Cet article date de plus de trois ans.

Enquête franceinfo Coronavirus : peut-on se fier aux tests sérologiques proposés par les laboratoires ?

Article rédigé par Juliette Campion, Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Les autorités sanitaires ont publié le 21 mai une liste de tests jugés assez précis pour être remboursés. Mais des patients ont été testés depuis le mois d'avril, à l'aide de kits dont certains n'ont pas encore été validés.

Vous l'avez peut-être déjà expérimenté : depuis début avril, une grande partie des laboratoires d'analyse de France proposent de réaliser un test sérologique du Covid-19. La promesse est différente de celle des tests PCR. Il ne s'agit pas de diagnostiquer la maladie mais de savoir si on a été, depuis le début de l'épidémie, "en contact" avec le virus, en observant si le système immunitaire a développé des anticorps contre lui. Si aucun décompte national n'existe, de nombreux Français en ont effectué ces dernières semaines – à Poitiers, par exemple, France 3 rapporte une explosion de la demande depuis le déconfinement, avec 200 tests par jour dans un seul réseau de laboratoires. Parfois à la demande de leur médecin ou de leur propre initiative.

J'étais persuadée d'être positive, mais ce n'était pas confirmé. J'ai pensé que le savoir pourrait être utile plus tard.

Emilie

à franceinfo

Problème : ce n'est que le 21 mai que le ministère de la Santé a dévoilé une première liste de tests jugés fiables. Certains kits utilisés ces dernières semaines n'y figurent pas ou du moins pas encore. Annoncés un temps comme un outil central post-confinement, les tests sérologiques n'occupaient déjà pas une place aussi importante que prévue dans le plan de déconfinement du gouvernement. "Lorsque vous avez 40% d'échec dans la lecture d'un test, concevoir une politique de santé publique avec ce niveau d'incertitude, c'est une très mauvaise idée", avait ainsi lancé Edouard Philippe devant les députés, fin avril. Dès lors, peut-on faire confiance à ces tests proposés au grand public au même moment ? Et les laboratoires sont-ils allés trop vite ?

Des tests qui ont forcément une marge d'erreur

Pour comprendre la complexité de cette question, il faut d'abord rappeler ce qu'est la sérologie : une technique fondée sur la recherche d'anticorps, dont la présence constitue une trace du passage du virus dans l'organisme. Dans le cas du Covid-19, elle ne permet pas encore de savoir si un malade est immunisé contre une nouvelle contamination – même si de nombreux acteurs pensent que cette immunité finira par être démontrée (une récente étude du CHU de Strasbourg et de l'Institut Pasteur va notamment dans ce sens). L'utilité principale de ces tests, aujourd'hui, est de confirmer une contamination passée. Mais même dans cette optique, leur précision n'est pas parfaite. 

En biologie, tous les tests peuvent produire des 'faux positifs' et des 'faux négatifs'. Une fiabilité de 100% n'est pas possible, mais il faut s'approcher de la perfection.

Lionel Barand, président du Syndicat des jeunes biologistes médicaux

à franceinfo

Dans un cahier des charges publié début mai, la Haute Autorité de santé a défini un seuil de performances minimum qui laisse la place à une marge d'erreur : entre 90 et 95% de sensibilité (la capacité du test à détecter la présence d'anticorps, et de ne pas déclarer à tort le patient négatif) et 98% de spécificité (sa capacité à ne pas confondre les anticorps du Covid-19 avec ceux luttant contre un autre virus, et de déclarer à tort le patient positif).

Le tableau est compliqué par l'existence de deux types de tests, à la fiabilité variable. Les tests rapides, premiers arrivés sur le marché, peuvent être réalisés en laboratoire, en pharmacie ou par les patients eux-mêmes (mais la HAS juge l'utilisation de ces derniers "prématurée" en raison notamment de la difficulté de les interpréter sans un professionnel). Une goutte de sang (ou de sérum, c'est-à-dire du sang passé à la centrifugeuse pour en retirer les globules rouges) est posée sur une bandelette qui réagit aux anticorps et indique simplement s'ils sont présents ou non.

