Levothyrox : un chercheur du CNRS s'interroge sur des analyses de la nouvelle formule, le CNRS le désavoue
Jean-Christophe Garrigues a identifié un pic chimique d'impuretés. Mais l'ANSM réaffirme que la nouvelle formule est sans danger, et son propre employeur estime qu'il "n'a pas respecté la déontologie scientifique".
L'affaire du Levothyrox n'en finit pas de soulever des questions. Début juillet, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a confirmé la bonne qualité de la nouvelle formule du Levothyrox, accusée pourtant de provoquer une vague d'effets secondaires (fatigue, maux de tête, insomnies, vertiges, etc...).
Mais ce n'est pas forcément la fin de l'histoire. Jeudi 4 octobre, le site d'investigation Médiacités (article payant) a révélé qu'un chercheur du CNRS basé à Toulouse, Jean-Christophe Garrigues, pointait la présence d'éléments chimiques impurs dans la composition du médicament, au nombre de trois au moins selon un second article publié vendredi. Mais la conférence de presse qu'il devait tenir ce même jour pour présenter ses résultats a été annulée à la demande de son employeur : dans un communiqué, le CNRS explique "qu'il n'a pas respecté la déontologie scientifique indispensable pour valider toute recherche".
Sur quoi le chercheur s'est-il basé ?
Tout commence par des analyses commandées par l'Association française des malades de la thyroïde (AFMT) en juin dernier. Selon ces résultats, la nouvelle formule du médicament fabriqué par le laboratoire Merck contient moins de lévothyroxine que les spécifications en vigueur, ce qui pourrait expliquer les dysfonctionnements du traitement.
Un mois après, l'ANSM réplique avec une autre étude. Celle-ci contredit les analyses de l'AFMT. Les recherches menées par l'ANSM "démontrent la présence de quantités de lévothyroxine comparables entre l'ancienne et la nouvelle formule, qui n'est donc pas sous-dosée", écrit alors l'agence.
Face à cette divergence d'analyses, le chercheur du CNRS Jean-Christophe Garrigues a décidé d'éplucher cette synthèse des recherches menées par l'ANSM. Il a également analysé des comprimés de Levothyrox. Des recherches financées par l'Association française des malades de la thyroïde, précise Médiacités.
Qu'a-t-il découvert ?
En passant au crible les chromatogrammes [des graphiques qui permettent d'analyser des constituants chimiques d'un mélange] publiés par l'ANSM elle-même en juillet, Jean-Christophe Garrigues "a découvert un important pic d'éléments chimiques dans la nouvelle formule du Levothyrox, par rapport à l'ancienne formule."
Ce pic d'"impuretés" aurait dû, selon lui, être analysé par l'ANSM. "Cet élément devient forcément inquiétant lorsqu'on est dans un contexte de crise sanitaire", affirme le chercheur à Médiacités. "On n'a pas la quantité exacte de cet élément impur, qui dépasse l'échelle du chromatogramme, c'est d'autant plus inquiétant que des quantités infinitésimales dérèglent le traitement", ajoute-t-il.
Jean-Christophe Garrigues a ensuite réalisé lui-même d'autres chromatogrammes, dont Médiacités affirme qu'ils "dévoilent la présence de deux autres éléments impurs", qu'il juge tout aussi inquiétants.
Il a aussi analysé les réactions chimiques provoquées par un ingrédient qui en remplace un autre dans la nouvelle formule du Levothyrox : le mannitol. Il estime que celles-ci pourraient être responsables d'une baisse de l'apport en hormones du médicament, alors que de nombreux patients se demandaient justement si la nouvelle formule n'était pas sous-dosée.
Par ailleurs, Jean-Christophe Garrigues a comparé l'ancienne formule du Levothyrox avec la nouvelle, distribuée en mars 2017, et celle que l'on trouve aujourd'hui en pharmacie. Résultat : les éléments impurs, dont il pense qu'ils peuvent déclencher des effets indésirables, ne sont pas présents dans l'ancienne formule et sont moins présents dans les comprimés qu'on pouvait trouver en officine cet été. Cela entraîne donc la question suivante, selon le chercheur : Merck aurait-il modifié la nouvelle formule depuis sa mise sur le marché en 2017 ?
Que répondent l'ANSM, le laboratoire Merck et le CNRS ?
"En tant qu'employeur, le CNRS considère que l'agent n'a pas respecté la déontologie scientifique indispensable pour valider toute recherche", a réagi le CNRS vendredi. Celui-ci estime que les résultats de son chercheur n'ont "pas été validés par le processus d'évaluation par les pairs propre à la communauté scientifique", et donc "ne constituent pas, en l'état actuel, des faits scientifiques". Le CNRS s'est empressé de préciser que ses travaux sur le Levothyrox n'étaient pas liés "à une quelconque activité de recherche de son équipe ou du laboratoire".
Dans la foulée, le laboratoire Merck a dénoncé des "allégations sensationnalistes et sans preuves", et démenti l'affirmation selon laquelle il aurait changé la composition du nouveau Levothyrox depuis sa mise sur le marché en 2017 : "Il n'y a pas de 'nouvelle-nouvelle formule'. Nous condamnons fermement toute allégation dans ce sens". De son côté, l'Agence du médicament a rappelé que "l'ensemble des contrôles réalisés dans [ses] laboratoires ont confirmé la bonne qualité de la nouvelle formule du Levothyrox".
Dans un premier temps, aussi bien l'ANSM que Merck avaient répondu à Médiacités que la méthodologie ne permettait pas de tirer les conclusions avancées par le chercheur. "Il est normal d'observer dans ce type d'analyses différents pics, qui sont inhérents à la méthode", assurait le laboratoire.
Et maintenant, que va-t-il se passer ?
Selon Gérard Bapt, ancien député PS et médecin conseil de l'AFMT, les réponses ne sont pas satisfaisantes. "Des centaines de milliers de personnes ont souffert de cette substitution, on ne sait toujours pas pourquoi elle a été faite ni la façon dont ses effets indésirables, totalement surprenants et parfois invalidants, ont pu survenir", affirme-t-il à franceinfo.
Mais, alors que Jean-Christophe Garrigues devait présenter les résultats de ses recherches avec l'Association française des malades de la thyroïde (AFMT), vendredi 5 octobre, cette conférence n'a pas eu lieu. Jeudi, Gérard Bapt expliquait ce "report de 15 jours ou trois semaines" par des raisons administratives avec le CNRS. Mais dans son communiqué de vendredi, le CNRS explique avoir, en réalité, "demandé l'annulation" de la conférence de presse du chercheur, conjointement avec l'université Toulouse III Paul-Sabatier où elle devait se tenir, en raison des réserves sur ses travaux. Jean-Christophe Garrigues, lui, ne souhaite pas s'exprimer.
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