Coronavirus : par choix, pour le plaisir ou pour leur santé, ils resteront confinés après le 11 mai et nous expliquent pourquoi
C'est décidé, ils resteront largement cloîtrés chez eux quand bien même les mesures de confinement sont levées. Témoignages.
Sortir du confinement ? Pour eux, il n'en est pas question, en tout cas, pas tout de suite. Heureux, rêveurs, lucides ou inquiets, ils ont vécu sans encombre les règles décrétées à la mi-mars pour juguler l'épidémie de coronavirus. Ou s'y sont ralliés comme un moindre mal, permettant d'éviter de tomber malade. Préférant, le plus souvent, que seul leur prénom soit rendu public, ils ont répondu à l'appel à témoignages que nous avions lancé. Et nous racontent pourquoi ils ont décidé de continuer, après le 11 mai, à limiter leurs sorties et leur vie sociale.
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"Je me mettrai en arrêt maladie"
Sa voix tonique résonne gaiement au téléphone. Volubile, Mylène* a le bagout de son métier : vendeuse sur un stand de vêtement de marques, dans un grand magasin de Strasbourg. A 65 ans et à six mois de la retraite, elle avoue "une peur panique de retourner au travail". Interrogative, elle a suivi de près les informations contradictoires sur d'éventuels traitements : "La chloroquine du professeur Raoult, ça marche ou ça ne marche pas ? On nous dit tout et son contraire !" Critique, elle a constaté, dans son Alsace très touchée par la pandémie, qu'"il a fallu huit jours pour faire un hôpital militaire à Mulhouse, tandis qu'en Chine, c'est 15 jours pour un hôpital complet !" Inquiète, elle a gardé en mémoire les reportages montrant les séquelles des patients hospitalisés les plus touchés : "On n'en sort pas indemne !"
D'où son anxiété à l'idée de retourner au travail. "Comment voulez-vous vendre des fringues à une cliente sans être à côté ? s'exclame-t-elle. Ce n'est pas possible ! Pourquoi nous dit-on que pour sécuriser le vêtement après essayage, il suffit de le passer à la vapeur alors qu'il faut laver les masques à 60 °C pendant 30 minutes ? Et qui va désinfecter les cabines ?" Elle qui a vécu en bonne élève le confinement, se tenant même à distance de l'homme qu'elle "fréquente" ("On a quand même joué à Roméo et Juliette, il est venu me voir sous mon balcon"), vit mal la possibilité de tomber malade.
Je ne vais pas décider de mettre ma vie en danger pour vendre de la sape.
Mylèneà franceinfo
Crainte de la foule aidant, sa décision est prise : "Si le magasin rouvre, je me mettrai en arrêt maladie. Je ne suis pas coutumière du fait, je comprends les raisons économiques, mais je ne le sens pas. Je ne me sentirai pas en sécurité."
"Le 11 mai, je trouve ça trop précipité"
A 500 kilomètres de là, à Rosny-sous-Bois, en région parisienne, Axelle, 40 ans, juge pareillement cette date du 11 mai "précipitée". Comme elle travaille normalement en Ehpad à "des animations de groupe à but thérapeutique", qui sont pour l'heure arrêtées, elle est en chômage partiel. Et apprécie ce temps suspendu dans son appartement, en tête à tête avec son fils de huit ans, à qui elle a fait elle-même une coupe de cheveux à la "Godefroy de Montmirail" (le personnage joué par Jean Reno dans Les Visiteurs).
Le déconfinement ne changera ni sa nouvelle routine, ni celle de son fils, qu'elle ne renverra pas à l'école : "Je ne vois pas l'intérêt de le remettre en classe une semaine sur deux ou peut-être un jour sur deux, avec un élève à chaque table, et une institutrice qui ne pourra pas s'approcher des enfants, même s'ils pleurent." Elle-même ne bougera guère. La seule pensée "de toucher les barres de métro, de passer son pass Navigo au portillon", la tétanise. "Me retrouver serrée avec d'autres personnes dans le train, ça me paraît terminé. Pour aller voir ma mère place des Fêtes, il faut passer par la gare du Nord, c'est l'enfer sur Terre !" s'écrie-t-elle.
A 29 ans, Sarah, travailleuse parisienne confinée chez ses parents à Perpignan et heureuse d'être "en zone verte" (la couleur du département des Pyrénées-Orientales sur la carte du déconfinement), surenchérit :
C'est utopique de penser qu'à Paris, les règles de distanciation sociale vont être respectées dans les transports en commun.
Sarahà franceinfo
Si cette jeune communicante pour l'instant en télétravail doit revenir en juin "en zone rouge", comme elle le craint, une chose est sûre, elle ne prendra pas les transports en commun de la porte de Bagnolet où elle habite. "J'irai à pied au travail comme pendant les grèves. J'en ai pour une heure, mais je marcherai."
"Ne pas rentrer dans la folie du déconfinement"
De toute façon, sortir pour voir quoi ? "Tous mes repères, les cafés, les restos et les grands musées sont fermés", égrène Axelle. "Et ils ne rouvriront pas tout de suite." Sans vouloir "pleurnicher" sur son sort, la romancière Martine Dorra, 73 ans, le déplore aussi. Le déconfinement a bloqué à Paris cette pétulante septuagénaire "bon pied bon œil", qui vit depuis un quart de siècle dans une île polynésienne. De passage dans la capitale, où elle venait voir ses fils, elle n'y retrouve rien de ce qui fait le charme de la vie parisienne.
A Paris, tout est fermé et l'ambiance est sinistre ! Les gens sont agressifs, ils ont l'air terrorisés. On se fait tout le temps engueuler avec mon mari, parce que les autres trouvent qu'on s'approche un peu trop près.
