Covid-19 : dans les comptes de Laurent, voyagiste en Gironde, qui tente de "tenir le plus longtemps possible"
Les restrictions sanitaires ont forcé les commerçants à repenser leur activité. Au bord de la faillite, à la peine ou ayant réussi à tirer leur épingle du jeu, ils ont accepté d'ouvrir leur comptabilité à franceinfo. Laurent, propriétaire d'une agence de voyage à Mérignac, près de Bordeaux, dresse le bilan de son année 2020.
Je veux me battre jusqu'au bout", annonce Laurent Menanteau. Cet optimiste père de famille de 49 ans dirige une agence de voyage à Mérignac (Gironde) et se démène depuis le début de l'épidémie pour garder son activité à flot. Avec la crise sanitaire liée au Covid-19 et la fermeture d'une partie des frontières au cours de l'année 2020, son chiffre d'affaires s'est effondré.
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En créant son entreprise en 2016 pour se lancer dans l'industrie du voyage, l'une de ses passions, cet ancien cadre de la grande distribution ne s'imaginait pas rencontrer de tels obstacles. Après avoir ouvert une première agence franchisée dans le centre de Bordeaux, il ouvre une deuxième agence à Mérignac en 2017, mais des soucis de santé et la crise des "gilets jaunes" mettent rapidement son affaire en difficulté. Laurent est même contraint de fermer son agence bordelaise en 2019. En 2020, il comptait sur celle de Mérignac, devenue rentable, pour se relancer. "En mars arrive le Covid, qui met mon exploitation à zéro…"
"C'est extrêmement démoralisant"
A l'annonce du premier confinement, Laurent a d'abord été contraint de gérer les urgences. "Il a fallu s'occuper de nos clients qui se trouvaient aux quatre coins du monde, puis on s'est retrouvés avec une cascade d'annulations, raconte-t-il, plus de 270 dossiers ont été annulés." Laurent a été contraint de fermer son agence lors des deux confinements, puisqu'il rentrait dans la catégorie "des commerces non-essentiels".
"C'est dur et extrêmement démoralisant quand vous n'avez plus de client ou alors que vous ne faites plus que du service après-vente."
Laurent Menanteauà franceinfo
Avec la fermeture des frontières et de son commerce, Laurent a vu son chiffre d'affaires s'écrouler de 71% en 2020. Sur l'agence de Mérignac, il passe ainsi de 216 690 euros à 63 355 euros, soit une perte d'un peu plus de 153 000 euros de chiffre d'affaires.
"Pour partir en France, les gens n'ont pas besoin de nous"
Pour se rendre compte de la baisse d'activités de Laurent, il suffit de regarder du côté de ses clients. En 2020, son agence a traité seulement 274 dossiers, contre 662 en 2019, soit une chute de 58%. Et encore, la majorité des ventes se sont produites en janvier et février. Sur le reste de l'année, Laurent ne compte que 116 dossiers.
D'habitude, son agence vend beaucoup de voyages en République Dominicaine, dans le bassin méditerranéen ou en Thaïlande, mais en 2020, de nombreuses destinations sont devenues inaccessibles. "J'ai essayé de rebondir en proposant des voyages en France, mais pour partir dans une autre région, les gens n'ont pas besoin de nous. Contrairement à un voyage qui va se faire à l'autre bout de monde, ils maîtrisent la chaîne logistique. Du coup, on a dépensé de l'énergie pour rien."
"On s'est battu, on a vendu un petit peu pendant les vacances d'été, mais les gens avaient quand même peur."
Laurent Menanteauà franceinfo
Après le deuxième confinement, il a senti un redémarrage pour des destinations comme la Martinique et la Guadeloupe, mais de nouvelles mesures sanitaires sont venues mettre un autre coup d'arrêt à son commerce. "Avec ces histoires d'isolement à l'arrivée sur place, mes clients sont en train de tout annuler", déplore-t-il. Désormais, l'agence de Laurent, située dans un centre commercial de plus de 20 000 m2, est de nouveau fermée, conformément aux décisions gouvernementales. "A chaque annonce, on prend un coup sur la tête."
"J'ai vidé mon épargne et vendu un appartement"
"En 2020, je devais retomber sur mes pattes, après avoir souscrit de nouvelles dettes, et ça n'a pas été le cas. D'un côté, les crédits arrivaient et de l'autre, l'argent ne rentrait plus", soupire Laurent. En 2019, le voyagiste avait apporté depuis son compte courant 65 000 euros, "grâce à de l'endettement personnel", pour remettre son entreprise sur les rails. En 2020, la crise l'a contraint à vendre un appartement qu'il destinait au financement de sa retraite ou à l'achat d'une maison.