Un technicien effectue un test rapide de sérologie du Covid-19 dans un laboratoire à Liège (Belgique), le 20 avril 2020. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Les tests automatisables, en revanche, nécessitent une machine spécialisée mais permettent de connaître le taux d'anticorps dans le sang. Ils sont donc "plus informatifs et souvent plus performants", estime Lionel Barand. Car les tests rapides sont d'une qualité très variable.

Une offre imparfaite pour répondre à la demande

Pour mettre de l'ordre dans cette offre, les autorités sanitaires ont confié au Centre national de référence (CNR) – composé en réalité de deux laboratoires, à l'Institut Pasteur et aux Hospices Civils de Lyon – la tâche de mesurer leurs performances. Mais cette phase a pris plus de temps que l'espéraient les acteurs du secteur. Entre temps, la seule exigence imposée pour proposer un test était le marquage CE, qui indique que les kits sont en conformité avec la législation européenne.

En réalité, ce marquage ne certifie pas grand chose. "Il n'est pas gage de qualité. Il répond aux normes européennes mais c'est purement déclaratif", assure Francis Guinard, secrétaire général du Syndicat des biologistes. "Ce n'est ni plus ni moins qu'une déclaration du fabricant, qui dit 'mon test fait ceci, fait cela', abonde Claude Cohen, président du Syndicat national des médecins biologistes. Le test peut être nul, comme il peut être extraordinaire." Cette norme était pourtant la seule qui s'imposait jusqu'au 21 mai.

Mais beaucoup de laboratoires l'assurent : ils ne pouvaient pas attendre la liste des tests validés pour proposer la sérologie.

On avait une pression énorme des partenaires prescripteurs, des infirmiers libéraux, des communes, des entreprises... Tout le monde nous demandait des tests sérologiques.

Charles Pax, directeur général des laboratoires EspaceBio

à franceinfo

"Beaucoup de gens trépignaient et ne comprenaient pas pourquoi on attendait autant", confirme Michel Bodard, responsable d'un laboratoire à Sète (Hérault).

"C'était le Far West, il fallait faire le tri"

Il faut dire que fin mars, le contexte était bien différent : les tests sérologiques étaient alors présentés par le gouvernement comme une des clefs de voûte du déconfinement. Le 25 mars, le ministre de la Santé Olivier Véran assurait que la sérologie permettrait de "préparer le pays pour la phase essentielle de déconfinement, là où il faudrait être capable de dire aux Français s'ils ont eu la maladie ou s'ils ne l'ont pas eu". Des premiers tests sérologiques sont donc proposés par certains laboratoires dès le début du mois d'avril. 

Dans l'Est, des groupes concurrents se sont livrés une bataille totalement ridicule pour être les premiers à avoir leurs tests. C'était un peu la course à l'échalote. Ils ont pris de gros risques.

un biologiste anonyme

à franceinfo

Pour ne pas être pris de vitesse, certains laboratoires français ont en effet délaissé leurs fournisseurs habituels, dont les tests n'étaient pas toujours prêts, pour se tourner vers d'autres partenaires. Le groupe EspaceBio a ainsi opté dans un premier temps pour un test automatisable de l'entreprise sud-coréenne Orgentec, car Roche, avec qui ils travaillent habituellement, "n'était pas prêt", explique ainsi Charles Pax. 

"En avril, seuls les fournisseurs chinois avaient des tests sérologiques rapides et il y en avait une bonne centaine. C'était le Far West, il fallait faire le tri", raconte Etienne Couëlle, directeur général du réseau de laboratoires Synlab. "D'habitude, nos biologistes écartent les tests chinois. Les fournisseurs occidentaux habituels leur semblent plus sûrs. Mais là, la pression était telle qu'ils ont été tentés. Il a fallu freiner leurs ardeurs et prendre le temps de sélectionner les bons kits." Car tous ces tests n'ont pas la même qualité, explique un de ses confrères.

