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Streaming, VOD géolocalisée, reports : comment sortir les films pendant et après le coronavirus ?

Avec des salles de cinéma fermées depuis le 15 mars, la filière doit s'adapter pour sortir les films. Differentes solutions sont envisagées par les professionnels.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
La salle de cinéma Le Panthéon, dans le Ve arrondissement de Paris, vide de spectateurs. (CHRISTOPH SOEDER / DPA)

Distributeurs et exploitants de salles de cinéma doivent s'adapter à une nouvelle donne depuis le confinement généralisé, après les mesures sanitaires imposées contre l'épidémie liée coronavirus. Reports de dates de sorties, recours à la vidéo à la demande (VOD ou VàD en français), mise en ligne géolocalisée… La filière met en place des solutions, des stratégies et des innovations qui pourraient bouleverser nos habitudes de spectateurs à long terme.

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Impact gigantesque

"L'impact sur l'exploitation va être gigantesque" a réagi, pour les exploitants, Richard Patry, président de la FNCF (Fédération française des cinémas français). Côté distributeurs, Les sorties des 11 et 18 mars sont les plus impactées, et celles du 25 "accusent certes déjà un gros manque à gagner, mais qu'il serait encore possible d'atténuer", estime Eric Lagesse à la tête de Pyramide Distribution.

Richard Patry, président de la FNCF (Fédération française des cinémas français) en 2013. (TARDIVON JEAN CHRISTOPHE/SIPA)

Plusieurs solutions économiques ont été prises par le CNC (Centre national du cinéma) en concertation avec le ministère de la Culture pour aider toute la filière. Mais un sujet ne fait pas l'unanimité : le report temporaire de la chronologie des médias durant la situation actuelle, souhaitée par une grande partie des ayants droit. Aujourd'hui, un délai de trois à quatre mois sépare la sortie en salles de la mise en ligne des films. Elle pourrait être provisoirement suspendue pendant la crise sanitaire.

La grande crainte concerne la durée du confinement. Annoncée jusqu'au 15 avril, elle pourrait être prolongée entre la fin du mois, voire début mai. "Aujourd'hui, je ne connais pas de structure assez solide économiquement pour supporter cette situation sur un trop long terme", estime Victor Hadida, dirigeant de Metropolitan Filmexport et président de la FNDF (Fédération nationale des éditeurs de films).

Victore Haida (cheveux gris), dirigeant de Metropolitan Filmexport et président de la FNDF (Fédération nationale des éditeurs de films), avec Sylvester Stallone au Festival de Cannes en 2019. (LOIC VENANCE / AFP)

La sédentarisation des spectateurs français, qui ont de plus en plus l'habitude de regarder des films en streaming, peut s'accentuer avec le confinement. Elle sera l'obstacle majeur à franchir pour les faire revenir en salle, selon les professionnels. Cela va impliquer "un plan de relance d'une ampleur inégalée pour les faire revenir massivement", prédit Richard Patry. Le Printemps du cinéma est d'ores et déjà annulé : "Peut-être pourrions-nous le recycler ? Mettre en place une opération d'incitation tarifaire ?", propose-t-il.

Le cinéma chez soi ?

La sortie des films depuis la fermeture des salles le 15 mars, ou la semaine précédente, comme De Gaulle, Radioactive, ou La Bonne Epouse – pour citer trois titres très attendus –, fait l'objet d'une "concertation avec la filière consacrée aux modalités d'accès aux films dans cette période exceptionnelle de fermeture des salles", assure le CNC.

Un projet de loi devait être examiné les 19 et 20 mars au Parlement afin de permettre de déroger "à titre exceptionnel" à la chronologie des médias. Depuis, pas de nouvelles. Cela ne concernerait que les films encore en salles le 14 mars (veille de la fermeture des cinémas). Ils pourraient être mis en ligne en VOD et passer outre le délai prévu jusqu'ici.

Le projet ne fait toutefois pas l'unanimité. Comme Alexandre Mallet-Guy, Directeur de Memento Films, distributeur de La Bonne épouse (sortie le 11 mars) de Martin Provost qui préfère attendre la réouverture des salles. "Nous avons eu trois jours et demi d'exploitation dans les salles. Je considère ça un peu comme un round d'avant-premières. Nous misons sur une ressortie à l'identique quand les salles rouvriront (…) Les salles nous ont assuré qu'elles seront à nos côtés", assure-t-il. Même son de cloche chez Thierry Lacaze de StudioCanal pour Radioactive de Marjane Satrapi, sorti le même jour.

Les Américains sont moins frileux sur la VOD, mais si et seulement si la mesure reste exceptionnelle, pour Olivier Snanoudj de SVP Distribution cinéma de Warner Bros et président du Sfac (Syndicat franco-américain de la cinématographie). Ses adhérents sont majoritairement favorables au maintien de la chronologie des médias, mais avec des bémols. Le problème concerne surtout les films sortis au moment de l'instauration du confinement. Des sociétés pourraient choisir de ressortir les films dans les salles une fois celles-ci rouvertes, et d'autres sont pour une exploitation plus rapide en VOD. La question est d'amortir le coût de la promotion investie sur les films en amont de leur distribution, des budgets énormes. "Les décisions se prendraient film par film", selon le président du Sfac.

