Déconfinement : "On est en train de faire quelque chose qui est maltraitant pour les enfants de maternelle", estime une directrice d'école
Catherine Da Silva, représentante du SNUipp 93, dénonce un "acharnement" du gouvernement. "On demande aux enfants d'être responsables d'eux-mêmes, d'être responsables des camarades, et ils seront assis sur une chaise" toute la journée, s'emporte-t-elle.
Catherine Da Silva, directrice d’une école élémentaire à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), représentante du SNUipp 93 (Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC), a dénoncé vendredi 8 mai "l'acharnement" du gouvernement "à vouloir absolument que tout le monde reprenne le chemin de l'école", alors que le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, a annoncé que 85% des écoles vont rouvrir à partir de mardi. Les niveaux de grande section de maternelle, le CP et le CM2 seront privilégiés, lors de cette première phase de déconfinement. "C'est incroyable ce qu'on demande aux enfants, estime Catherine Da Silva. On en train de faire quelque chose qui est même maltraitant pour les enfants de maternelle."
franceinfo : En tant que directrice d’école, êtes-vous prête pour la rentrée ?
Catherine Da Silva : Ah non, pas du tout. Mais c'est d'ailleurs pour ça que nous ne rentrerons que le lundi 18 mai. Parce que, de toute façon, il y a tellement de choses à mettre en place que c'était impossible avant. Ce n’est pas moi qui ai décidé, c'est le maire parce que la grosse problématique avec ce protocole, c'est qu'il nous faut des agents de nettoyage en nombre important.
Il faut tout organiser. Ils bâchent. Ils enlèvent les objets pour les enfants. On met les tables une par une, on marque au sol des passages.
Catherine Da Silva, directrice d'une école élémentaireà franceinfo
Enfin, c'est très, très, très complexe et ça prend énormément de temps. Surtout dans une ville comme Saint-Denis quand on a beaucoup d'écoles.
La menace d’un droit de retrait plane chez les enseignants. Ils seront présents lundi dans les écoles de Saint-Denis ?
Dans notre cas, sur la ville de Saint-Denis, oui parce qu'il n'y a que huit groupes scolaires qui sont ouverts. Mais je sais que les collègues dans d'autres villes sont extrêmement en colère de ce qu'on leur demande de faire. Ça heurte notre éthique professionnelle. Le protocole qu'on met en place, on n'a aucune certitude sur sa faisabilité. C'est quand les enfants seront là qu'on sera à l'épreuve des faits.
Les conditions dans lesquelles on va accueillir les enfants, c'est tellement loin de ce qu'est une école que ça nous met très en colère.
Catherine Da Silva
On est en train de tester quelque chose d'une ampleur importante sans qu'on ait des garanties de quoi que ce soit. Le Conseil scientifique demandait que les écoles ouvrent en septembre et je pense qu'on aurait dû suivre son avis et prendre le temps de réfléchir à ce qu'on était en train de faire. Là, dans les maternelles, on est, à mon avis, en train de faire quelque chose qui est même maltraitant pour les enfants de maternelle.
C'est pour les maternelles que c’est le plus compliqué, selon vous ?
Pour l’élémentaire aussi parce que, quand même, il y a des petits loups de 6-7 ans. En maternelle, c'est incroyable ce qu'on demande aux enfants : d'être responsables d'eux-mêmes, d'être responsables de leurs camarades. Et ils seront assis sur une chaise toute la matinée, tout l'après-midi, toujours la même chaise, alors que ça n'existe jamais en maternelle ! L'enfant circule dans la classe, joue. Les coins dînette sont retirés, les coins voitures sont retirés. Tout ce qui fait la socialisation de l'école maternelle - et c'est bien pour cela qu'elle existe - n'a plus lieu d'être.
Pour les plus grands, les CP par exemple, cela semble compliqué d'enseigner avec un masque ?
Oui, quand on apprend à lire, par exemple, on voit le visage de l'enseignant qui va former la lettre, le son avec la bouche. Nous, enseignants, on s'approche tout le temps des enfants, par exemple en graphisme pour leur apprendre à tenir leur crayon, à former les lettres. Tout ça sera impossible, désormais. On manipule plein de petits objets que l'on se passe... On ne pourra plus le faire parce que dans le protocole, il est dit que l'on devra tout, tout, tout nettoyer derrière.
Des classes sont restées ouvertes pendant le confinement, pour accueillir les enfants de soignants, par exemple. Quels retours en avez-vous eu ?
On n'avait pas de masques, on n'avait pas de protocole. On a fait avec notre bon sens. Et non, il n'y avait pas de gestes barrière en maternelle ! C'est impossible pour un enfant de maternelle de comprendre la distanciation sociale, de ne pas aller vers ses camarades. Alors, oui on passait plus de temps aux toilettes à se laver les mains... Mais ce n’est pas de l’école ce qu’on a fait dans les écoles pour les élèves de soignants ! On a essayé de faire au mieux, de les accueillir, de leur assurer une sécurité affective, mais ce n'était pas de l'école. Et ce qu'on va faire en ouvrant les écoles à partir de maintenant, avec ce protocole, ce ne sera pas de l'école non plus. Je ne comprends pas cet acharnement à vouloir absolument que tout le monde reprenne le chemin de l'école, comme dit monsieur Blanquer, alors que ce n'est pas le cas de toute façon. Il y a très peu d'enfants qui vont retrouver le chemin de l'école. Et ce n'est pas l'école.
Il faut arrêter de dire que c'est l'école. Ce n'est pas vrai. C'est un endroit où on va stocker des enfants !
Catherine Da Silva
On va essayer de faire au mieux en tout cas, en tant qu'enseignant, pour ce ne soit pas anxiogène, mais ça reste des conditions d'apprentissage pour les enfants extrêmement difficiles.
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