Le rejet d'un texte sur les élèves handicapés à l'Assemblée est-il une "infamie" ? On vous explique le contexte de la colère de François Ruffin
Jeudi, le député de La France insoumise a eu des mots durs à l'égard des députés LREM, après le rejet d'une proposition de loi en faveur de l'accompagnement des enfants en situation de handicap. Franceinfo vous aide à y voir plus clair.
"Vous n'avez pas honte ? Honte de votre paresse ? Honte de votre sectarisme ?" Debout dans l'hémicycle, face au micro, François Ruffin s'adresse directement aux députés de la majorité. Son intervention dure un peu plus de deux minutes. Le temps pour le député de La France insoumise de dire ce qu'il pense du rejet, jeudi 11 octobre, d'une proposition de loi relative à l'inclusion des élèves en situation de handicap, portée par un député Les Républicains. "J'espère que le pays ne vous le pardonnera pas", a lancé l'élu de la Somme aux parlementaires LREM. Vendredi, l'élu a d'ailleurs publié la liste des parlementaires qui se sont opposés à cette mesure. Pourquoi s'est-il ainsi énervé ? La réponse de la majorité est-elle convaincante ? Explications.
C'était quoi, cette proposition de loi ?
Portée par le député LR Aurélien Pradié, la proposition de loi avait pour but de favoriser l'inclusion des enfants et des adolescents en situation de handicap au sein de l'école. Elle prévoyait notamment la création d'un statut unique pour l'ensemble des auxiliaires de vie scolaire (AVS) ou les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). "Il ne s'agit pas de créer un énième statut, mais bien de remplacer tous les autres afin de redonner de la clarté et d'effacer les contraintes néfastes que porte le système actuel, peut-on lire dans le texte. Ils seront dorénavant tous soumis au droit commun applicable aux contractuels de la fonction publique."
La proposition de loi prévoit également une revalorisation salariale. "A ce titre, il est fondamental qu'ils ne fassent pas l'objet d'une simple reconnaissance juridique, mais aussi d'une rémunération à la pleine hauteur de leur mission", lit-on plus loin. Pour l'élu du Lot, il y a urgence. "Il y a des académies où c'est le désastre", expliquait-il dans les colonnes de La Dépêche du Midi. En une décennie, le nombre d'élèves en situation de handicap a triplé, passant de 100 000 [en 2004] à 320 000 en 2014". Il est aujourd'hui de 340 000.
Personne ne peut décemment regarder dans les yeux ces familles, ces enfants, ces adolescents, ces accompagnants et leur dire que l'urgence est ailleurs.
Aurélien Pradié, député LRà l'Assemblée nationale
La proposition de loi d'Aurélien Pradié n'ira pas plus loin. Déposée par le député LREM Gilles Le Gendre, la motion de rejet préalable a été adoptée par 70 voix contre 54. Dans le détail, 58 députés de la majorité ont voté en faveur de son rejet.
Comment a réagi l'opposition ?
Pour les députés LR, ce rejet du texte avant même l'examen de ses articles est "une trahison". Des élus d'autres groupes se sont aussi dits "attristés". Mais l'intervention la plus frappante est celle de François Ruffin. Il a expliqué aux "marcheurs" que ce vote leur collerait "à la peau comme une infamie", il leur reproche aussi d'avoir voté "contre, contre, contre, comme des Playmobil".
Dans sa tirade, le député insoumis a évoqué "ces milliers de femmes dans le pays qui accompagnent les enfants handicapés dans les écoles. Elles sont sous-payées, 600, 700 euros, sous le seuil de pauvreté, avec des contrats ultra-précaires."
Pour changer ça, quelle proposition de loi avez-vous portée ? Rien, aucune !
François Ruffin, député "insoumis"à l'Assemblée nationale
Comment l'exécutif défend-il le rejet de ce texte ?
Pour Jean-Michel Blanquer, la proposition de loi comportait "bien entendu des éléments intéressants", notamment le principe de statut unique pour les aidants des élèves handicapés. Cet élément est d'ailleurs "très précisément la feuille de route que nous nous sommes fixée, a expliqué le ministre de l'Education nationale au député LR. Il y a donc un chemin qui est pris qui est clairement conforme à ce que vous appelez de vos vœux".
Il promet que ses "pistes de réflexion" seront le point de départ d'une concertation prévue fin octobre devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Ce rendez-vous réunira, à partir du 22 octobre, plusieurs représentants de ministères, des associations, mais aussi des syndicats. La secrétaire d'Etat chargée des Personnes handicapées a elle aussi renvoyé à la concertation. "Ce n'est pas par la loi qu'on va changer les choses car nous avons tous les ingrédients pour réussir, a assuré Sophie Cluzel. La loi de 2005 existe, elle est là, il suffit de l'appliquer."
Votée le 11 février 2005, cette loi Handicap pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées attribue un droit à la compensation des conséquences de son handicap. Autrement dit, toute personne doit bénéficier des mêmes services, de la scolarité à la vie professionnelle, en passant par les démarches administratives et loisirs.
Qu'en pensent les associations ?
A l'Unapei, la séquence vidéo a beaucoup tourné dans les bureaux. "Ce n'est pas tous les jours qu'on parle de ce qui nous porte au quotidien, alors oui, on l'a tous regardée attentivement", explique la fédération d’associations qui mènent des actions en faveur des personnes handicapées mentales.
Voilà pour la forme. Sur le fond, "c'est un peu plus compliqué que ce qui a été dit à l'Assemblée nationale hier. François Ruffin a raison quand il dit que ces femmes sont sous-payées, qu'elles sont peu formées. Il n'y a aucune attractivité sur ces postes, c'est vrai." Pour autant, la proposition de loi du député Pradié "n'aurait pas réglé toute la problématique des élèves en situation de handicap". "Elle axe surtout sur les aidants, explique l'Unapei. Le problème, c'est qu'il y a beaucoup d'autres choses à revoir. Il y a encore aujourd'hui des milliers des enfants qui attendent des places, des enfants qui se retrouvent sans accompagement ou des accompagnements mal adaptés."
Il y a aussi des mamans qui s'arrêtent de travailler car leur enfant ne peut plus rester à temps plein dans une classe ordinaire.
l'Unapeià franceinfo
Quant à la loi de 2005 évoquée par la secrétaire d'Etat, "elle existe bien, le ministre a raison, reconnaît l'Upanei. Sauf que cette loi n'est appliquée que partiellement, voire niée pour certains."
Même si la proposition de loi n'est pas passée, "tout n'est pas à jeter". "Ce qui s'est passé hier à l'Assemblée a le mérite d'avoir porté haut et fort notre combat de tous les jours, poursuit-on à l'Unapei. Au moins, on aura été un peu entendus."
L'Unapei sera "évidemment" présente au Conseil national consultatif des personnes handicapées. "Après le rejet de la proposition de loi d'hier, on espère que les représentants de l'Etat auront des choses concrètes pour nous. Il y a un moment où il faut arrêter de tourner autour du pot."
.@jmblanquer la vie de milliers d'enfants en situation de #handicap n'est pas une polémique. Merci aux élus de tous les bords de les soutenir! #avecnous @Francois_Ruffin @AurelienPradie @gilleslurton @C_MorinDesailly @OssonCatherine @BrunoStuder67 @YaelBRAUNPIVET @AdrienTaquet https://t.co/HFoyUuVPqI
— Unapei (@Unapei_infos) 11 octobre 2018
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