Martine Dorraà franceinfo
Du coup, en attendant de pouvoir repartir vers ses lagons turquoise, elle se replie sur une vie d'intérieur d'autant plus agréable que son couple avait acheté, il y a plus de quatre décennies, un loft dans le 11e arrondissement parisien, où réside désormais un de ses fils.
Même dans un espace plus petit, ils ou elles sont nombreux à avoir pris goût à la tranquillité. A Rosny-sous-Bois, Axelle apprécie cette pause, pour elle "comme pour la planète".
Les bêtes reviennent, la nature respire. C'est bien de prolonger ce calme.
Axelleà franceinfo
Sentiment identique pour Isabelle, une consultante en ressources humaines de 57 ans qui vit près de Rennes. "Je n'ai pas hâte de rentrer dans la folie du déconfinement, avec une consommation effrénée et délétère", réfléchit-elle à voix haute. Dans sa maison avec jardin, elle entend continuer à rester le plus longtemps possible chez elle, "sereine, posée", en se coupant au maximum du flux anxiogène des infos. Et en se recentrant sur ce qu'elle juge essentiel : "Mon rapport au temps a changé. Si je ne prends pas ma voiture pour aller à Rennes, c'est du temps de gagné pour le jardin ou la lecture."
"Ça fait deux mois que je n'ai pas parlé à quelqu'un"
Même les plus jeunes ne sont pas forcément pressés de reprendre une vie sociale. Dans le Nord, Jade, 20 ans, étudiante en deuxième année d'architecture en Belgique revenue chez ses parents, près de Lille, n'entend pas sortir tout de suite de la maison familiale. Le plaisir d'avoir "un jardin, de l'herbe et un transat" se mêle aux raisons sanitaires. "Psychologiquement, ça va, donc autant rester en sécurité", explique-t-elle. Elle attendra, comme beaucoup d'autres, une, deux ou trois semaines, et des indicateurs de santé favorables avant de baisser la garde.
Si j'ai des amis qui m'invitent juste après le 11 mai, je pense que je n'irai pas. J'ai l'occasion de leur parler par les réseaux sociaux, Messenger, Snapchat.
Jadeà franceinfo
A quelques kilomètres, un autre étudiant du même âge, Adrien, vit "bien", en solitaire, "son confinement, dans un appartement du vieux-Lille". En licence de sciences politiques, il reste chez lui à se consacrer entièrement à son mémoire à rendre dans deux semaines, avec "la tête dans le tunnel du travail". Ce mode de vie "ne me dérange pas pour l'instant", dit-il. Mais il reconnaît : "Ça fait deux mois que je n'ai pas parlé physiquement à quelqu'un en dehors des vendeurs ou des caissières."
"Ce mode de vie minimaliste prépare l'avenir"
Dans les environs de Montpellier, la solitude ne pèse pas à Jérôme : il l'a choisie. "J'ai lâché mon appartement pour vivre dans un camping-car dans ma région de cœur, la Camargue", résume-t-il. Cet ancien "cadre parisien" de 56 ans, qui "a dirigé des agences d'intérim", a perdu son emploi l'an dernier. Après avoir envoyé, comme lui demandait Pôle emploi, "300 lettres de candidature, sans réponse", il a décidé, à l'aide de ses économies et de ses allocations-chômage, "de vivre différemment". "Ce mode de vie minimaliste permet de préparer l'avenir. Il ne faut plus faire de plan sur la comète, mais vivre au jour le jour", affirme-t-il.
Le déconfinement, pour lui, donnera plutôt le top départ d'un confinement maximal. Comme il n'a "pas confiance dans nos dirigeants", il a décidé de s'isoler davantage pour fuir l'épidémie, "dont on ne connaît pas encore l'ampleur". Avec son camping-car, il compte se diriger vers les régions les plus désertes de France.
Je vais aller dans les Cévennes. A partir de mardi prochain, je vais trouver des spots pour être seul dans la nature. Mon seul contact, en mettant un masque, ce sera pour faire les courses.
Jérômeà franceinfo
"J'ai prévenu mes amis et mes enfants, avec qui je reste en contact par Skype. L'autoconfinement, c'est une décision adulte sur sa propre survie", conclut-il. L'"autoconfinement", les personnes déjà fragiles ou à risque, ainsi que leur entourage, y seront également contraints, bien au-delà du 11 mai. C'est le cas de Valérie, juriste de 55 ans à la Sacem :
Mon fils est atteint de mucoviscidose, une maladie qui atteint les poumons et amoindrit la capacité respiratoire. Il est très sensible à n'importe quel virus qui se loge dans les poumons. S'il attrapait la maladie, l'hospitalisation serait immédiate.
Valérieà franceinfo
Pas question pour ses parents de le mettre en danger. "Nous vivons avec une personne hyperfragile et le déconfinement ne va pas changer grand chose", expose-t-elle. "Mon fils n'est pas sorti depuis le 13 mars et moi, je ne sors qu'une fois par semaine pour les courses. Je resterai en télétravail après le 11 mai, sinon je suis obligée de prendre les transports en commun pour travailler. Et tant qu'on n'aura pas de visibilité sur l'état sanitaire, on continuera à rester confinés." Avec l'espoir tout de même, de pouvoir rejoindre le sud de la France cet été. Où la famille à ses habitudes dans une maison de l'arrière-pays varois. "Je ne veux pas imaginer qu'on ne puisse pas y aller", sourit-elle. Leur tout petit balcon dans le 15e arrondissement parisien a ses limites, en termes de bouffée d'air.
* Le prénom a été modifié à la demande des intéressés.
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