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Coronavirus : pourquoi il faut être prudent avec l'étude qui avance que la nicotine peut freiner le Covid-19

Une étude menée sur quelque 480 malades du Covid-19 montre que les fumeurs seraient moins touchés par le virus. Des études sur les effets de la nicotine doivent être menées.

Article rédigé par franceinfo
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Une femme allume une cigarette, à New-York (Etats-Unis), le 9 avril 2020. (CINDY ORD / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

La nicotine protégerait-elle contre le coronavirus ? C'est l'hypothèse envisagée par le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, membre de l'Académie des Sciences, et Zahir Amoura, spécialiste en médecine interne, dans une étude disponible en prépublication sur la plateforme Qeios (en anglais), mardi 21 avril.

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Cette hypothèse a émergé après la découverte de la faible part de fumeurs parmi les patients atteints du Covid-19. Une étude menée par une équipe de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, auprès de 482 malades du Covid-19 a révélé que seulement 5% d'entre eux étaient des fumeurs quotidiens. De là à en déduire un rôle vertueux de la nicotine contre le coronavirus ? Ce n'est pas si évident. Franceinfo vous explique pourquoi il faut prendre ces données avec précaution.

Parce que les données sont incomplètes

Dans plusieurs pays, des chercheurs ont constaté la faible proportion de fumeurs parmi les personnes infectées par le coronavirus. En France, sur quelque 11 000 patients hospitalisés pour cause de Covid-19, début avril, 8,5% étaient des fumeurs, selon des données de l'AP-HP citées par Le Monde. Le taux de fumeurs quotidiens en France s'élève pourtant à 25,4%, selon Santé publique France

Des études menées en Chine laissaient déjà penser que les fumeurs étaient moins infectés par le coronavirus. Une première étude le mentionnant, publiée le 24 février dans The Lancet (en anglais), portait sur 709 patients à Wuhan. Une autre, publiée dans le New England Journal of Medicine (en anglais) le 28 février, dresse, quant à elle, le profil de 1 099 patients. Dans les deux cas, la part des fumeurs est moins importante que dans l'ensemble de la population.

Dans ces deux études, les données sur le tabagisme des patients n'avaient pas été recoupées avec l'âge et le sexe, ce qui peut fausser les relations de cause à effet. Des chercheurs français ont donc tenté de préciser la corrélation entre la consommation de tabac et la probabilité de contracter le coronavirus. Leur étude est disponible en prépublication sur la plateforme Qeios.

Ils ont calculé le taux de fumeurs chez 139 patients testés positifs au Covid-19, placés en ambulatoire avec des symptômes peu graves, et chez 343 autres malades plus graves, hospitalisés à la Pitié-Salpêtrière (hors services de soins intensifs). Les scientifiques ont ensuite observé si ces patients étaient plus ou moins nombreux que les fumeurs dans la population générale de même sexe ou de même âge. 

Chez les patients hospitalisés, dont l'âge médian est de 65 ans, 4,4% sont des fumeurs quotidiens. Ils sont 5,3% parmi les patients ambulatoires, dont l'âge médian est de 44 ans. "En gros, on a 80% de moins de fumeurs chez les patients Covid qu'en population générale de même sexe et de même âge", avance Zahir Amoura, auprès de France Inter"Notre étude transversale suggère fortement que les fumeurs quotidiens ont une probabilité beaucoup plus faible de développer une infection, symptomatique ou grave, au Sars-CoV-2 par rapport à l'ensemble de la population"écrivent les auteurs.

Le faible nombre de fumeurs quotidiens parmi les patients observés ne permet cependant pas de conclure à une corrélation entre la consommation journalière de tabac et la gravité de l'infection au coronavirus. Les auteurs reconnaissent aussi que leurs travaux ne prennent pas en compte les patients placés en soins intensifs, et qu'une étude plus large est nécessaire. 

Parce que la piste de la nicotine pour freiner le coronavirus doit encore être vérifiée

Reste aussi à déterminer quel composant des cigarettes pourrait expliquer que les fumeurs seraient moins infectés par le Covid-19. Les chercheurs misent sur la nicotine. Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, qui explique avoir constaté que "l'immense majorité des [patients atteints de] formes graves n'était pas des fumeurs. On a l'impression que le tabac protège contre le coronavirus, via la nicotine", s'étonne-t-il, auprès franceinfo.

C'est ce que suggère aussi Jean-Pierre Changeux, spécialiste des récepteurs nicotiniques. Il s'interroge sur le rôle que pourrait jouer le récepteur nicotinique de l'acétylcholine. 

L'hypothèse est que la nicotine, en se fixant sur le récepteur cellulaire utilisé par le coronavirus, l'empêche de s'y fixer.

Jean-Pierre Changeux, neurobiologiste

à l'AFP

"Cette compétition entre la nicotine et le virus, sur ce récepteur, pourrait expliquer cette spectaculaire sous-représentation des fumeurs parmi les personnes infectées par le coronavirus", estime le pneumologue William Lowenstein, président de SOS Addiction, sur franceinfo.

Il ne s'agit pour le moment que d'observations. L'hypothèse doit être vérifiée via une étude clinique. Des essais doivent débuter prochainement et des tests in vitro doivent notamment permettre de confirmer si le Sars-Cov-2 interagit bien avec ce récepteur nicotinique de l'acétylcholine. "Il faut rester très prudent, parce que pour l'instant, nous n'avons que quelques données scientifiques", précise Marion Adler, tabacologue à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine), à franceinfo.

Les chercheurs espèrent obtenir rapidement un feu vert pour administrer des patchs nicotiniques à des dosages différents, dans trois essais : en préventif à des soignants, en thérapeutique à des patients hospitalisés en médecine et enfin à des patients en réanimation, détaille Zahir Amoura auprès de l'AFP.

Parce que la fumée de tabac reste toxique

Ces études ne doivent pas inciter la population à se ruer sur le tabac. "Ce serait la nicotine qui protégerait peut-être, et non pas la fumée", met en garde Marion Adler. "Pas question de fumer pour se protéger du virus", renchérit William Lowenstein. Zahir Amoura et Jean-Pierre Changeux rappellent d'ailleurs dans leur article que "fumer provoque des pathologies sévères et reste un danger sérieux pour la santé".

Quand on est malade, ça reste un facteur à risque d'aggravation de symptômes sévères, avec des complications gravissimes. Le tabac est toujours toxique.

Marion Adler, médecin tabacologue

à franceinfo

"Il ne faut pas conclure à un effet protecteur de la fumée du tabac, qui contient de nombreux agents toxiques. Seule la nicotine, ou d'autres modulateurs du récepteur nicotinique, pourrait avoir un effet protecteur et je maintiens le conditionnel", tempère Florence Tubach, cheffe du département Santé publique de la Pitié-Salpêtrière, auprès du Monde. Avec plus de 75 000 morts par an, le tabac reste la première cause de décès évitables, selon Santé publique France.

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