Confinement : cinq conseils pour mieux vivre cette période, et ne pas sous-estimer ses conséquences psychologiques
Certaines façons d'organiser sa journée peuvent améliorer votre humeur, mais il est aussi utile de savoir quand consulter un professionnel.
Quand vous avez mis un pied dehors, le matin du 11 mai dernier, sans doute espériez-vous ne jamais revivre un confinement. Six mois plus tard, rebelote : les Français sont à nouveau assignés à résidence, du moins en dehors des heures de travail, à cause d'une recrudescence de l'épidémie de Covid-19. Une situation qui n'est pas sans conséquences sur la santé mentale, comme vous l'aviez peut-être déjà constaté au printemps. A l'époque, des psychologues nous avaient raconté à quel point cette situation avait amplifié les angoisses de leurs patients. Dans des proportions parfois graves : depuis, les hôpitaux psychiatriques constatent un afflux de malades, et une étude publiée le 6 novembre alerte sur le risque accru de suicides.
Si, sans atteindre un tel état mental, vous ressentez un mal-être, comment savoir s'il faut en parler à un professionnel ? Y a-t-il des moyens de mieux supporter ce nouveau confinement, dont il est impossible, pour l'heure, de connaître la durée ? Franceinfo a posé la question à plusieurs psychiatres.
Comprendre ses émotions, et la façon dont elles évoluent
Avant de prendre des mesures pour mieux vivre son confinement, encore faut-il être conscient de son mal-être, et ce n'est pas forcément évident. Comment savoir quand ses émotions ne sont pas une simple réaction rationnelle à un contexte objectivement très désagréable ? "Quand votre niveau d'anxiété devient difficile à gérer", estime Stacey Callahan, qui préside l'AFTCC, une association de psychothérapeutes. "Et que vous commencer à éviter des choses par peur. Par exemple, ne pas aller chercher le pain, alors que c'est autorisé, par crainte de sortir". Un autre signe que ça ne va pas : ce que les psychologues appellent les ruminations. Des pensées négatives "qui tournent en boucle, jusqu'à imaginer des scénarios catastrophe", explique la spécialiste. Mieux vaut y couper court, mais ce n'est pas toujours aisé. Plus largement, le fait d'avoir "de plus en plus de difficulté à se sentir bien" doit vous alerter.
Si vous avez du mal à mettre le doigt sur ce que vous ressentez, ce mal-être se voit aussi, plus concrètement, dans des changements de votre comportement habituel. Il peut par exemple se manifester "par des troubles du sommeil", explique Anne Giersch, directrice d'une unité de recherche à l'Inserm, et auteure d'une étude des émotions de 150 patients pendant le premier confinement. Ou encore "par une perte d'appétit ou au contraire par le fait de se goinfrer" de façon inhabituelle, note-t-elle.
On peut aussi, tout simplement, se sentir "tendu, contrarié, différent dans sa relation aux autres", ajoute Nicolas Franck, chef de pôle au centre hospitalier Le Vinatier de Bron (Rhône), qui a mené une enquête en ligne sur l'impact psychologique du confinement. Des signes qui ne sont pas très spécifiques, reconnaît-il. D'où l'importance d'être "attentif à soi-même", explique le psychologue. Et d'apprendre à reconnaître ses émotions, plutôt que de chercher à les occulter.
Si vous ne vivez pas seul, c'est peut-être le moral de vos coconfinés qui vous inquiète. "Si un proche, notamment un adolescent, commence à ne plus sortir de sa chambre alors qu'il ne le faisait pas avant, on peut commencer à s'inquiéter", explique Anne Giersch. N'hésitez pas à aborder le sujet, sans être dans le reproche, conseille Stacey Callahan : "Restez sur une communication non-violente : 'Tu es moins heureux en ce moment, est-ce que je peux faire quelque chose, est-ce que tu veux en parler ?' Et proposez des choses" qui pourraient le distraire.