On a vu arriver sur le marché des Trod [des tests rapides à réaliser en pharmacie] de provenances parfois douteuses. On a évalué quelques-uns de ces kits et vu des performances très variables. Certains étaient tout à fait recommandables mais d'autres très mauvais.

Jean-Philippe Galhaud, directeur des affaires médicales des laboratoires Labexa

à franceinfo

Des laboratoires se sont retrouvés démarchés quotidiennement. "Comme pour les masques et le gel hydroalcoolique, on recevait des e-mails toutes les semaines de gens dont on n'avait jamais entendu parler, qui nous proposaient de nous vendre des tests. Quand on ouvrait la fiche technique et qu'on demandait leurs performances, on s'apercevait qu'ils avaient été testés sur 15 patients seulement", déplore Nathalie Colard, présidente de l'Union régionale des biologistes Hauts-de-France. 

Des évaluations fait maison par les laboratoires

Pour y voir plus clair, certains groupes expliquent avoir procédé à leurs propres évaluations. En temps normal, ce sont les laboratoires qui s'assurent eux-mêmes que les performances des tests qu'ils emploient correspondent aux promesses des fabricants. Le groupe Synlab a ainsi testé une dizaine de kits différents, pour en retenir un principal et quatre autres pour des usages d'appoint, explique Etienne Couëlle. D'autres se sont reposés sur les tests effectués par des laboratoires réputés. C'est le cas du réseau Biogroup, qui a opté pour le kit de l'entité strasbourgeoise Biosynex après qu'il ait été "validé par les CHU de Strasbourg et de Montpellier", explique Thierry Bouchet, son directeur général.

Mais pour certains biologistes, ces garanties ne sont pas suffisantes. Nathalie Colard, à la tête d'un laboratoire indépendant dans le Nord-Pas-de-Calais, a par exemple préféré attendre les validations du Centre national de référence. "On avait deux possibilités. Soit acheter les tests en ne sachant pas ce qu'ils valaient, et les tester chez nous. Mais nous n'avons pas les compétences du CNR, donc il y a un risque d'erreur. Soit on attendait la validation du CNR", explique la biologiste à franceinfo.

Je ne veux pas rendre des résultats, surtout en les facturant au patient, alors que je ne suis pas sûre de la fiabilité de mes tests.

Nathalie Colard

à franceinfo

Richard Fabre, président de l'Union régionale des biologistes d'Occitanie, a aussi poussé pour cette approche auprès de ses confrères : "Dans la région, j'ai milité très fort pour qu'on attende d'avoir des tests validés pour se lancer", tranche ce gérant d'un laboratoire près de Toulouse (Haute-Garonne). "Beaucoup d'espoirs ont été placés dans la sérologie, constate-t-il, ce qui explique pourquoi les labos se sont tous mis à proposer ces tests sous leur propre responsabilité. Sauf qu'entre-temps, c'est le test PCR qui est devenu le test majeur pour le déconfinement et la surveillance de la population."

Six tests recalés par les autorités

La liste des tests validés par le ministère de la Santé, finalement publiée le 21 mai, n'a pas simplifié les choses pour tout le monde. Deux des réseaux de laboratoires ayant répondu à franceinfo ont ainsi découvert que des tests qu'ils avaient utilisés n'y figuraient pas. Le réseau Labexa, qui regroupe 90 sites en Nouvelle-Aquitaine, utilise principalement le test automatisable d'un des géants du secteur mais aussi "une autre solution, d'un fabricant chinois, Snibe", explique Jean-Philippe Galhaud, le directeur des affaires médicales du groupe. Celle-ci montre "de bonnes performances" et elle est utilisée "par je ne sais pas combien de centres hospitaliers", assure-t-il. Mais elle n'est pas dans la liste.

