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Covid-19 : les "vaccinodromes" font-ils défaut à la France ?

Plusieurs pays européens, et notamment l'Allemagne, ont aménagé des espaces publics afin de lancer leur campagne de vaccination. Echaudée par l'expérience de la grippe H1N1 en 2009, la France semble, de son côté, privilégier les cabinets médicaux.

Article rédigé par franceinfo
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Des employés de la Croix-Rouge allemande et des militaires patientent le 27 décembre dans un "vaccinodrome" mis en place à Berlin (Allemagne) dans le cadre de l'épidémie de Covid-19. (MARKUS SCHREIBER / AP / AFP)

Dimanche 3 janvier, en France, un peu plus de 400 personnes simplement ont reçu une première dose du vaccin développé par Pfizer et BioNTech. Ce nombre paraît bien modeste en comparaison du Royaume-Uni ou de l'Allemagne, même si un rattrapage est attendu dans les prochaines semaines. Ce "retard" fait naître une certaine impatience et des observateurs citent l'exemple des "vaccinodromes" allemands, ces centres ouverts dans des gymnases et conçus pour délivrer le vaccin à grande échelle.

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Les images ont été reprises dans tous les médias : des espaces flambants neufs, un personnel en nombre satisfaisant et des petits espaces isolés. Au total, 440 "vaccinodromes" devraient avoir été ouverts en janvier sur le territoire allemand, selon le Süddeutsche Zeitung (article en allemand). Ces centres sont placés sous la responsabilité des différents Länder, qui supervisent toutes les étapes, de la construction à la gestion. Les vaccins de Pfizer/BioNTech arrivent des congélateurs des hôpitaux, puis ils sont dilués et préparés sur place. 

Un centre de vaccination installé dans le hall des fêtes de Francfort (Allemagne), le 31 décembre 2020. (BORIS ROESSLER / DPA / AFP)

Les capacités sont là, mais l'affluence n'est pas toujours au rendez-vous. A Berlin, faute de réservations, un "vaccinodrome" a par exemple dû fermer ses portes pendant quatre jours à compter du Nouvel An, rapporte le Berliner Zeitung (en allemand). Le 29 décembre, il n'avait reçu que 500 personnes, alors qu'il peut en accueillir 5 000 par jour. Outre cet engouement modéré, des difficultés logistiques ont également entraîné des fermetures temporaires au niveau local. Les approvisionnements parfois capricieux suscitent de nombreux débats sur la lenteur de la campagne de vaccination, alors même que le pays a pour l'heure une avance énorme sur la France.

La première phase allemande vise une population beaucoup plus large

La stratégie allemande, en revanche, semble efficace pour vacciner les résidents des centres de repos ou médicalisés. Ces derniers reçoivent directement la visite d'équipes mobiles mises en place au niveau local. Au 2 janvier, 238 809 personnes avaient été vaccinées en Allemagne, selon les données de l'Institut Robert-Koch (contenu en allemand), dont près de 104 000 dans des maisons de retraite et établissements de soin. En ce qui concerne cette population très spécifique, l'écart entre l'Allemagne et la France ne peut donc pas être expliqué par l'absence de "vaccinodromes".

De manière générale, en Allemagne, la première phase de la campagne vaccinale concerne une population plus large qu'en France, ce qui justifie l'existence de ces lieux de vaccination de masse. A côté du personnel et des résidents des maisons de retraite, le personnel médical et les personnes à risque sont également concernés, soit 8,6 millions de personnes.

En France, la priorité est accordée aux résidents et membres du personnel des Ehpad et unités de soin à longue durée, soit environ un million de personnes. Les vaccinations sont directement réalisées dans les établissements concernés, ainsi que dans les hôpitaux pour les soignants de plus de 50 ans, récemment ajoutés à la liste.

Sous la pression d'une partie de la classe politique, mais surtout de nombreux médecins, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé jeudi sur Twitter que de premiers centres allaient ouvrir en ville "avant début février" pour commencer la vaccination des "personnes âgées de 75 ans et plus, puis les 65 ans et plus, etc.".

Le précédent du H1N1 en 2009

Il ne s'agira pas de "'vaccinodromes' géants nécessitant des kilomètres de déplacement mais, à terme, des lieux en grande proximité dans nos communes", a précisé le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, dimanche dans Le Parisien (article pour les abonnés)Ces centres seront ouverts pour la deuxième des trois phases de vaccination en France, destinée aux personnes fragiles en raison de leur âge ou de leur pathologie, soit potentiellement 14 millions de personnes.

Mais au-delà des différences entre les stratégies vaccinales, une raison psychologique explique également la frilosité française. "On avait essayé [les 'vaccinodromes'] en France, ça n'avait pas marché", a expliqué Olivier Véran sur France 2, le 29 décembre, en référence à la campagne contre la grippe H1N1 de 2009. Plus récemment, et dans un autre registre, les récentes opérations de dépistage massif du Covid-19, menées par exemple au Havre (Seine-Maritime), n'ont pas rencontré le succès escompté.

"Les crises passées laissent des empreintes très fortes sur les décisions des autorités sanitaires. Nous nous dirigeons probablement vers une vaccination de proximité", indiquait début décembre l'infectiologue Anne-Claude Crémieux, interrogée par Le Figaro (article pour les abonnés). Le Premier ministre, Jean Castex, estimait à la même époque "souhaitable que le médecin généraliste soit au cœur du dispositif, et en particulier le médecin traitant", une formule largement plébiscitée par les syndicats de médecins. En 2009, "il y avait un important fractionnement des tâches et on a multiplié le risque d'erreurs", rappelait fin novembre sur franceinfo Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers.

Faciliter la logistique

Le lien de confiance entre le patient et le médecin est en effet précieux, mais les débuts cahin-caha de la campagne vaccinale française ont toutefois relancé le débat. La mise en place des "vaccinodromes" est "la seule solution pour vacciner rapidement" et sortir de la période de flottement actuel, considère désormais Mehdi Mejdoubi, chef de pôle au centre hospitalier de Valenciennes (Nord), interrogé sur BFMTV. "On a besoin d'une vaccination de masse", ajoute l'infectiologue Jean-Paul Stahl, cité dans Le Parisien (article pour les abonnés)Certains responsables politiques locaux, d'ailleurs, se préparent déjà à accueillir d'éventuels centres.

Autre point de réflexion, puisque l'organisation de la campagne vaccinale repose également sur les caractéristiques mêmes des vaccins disponibles : ceux à ARNm disponibles ou en passe de l'être (Pfizer à -70°C, Moderna à -20°C et ampoules à multidoses) nécessitent une logistique importante, sans doute plus facile à déployer dans des grands centres mieux dimensionnés. D'autres futurs produits, comme le vaccin à vecteur viral d'AstraZeneca (quand il sera autorisé sur le marché européen), pourraient pour leur part offrir un renfort de choix dans les cabinets médicaux.

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