"Cela m'a permis de faire face à mes créanciers et également d'aider l'entreprise, d'être un peu plus serein sur les deux tableaux."
Laurent Menanteauà franceinfo
Pour permettre à son affaire de tenir le choc, il a également choisi de ne pas se verser de salaire pendant plusieurs mois. Résultat, sa rémunération annuelle a chuté de 57%. Laurent a gagné 12 324 euros en 2020 (en salaire net versé), contre 28 764 en 2019 (soit 1 027 euros mensuels contre 2 397 euros). Marié et père de deux enfants, il est obligé de faire attention à ses dépenses : "Cela nous permet de vivre normalement, sans la possibilité de faire un écart."
"J'ai renégocié ligne à ligne"
"Dès le début de la crise, j'ai compris que le business plan allait changer et que, pour faire face, il fallait réduire les coûts et aller chercher des aides", explique le chef d'entreprise. Laurent a dû réaliser des économies de masse salariale. Dans son bilan comptable provisoire, les rémunérations du personnel passent de 82 975 euros en 2019 à 39 299 euros en 2020. Derrière cette baisse, se cache la modification de la structure de l'entreprise et le recours au travail partiel. "On était quatre au début de la crise, raconte Laurent, j'ai dû me séparer d'une petite jeune qui avait un contrat étudiant, j'ai racheté ses parts à mon associée qui voulait arrêter et j'ai été contraint de mettre une employée au chômage partiel".
Laurent a fait des économies sur toutes ses charges. Les charges d'exploitation de son agence de Mérignac (achats de fournitures, loyers, assurances…) ont ainsi baissé de 93 991 euros, passant de 209 563 euros à 115 571 euros. "J'ai renégocié, ligne à ligne, chaque dépense de mon tableau de bord. Beaucoup d'acteurs m'ont aidé, certains de huit euros, c'est déjà ça. Seules les assurances n'ont rien fait", explique-t-il. Au total, il estime avoir réalisé 20 000 euros d'économies. "On a arrêté certains contrats, notamment publicitaires. J'ai aussi dépensé moins en énergie, en fournitures administratives…"
"Sans l'Etat, on ne serait plus là"
"L'Etat a joué son rôle. Aujourd'hui, s'il n'y avait pas eu l'Etat, avec notamment le fonds de soutien renforcé, on ne serait plus là", estime Laurent. Dans le détail, le voyagiste a pu bénéficier d'un prêt garanti par l'Etat de 40 000 euros et d'un prêt garanti par l'Etat "saison", réservé aux secteurs du tourisme et de l'hôtellerie, à hauteur de 38 000 euros.
En plus de ces 78 000 euros de crédits, qu'il doit en principe commencer à rembourser en 2021, et du chômage partiel mis en place pour une employée, il a également perçu diverses aides. Il a ainsi obtenu un total de 37 868 euros du fonds de solidarité national aux entreprises et 10 000 euros avec le second volet du fonds de solidarité, destiné aux entreprises "les plus impactées", et géré par la région. Bordeaux métropole lui a également apporté une aide de 1 500 euros.
"On survit grâce aux aides."
Laurent Menanteauà franceinfo
Laurent attend maintenant de pouvoir reprendre le travail. "Même si on a mis en place des actions pour tenir le plus longtemps possible, ça devient urgent, explique-t-il. Sans reprise d'activité, on peut tenir jusqu'à l'été, mais il faudra alors une vraie reprise." Pour gagner du temps, il espère réussir à décaler le début du remboursement des prêts garantis par l'Etat et demande la poursuite du fonds de solidarité renforcée, ainsi que la possibilité de pouvoir bénéficier d'une aide pour les charges fixes, comme les restaurateurs.
Laurent n'est pas prêt à renoncer. Il a créé une association pour regrouper des agences de voyage mandataires comme la sienne (qui bénéficient du nom d'un grand groupe, mais n'ont pas la même capacité de trésorerie) afin de réfléchir à un système économique plus solidaire. Il a également embauché deux jeunes apprenties pour l'aider à faire redémarrer l'activité le moment venu. "Les jeunes aussi ont besoin d'aide et puis je reste optimiste pour l'avenir. Quand on sortira de la période, je suis convaincu que ça peut redémarrer fort, car les gens ont envie de partir en vacances."
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