Même souci pour le groupe EspaceBio, qui compte une centaine de sites dans le Grand-Est, et utilise, comme solution d'appoint, un test automatisé de l'entreprise sud-coréenne Orgentec. Charles Pax, le directeur général du groupe, s'étonne de ne pas le retrouver sur une liste qui inclut pourtant un autre test qui ne vaut "pas un clou", selon les analyses de son entreprise. Celle-ci est d'autant plus dans l'embarras qu'elle a aussi fait l'acquisition, sans l'utiliser pour l'instant, d'un test DiaSorin qui n'a pas non plus reçu le feu vert des autorités.

Les patients ont-ils été testés avec des kits qui n'atteignent pas les seuils de fiabilité de la Haute Autorité de santé ? Difficile à dire pour l'instant, car ce n'est pas parce qu'un test ne figure pas sur la liste qu'il n'est pas validé – certaines évaluations du Centre national de référence sont toujours en cours et le laboratoire continue de recevoir de nouveaux produits. Par ailleurs, le ministère de la Santé ne rend pas publique la liste des tests ayant reçu une évaluation négative. Le CNR assure avoir transmis 49 évaluations aux autorités, et 46 tests apparaissaient sur la liste du gouvernement samedi. Il est donc possible que trois tests aient été recalés. Interrogée par franceinfo, la direction générale de la santé refuse de le confirmer et invite les laboratoires qui "souhaitent avoir des informations concernant les résultats et le processus de validation" à la contacter.

Faute de liste, impossible de savoir si les kits ont été jugés pas assez fiables ou si leur évaluation n'est pas terminée. Les dirigeants des entreprises concernés se défendent et affichent leur confiance. "On a évalué ce test, nous n'avons pas de doute sur sa qualité", assure-t-on chez Labexa, à qui le fournisseur a assuré avoir fait toutes les démarches demandées par le Centre national de référence et attendre une réponse. Les groupes Labexa et EspaceBio affirment en tout cas qu'ils n'utiliseront plus les tests en question tant qu'ils ne sont pas validés – un arrêté publié le 20 mai ne semble de toute façon pas leur laisser le choix. Mais ce qui se passera en cas d'évaluation négative est plus flou. 

Quand on verra qu'un labo a utilisé un test peu fiable, ce sera au patient de se retourner contre lui. La justice décidera.

Francis Guinard, secrétaire général du Syndicat des biologistes

à franceinfo

"Ou alors le laboratoire acceptera de refaire un test pour les rassurer", ajoute Francis Guinard. C'est ce qu'envisage Jean-Philippe Galhaud, qui rappelle qu'il existe des procédures quand un test se révèle défectueux. "Nos avocats nous ont rassurés en disant qu'on avait fait ce qu'il fallait" en terme d'évaluations, confie de son côté Charles Pax.

Des patients déçus

Quand ils ont déboursé entre 20 et 55 euros pour se faire tester, la dizaine de patients qui ont témoigné auprès de franceinfo étaient rarement au courant des doutes qui entouraient la pratique. Aucun n'a été informé en amont par son laboratoire que ces tests n'avaient pas encore été validés par le ministère ni que leur fiabilité n'était pas de 100%. Le fait que les anticorps ne confèrent pas d'immunité est mentionné sur les sites des groupes de biologie médicale, mais pas toujours lors de la consultation.

Les résultats, en revanche, sont accompagnés de formules de précaution – un laboratoire indique par exemple que le verdict est "à interpréter avec prudence" et que "quel que soit le résultat de votre examen, vous devez absolument continuer à appliquer les gestes barrières". D'autres mentionnent, parfois en petits caractères, l'absence d'évaluation par le Centre national de référence.

Certains des patients contactés par franceinfo s'avouent déçus. "Je me suis posée beaucoup de questions concernant la fiabilité de ce test, vu à quel point j'ai été malade", avoue Laura, dont le test s'est avéré négatif, alors qu'un pneumologue lui avait diagnostiqué, sans dépistage, le Covid-19. "A posteriori, nous avons appris que les tests n'étaient pas encore validés, s'agace de son côté Maryse. En fait, on s'est fait avoir de 38 euros."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.