Le passage direct à la VOD

Si des distributeurs se sont depuis longtemps lancés dans la sortie de leurs films directement en VOD sans passer par la salle, d'autres, qui prévoyaient la conserver, ont changé leur fusil d'épaule depuis les restrictions sanitaires.

C'est le cas de Shellac qui a choisi d'annuler la distribution au cinéma du documentaire Monsieur Deligny, vagabond efficace de Richard Copans, dont la sortie était prévue le 18 mars. Thomas Ordonneau, directeur de Shellac, explique : "Nous avons pris la décision dès l'annonce de la fermeture des cinémas. Nous n'avons pas besoin d'attendre la décision du CNC, et comme il s'agit d'un type de films qui a du mal à trouver sa place en salles, nous n'avons pas hésité. Cela s'inscrit dans une réflexion que nous menons depuis deux ans, quand nous avons décidé de sortir moins de titres et de créer, il y a 18 mois, notre plateforme VOD", précise-t-il.

Une politique qui ne laisse pas sur le bord du chemin les exploitants de salles pour autant, précise Thomas Ordonneau. "Sheilac va proposer le documentaire en exclusivité sur Shellacfilms.com et via La Toile", une plateforme VOD accessible aux salles intéressées, pour les deux premières semaines d'exploitation. Le relais sera pris ensuite par Universciné, service de VOD consacrée au cinéma indépendant. Le prix de la location est de 4 euros, avec une répartition pour Shellac de 40%, et de 30% pour La Toile et la salle chacun. Le distributeur s'apprête enfin à mettre en ligne prochainement sa propre plateforme de streaming par abonnement.

Aux Etats-Unis, c'est la sortie directement sur Netflix de la comédie romantique The Lovebirds (Paramount) qui a mis en émoi tout Hollywood, déjà bousculé par la montée en puissance des plateformes de streaming.

Jusqu'ici, certains studios avaient opté pour la VOD en raison de la fermeture des salles, en proposant des films à la carrière interrompue par la crise du coronavirus. C'est le cas d'Universal : pour un peu moins de 20 dollars, il est possible de louer pendant 48 heures The Invisible Man, avec Elisabeth Moss, Emma et The Hunt. Le studio prévoit aussi la sortie simultanément en salles et en VàD de Les Trolls 2 - Tournée mondiale.

La VOD géolocalisée

Mais la formule la plus novatrice revient au distributeur La Vingt-Cinquième Heure. Il a expérimenté le 23 mars un système de VOD géolocalisée, avec l'avant-première du documentaire Les Grands Voisins, la cité rêvée de Bastien Simon, en partenariat avec la salle Le Luminor du 4e arrondissement de Paris, la sortie du film étant attendue le 1er avril.

L'innovation est de donner l'accès au film, via la plateforme de e-cinéma 25eheure.com, dans un périmètre limité autour de la salle où était prévue la sortie du film à l'origine, à un horaire calqué sur celui des séances habituelles. Il ne s'agit donc plus de vidéo à la demande, mais de recréer le rendez-vous de la séance de cinéma à un instant T autour d'un lieu unique, en respectant, dans une certaine mesure, le spectacle collectif qu'est une séance. Une salle de cinéma virtuelle en quelque sorte.

Des débats autour du film seront organisés avec le réalisateur, pour les salles qui le voudront, limitant ainsi la lourde logistique que de telles opérations nécessitent (déplacement, hôtel…). De plus, la synergie entre distributeur et exploitant est respectée, les recettes étant partagées entre les exploitants candidats et le distributeur. Une part du billet virtuel sera également reversée pour la compensation carbone due à l'usage de la plateforme, grosse consommatrice d'énergie par l'implication des centres d'hébergement des réseaux.

Toutes ces pistes de résolution du casse-tête sont en cours, mais les distributeurs ont pour la plupart opté pour le report des dates de sorties de leurs films à une date non fixée, puisque la fin du confinement, puis sans doute l'accès aux salles, sont indéterminées. L'option VOD est encore une option à la marge, mais les expériences lancées seront observées de près pour envisager l'avenir. 

Des dates de sorties reportées

Mais la principale mesure prise par les studios et les distributeurs reste le report de sorties initialement prévues au printemps, dont le prochain James Bond, Mourir peut attendre, repoussé à novembre.

Aux Etats-Unis, Disney a aussi reporté Mulan, remake en prises de vues réelles du dessin animé de 1998. Le film était attendu en France le 25 mars et a eu une projection de presse, mais sa sortie publique n'est pas encore datée. Universal repousse à 2021 le neuvième épisode de Fast and Furious, et Wonder Woman 1984 ne sortira finalement qu'en août et non en juin.

En France, Petit Pays, adaptation du roman éponyme à succès de Gaël Faye, a été déprogrammé in extremis et doit être en salles le 26 août. Attendu sur les écrans mi-mars, le Pinocchio de Matteo Garrone, succès en Italie, sortira sur les écrans français le 1er juillet.

"C'est l'ensemble du calendrier de sorties qu'il va falloir réorganiser, car il n'y a pas que les salles à l'arrêt : il y a aussi les tournages, la post-production, le doublage, etc.", souligne Richard Patry.

Pour autant, il n'attend pas forcément d'embouteillage à l'automne car certains des films annoncés pour ce moment-là ne seront pas prêts.

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