 entraîne fréquemment des oppressions thoraciques, qui peuvent durer pendant plusieurs semaines.

C’est un virus très complexe, qui fait beaucoup réfléchir d'un point de vue sémiologique. On ne connait pas encore vraiment son évolution naturelle chez les patients atteints.

Valentine Malet

à franceinfo

Il arrive que les symptômes chez certaines personnes durent beaucoup plus longtemps que les 14 jours préconisés, parfois un mois, un mois et demi. Dans le même ordre d'idée, au début on parlait surtout des symptômes ORL et respiratoires, mais on se rend compte qu’il y a de plus en plus de gens qui ont d’autres symptômes, cutanés, cardiaques, neurologiques.  

Valentine Malet, médecin-urgentiste à Paris, lors d'un transport sanitaire en TGV. (FRANCEINFO)

Qu’en est-il de la pénurie de matériel aux urgences ?

Là, on commence à manquer de blouses, donc on lave nos blouses jetables, qui ne sont même pas adaptées pour voir des patients atteints du Covid-19 puisqu’on a actuellement des blouses kimono qui ne protègent pas énormément puisqu’on a tout le cou ouvert et on n’est pas protégé au niveau des avant-bras. Et comme on commence à manquer de charlottes, beaucoup de soignants ont leur propre calot maison, en tissu. C’est assez sympa, tous ces visages rehaussés de couleurs différentes !

Est-ce que vous sentez que la solidarité envers les soignants est toujours présente ?

Oui, il y a encore beaucoup de solidarité. Un de mes voisins arrose mes hortensias... Ils sont tous à leur fenêtre au bout de ma rue à applaudir les soignants à 20h et souvent, ils en profitent pour me demander comment ça va et me remercier. Ça me touche beaucoup. A l’hôpital c’est pareil, les habitants du quartier sont extrêmement généreux. 

Il y a même des gens qui nous envoient leurs médicaments. On n'en parle pas trop mais c’est assez impressionnant. Beaucoup d’enfants, aussi, qui nous font des dessins. C’est vraiment mignon.

Valentine Malet

à franceinfo

Il faut savoir aussi que depuis quelques jours, à l’hôpital, il y a une équipe de coiffeurs professionnels disponible pour nous faire une petite coupe de cheveux à sec. Ça devrait améliorer le rendu visuel global du service après de longues semaines de cheveux laissés en jachère ! 

Est-ce que vous appréhendez le déconfinement ?

On craint le déconfinement avec le retour des Parisiens, d'une part, mais aussi le risque de propagation du virus dans d'autres régions avec les éventuels départs en vacances. Une deuxième vague peut toujours apparaître, n’importe quand. Il faut rester vigilant. En pré comme en intra-hospitalier, nous restons tous mobilisés. On va aussi avoir des effets du déconfinement, sûrement des excès en tout genre, avec la reprise des soirées, des sorties dans les bars et de tout ce que les gens n’ont pas pu faire pendant tout ce temps-là. Il va forcément y avoir un pic d'activités extrêmes dans la population et donc un pic d'exercice pour nous. Il va y avoir une reprise de l’activité hospitalière, notamment toutes les chirurgies non urgentes et programmées qui avaient été annulées. Ça va nous donner du travail aux urgences puisqu’on va avoir les décompensations de pathologies chroniques mais aussi le flux habituel lié à l'activité hospitalière.

Après ces deux derniers mois sous très haute tension, pensez-vous être mieux préparés à faire face à une deuxième vague si elle devait arriver ?

Evidemmment, la deuxième vague, on la redoute toujours, on s'y prépare. Dans nos esprits, on s'est toujours dit qu'on aurait un pic et ensuite une deuxième vague. Dans cette perspective, on a fait des économies de matériel, déjà parce qu'on en manque au quotidien et qu'on sait qu'on risque d'en avoir besoin. On s'y prépare aussi en ménageant les équipes au maximum. Dès le départ, la stratégie dans mes deux services a été de ménager certains médecins ou paramédicaux pour que tout le monde ne soit pas fatigué quand la deuxième vague arriverait. 

On est tous devenus un peu experts du coronavirus, on n'a fait que ça pendant plus d'un mois. Mais même si on est tous devenus assez intimes avec le sujet, le problème du coronavirus c'est que les connaissances évoluent tous les jours.

Valentine, médecin-urgentiste

à franceinfo

Il y a des nouveaux symptômes qui apparaissent, il y a des nouveaux traitements qui sont proposés et expérimentés, avec beaucoup de protocoles de recherche mis en place. Là, on se rend compte qu'il commence à y avoir une sémiologie pédiatrique, qui n'était pas connue. Peut-être que dans un mois on aura d'autres symptômes. Et donc dans cette mesure-là, on n'est pas forcément bien préparés.

Les équipes soignantes sont très résilientes, elle se sont adaptées. C'est vraiment une force du service public hospitalier. Et ça nous servira pour la deuxième vague. Mais on reste quand même humain. Jusque-là, tout le monde reste fort et mobilisé mais certains soignants commencent à être fatigués. On a tous vécu des choses difficiles, on a dû accompagner des patients qui mourraient, et ça nous a tous marqué. Il y aura sûrement un avant et un après.

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