Ne pas avoir peur de demander de l'aide
Se rendre compte que l'on supporte mal le confinement est une chose, mais que faire pour y remédier ? "Il ne faut pas se résigner au mal-être. Il n'y a jamais de raison de souffrir", alerte Nicolas Franck, qui vient de publier Covid-19 et détresse psychologique (Odile Jacob, 2020). Certes, étant donné le contexte de cette année 2020, il peut sembler "rationnel" d'être anxieux mais cela "ne change rien aux conséquences" néfastes de cette anxiété, explique sa consœur Anne Giersch.
Il ne faut donc pas avoir peur de chercher ou demander de l'aide. Vider son sac auprès d'un proche peut être salvateur, estiment les interlocuteurs interrogés par franceinfo. Consulter un professionnel de la santé mentale également. Les psychologues et psychiatres continuent de recevoir des patients pendant le confinement, et nombre d'entre eux proposent aussi des téléconsultations. Des numéros d'écoute ont été mis en place, notamment recensés sur le site de la fondation FondaMental. La psychothérapeute Stéphany Orain-Pelissolo recommande également de parler de votre état psychologique à votre généraliste : "Il peut vous aider et vous orienter vers les bonnes personnes ou structures, dont certaines où vous n'aurez pas à payer", si votre état nécessite effectivement une prise en charge.
"La santé mentale fait partie de la santé, ce n'est pas différent d'une consultation avec un cardiologue", plaide Nicolas Franck. Anne Giersch déplore, elle, ce qu'elle voit comme "un tabou des pathologies mentales."
"Il faut faire comprendre que tout le monde est vulnérable, et qu'il n'y a pas de honte à demander de l'aide."
Anne Giersch, psychiatre
Contacter un psy ne doit pas forcément venir en "dernier recours", ajoute Stacey Callahan, qui enseigne également la psychologie à l'université Toulouse 2 : "Je préfère dix fois que quelqu'un vienne me voir pour un stress important, et que je puisse l'aider en quelques séances, plutôt qu'il attende deux mois et que son stress se soit mué en une anxiété très franche, qui demandera de le voir plus souvent et plus longtemps". S'il n'y a pas de délai strict, la chaîne YouTube "Conseils aux cerveaux confinés", tenue par trois psychiatres de l'AP-HP, conseille de consulter si ses émotions sont "invalidantes et durent plus de 15 jours de manière significative".
Garder un quotidien structuré
Pour limiter l'effet du confinement sur votre moral, une des solutions est de vivre le plus possible... comme s'il n'y avait pas de confinement. Si vous passez la journée chez vous, Stéphany Orain-Pélissolo plaide pour garder "le même rythme que si on allait au travail", afin de ne pas tomber dans un cercle vicieux où la démotivation liée à l'enfermement prolongé vous poussera plus loin encore dans votre mal-être. "Il faut vraiment être dans une attitude où si je n'ai pas envie, je le fais quand même", conseille-t-elle. Vous n'aurez peut-être pas envie de faire le ménage, de vous laver ou de vous habiller, mais le faire vous permettra "de maintenir votre sentiment d'efficacité personnelle", et donc votre image de vous-même.
En télétravail, mieux vaut travailler à des horaires normaux, et s'accorder de véritables pauses, en particulier à l'heure du déjeuner. Sur la chaîne YouTube "Conseils aux cerveaux confinés", les psychiatres Stéphane Mouchabac, Florian Ferreri et Alexis Bourla, de l'hôpital Saint-Antoine à Paris, insistent sur l'importance de manger aux heures habituelles et d'éviter le grignotage – une de leurs vidéos revient sur les liens entre la nutrition et la santé mentale. Ils recommandent aussi de se réveiller par une douche chaude "qui indique [au cerveau] que nous ne sommes plus en train de dormir" et une exposition "d'au moins 30 minutes" au soleil, dehors ou à sa fenêtre. Un conseil d'autant plus valable à une période de l'année où le raccourcissement des journées a des effets néfastes connus sur le moral.
Les insomnies sont un des symptômes les plus constatés par les psychologues en période de confinement, et préserver son sommeil est crucial. Là encore, garder un rythme de vie et de travail est crucial, notamment "un horaire de lever constant", explique Pierre Philip, psychiatre spécialiste du sommeil, dans une vidéo pour le CNRS, où il livre des conseils pratiques pour combattre les insomnies, si elles surviennent malgré tout.
