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Cinq questions sur la nouvelle journée de solidarité proposée par LREM, qui pourrait aboutir à travailler un jour de plus

Afin de financer les coûts liés à la dépendance, Stanislas Guerini, délégué général du parti majoritaire, a émis dimanche l'idée de "travailler un jour supplémentaire" par an, sur le modèle de la mesure prise après la canicule de 2003.

Article rédigé par Marion Bothorel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
Stanislas Guerini, le délégué général de La République en marche, expose les contributions du parti au grand débat national, à Chartres (Eure-et-Loir), le 10 mars.  (KARINE PIERRE / HANS LUCAS)

La volonté d'apporter sa "pierre au débat", quitte à provoquer quelques critiques ? La République en marche (LREM) a présenté une centaine de propositions dans le cadre du grand débat national, dimanche 10 mars à Chartres (Eure-et-Loir). Et parmi elles, le délégué général du parti majoritaire, Stanislas Guerini, a proposé de "travailler un jour supplémentaire" afin de financer les coûts liés à la dépendance des personnes âgées et handicapées. