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"Je vous appelle parce que vous avez été identifié comme contact" : comment les épidémiologistes mènent l'enquête pour bloquer le Covid-19

Pour chaque patient infecté, retrouver les personnes avec lesquelles il est entré en contact : c'est la mission du "contact tracing" confiée aux médecins de Santé publique France pour contenir l'épidémie de coronavirus Covid-19. 

Article rédigé par Solenne Le Hen - Édité par Thomas Pontillon
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La salle où les épidémiologistes contactent tous les malades potentiels du coronavirus Covid-19.  (SOLENNE LE HEN / RADIO FRANCE)

C’est dans une pièce tout à fait banale qu’une dizaine d’épidémiologistes enquêtent 24 heures sur 24, au siège de l'Agence Santé publique France à Saint-Maurice (Val-de-Marne). Pour chaque cas positif au coronavirus Covid-19 en France, une enquête est lancée pour retrouver qui a contaminé ce malade. C'est ce que le jargon médical désigne comme le "contact tracing". L'objectif : retrouver les personnes que la personne contagieuse a pu contaminer à son tour pour les prévenir et les confiner.

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Au téléphone, les médecins multiplient les appels. "Bonjour, je suis épidémiologiste à Santé publique France. Je vous appelle parce que vous avez été identifié comme contact d'un malade." Après avoir discuté avec une patiente testée positive, ils appellent toutes les personnes qu’elle a côtoyées ces derniers jours. "La dernière fois que vous l'avez vue, c'était mardi ? Est-ce que vous vous êtes parlé de façon prolongée ? Vous êtes plutôt un contact à risque modéré à élevé. On préconise un isolement à domicile pendant 14 jours", conclut l'épidémiologiste auprès de la personne au téléphone, potentiellement infectée.

Après cet interrogatoire mené au téléphone, les personnes contactées sont classées selon trois niveaux de risque : nul-négligeable, faible, modéré-élevé. Des instructions sont ensuite données aux personnes selon leur niveau de risque. Pour le plus élevé, c'est le confinement pour 14 jours, durée maximale estimée de la période d'incubation.

Freiner la progression du virus

L'objectif du "contact tracing" est de trouver des ramifications entre patients, de confiner celles qui ont été en contact rapprochés avec le malade, voire détecter directement de nouveaux cas. En cas de toux, les médecins vont demander à la personne au téléphone d'appeler le Samu. "Si ces personnes deviennent malades, on s'assure de leur prise en charge rapide de manière à ce qu'il n'y ait pas de nouvelles chaînes de transmissions générées", explique à franceinfo Alexandra Maille, épidémiologiste à Santé publique France.

Alors que près de 200 cas sont déjà confirmés en France, l'épidémie guette. Malgré tout, ces enquêtes permettent de limiter la propagation rapide du coronavirus Covid-19, selon Alexandra Maille. "Dans les régions où il y a peu de cas, c'est très intéressant parce que ça permet de limiter encore la diffusion d'une manière importante et donc d'avoir des régions qui sont pour le moment préservées." Selon cette épidémiologiste, il faut aussi poursuivre cet effort dans les régions plus touchées. "L'intérêt de poursuivre le contact tracing, c'est d'essayer quand même de freiner la progression autant que possible pour ne pas surcharger les systèmes de soins". 

Plus on ralentit l'épidémie, plus on évite des cas et plus on évite des pathologies graves chez les plus vulnérables. Ça vaut toujours le coup de mobiliser des moyens là-dessus.

Alexandra Maille

à franceinfo

Depuis les premiers cas apparus dans notre pays il y a un peu plus d'un mois, Santé publique France a déjà passé 1 000 appels. Jusqu'à présent l'efficacité de ces enquêtes s'est révélée positive. Pendant un mois, Santé publique France a pu comprendre comment avait été infecté chaque malade : les premiers revenaient de Chine ou avaient été en contact avec des voyageurs chinois. Et jusqu’à la semaine dernière, on était parvenus à contenir totalement la propagation du virus.

Cibler les "clusters" 

Mais avec l'arrivée du virus à nos frontières, notamment en Italie, la propagation a été beaucoup plus difficile à stopper. D'ailleurs, depuis quelques jours, le rôle des enquêtes de "contact tracing" a changé. Elles permettent d’identifier ce que les médecins appellent des clusters, des foyers de cas, comme par exemple ce chef d’entreprise à La Balme-de-Sillingy (Haute-Savoie) qui a contaminé sa femme puis sa fille.

Dans ce cas précis, c’est assez facile de retrouver les premières personnes touchées car ce sont des très proches. Mais à La Balme-de-Sillingy, le coronavirus Covid-19 a fini par contaminer un ami du premier patient, puis d’autres personnes de la commune qui se sont ensuite contaminées entre elles, jusqu’au maire lui-même. Le bilan est aujourd'hui de 19 cas. Le but de l’enquête épidémiologique, c’est désormais qu’au sein de ce foyer de coronavirus, aucun malade éventuel ne passe en dehors des mailles du filet et qu’on repère les nouveaux cas le plus vite possible. Objectif : limiter l’épidémie à cette zone et éviter qu'elle ne se propage dans tout le département.

Retrouver le patient-zéro

Les enquêtes de "contact tracing" n'aboutissent pas toujours. Par exemple dans l'Oise, les épidémiologistes ont retrouvé le lien entre les deux premiers malades identifiés. Il s'agissait d'un agent de la base aérienne militaire de Creil et d'un enseignant à Crépy-en-Valois, qui est décédé. Ce lien : une personne à la fois amie de l’un et collègue de l’autre sur la base militaire. En revanche, l'enquête n'a pas permis de retrouver le patient zéro. Qui est la personne qui a propagé le virus en premier dans cette zone ? À mesure que les jours avancent, l’espoir de le retrouver est mince. Il s’agit certainement d’un malade qui avait très peu de symptômes, voire pas du tout.

Dans ce contexte, les médecins ont perdu du temps : quand le coronavirus a été détecté en fin de semaine dernière, le virus circulait déjà depuis plusieurs semaines dans l’Oise. Aujourd’hui on est à 60 cas dans le département.

Comment les épidémiologistes mènent l'enquête pour retrouver les personnes touchées par le Covid-19 - Le reportage de Solenne Le Hen

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