Trouver des activités qui vous font du bien
A défaut de pouvoir vous projeter sur une date certaine de fin du confinement, mieux vaut se trouver des raisons d'être heureux de passer au lendemain. "Il faut essayer d'avoir des activités qui marquent chaque journée", des loisirs "qui nous apportent du plaisir", conseille Stacey Callahan. La liste est infinie, et peut-être aviez-vous déjà profité du dernier confinement pour vous essayer à un nouveau hobby : se mettre à la musique, peindre, tricoter, "prendre chaque jour une photo, ou écrire un haïku, chercher un nouveau mot dans le dictionnaire"... L'important, bien sûr, n'est pas la nature de votre loisir mais le sentiment de progresser chaque jour.
Bien sûr, ce passe-temps ne doit pas devenir un poids supplémentaire, dans un contexte où, entre votre travail et votre foyer, vous êtes peut-être loin du désœuvrement. "L'important est de se fixer quelque chose de stable, mais de réaliste", nuance Stacey Callahan.
"Au premier confinement, certains se sont mis la barre trop haut et bien sûr n'ont pas tenu. Un peu comme les résolutions du Nouvel An. Au lieu de vous promettre de lire un livre par semaine, cela peut être un chapitre tous les deux jours."
Stacey Callahan, psychologue
Le principal est d'arriver à maintenir du temps de loisir, et à dépasser le sentiment d'"envie de rien" qui peut vous étreindre. Voire, mieux encore, de permettre aux confinés en famille de prendre un peu de temps pour soi.
L'activité physique est également recommandée, d'autant qu'elle a aussi des bénéfices sur l'organisme. Ce qui ne vous oblige pas à vous mettre au jogging ou à la gym de salon : "Ce qu'il faut, c'est vraiment bouger, explique Stéphany Orain-Pelissolo, que ce soit par le sport ou en allant faire ses courses à pied plutôt qu'en voiture." Pour faire baisser le stress, les psychologues recommandent également la méditation (qui demande un apprentissage, mais des ressources sont disponibles en ligne, par exemple sur le site CovidEcoute) ou la cohérence cardiaque, exercice de respiration simple "qui convient à tout le monde", estime Stacy Callahan (expliqué dans cette vidéo conçue par trois psychiatres).
En revanche, certains psychiatres voient le temps passé devant des médias ou sur les réseaux sociaux comme une activité potentiellement néfaste, tant ils abreuvent de nouvelles angoissantes. Ce que nuancent les professionnels interrogés par franceinfo. "Je crois qu'il faut fixer une limite, mais elle dépendra des gens. Il faut s'écouter", plaide Stacy Callahan. "Si s'informer permet d'anticiper les choses, ce n'est pas mauvais", estime Anne Giersch. "Mais si les informations vous angoissent, il faut éteindre. Cela passe par la reconnaissance de l'effet qu'elles ont sur vous."
Maintenir le contact avec vos proches
Enfin, bien sûr, une des façons de supporter le confinement est de préserver un maximum de lien social. "C'est difficile, mais plus important que jamais", estime Stacy Callahan. Que cela passe par des conversations téléphoniques, l'écriture de longs messages ou les désormais fameux "apéros Zoom" (avec modération sur la consommation d'alcool). L'étude effectuée par Anne Giersch lors du premier confinement confirme cette utilité : "Un des facteurs corrélé à une baisse des symptômes était les contacts avec la famille".
Les spécialistes interrogés par franceinfo se réjouissent donc de la décision d'autoriser les visites en Ehpad, interdites au printemps. "Honnêtement, je ne vois pas comment on aurait pu faire autrement", estime Anne Giersch, qui craint que l'isolement entraîne chez les personnes les plus âgées "un renoncement à vivre".
Entretenir le contact peut aussi être l'occasion d'être altruiste, et être altruiste fait du bien, expliquent les psychologues. "Appelez une personne isolée, que vous ne contactez pas souvent", conseille par exemple Stacey Callahan. "Aider quelqu'un, l'écouter, est très agréable. Proposer à un proche d'être à l'écoute peut vraiment être un moment où on se dit : 'Je ne vais pas penser à moi, mais à quelqu'un d'autre'". Et ainsi se distraire un peu de son propre blues du confinement.
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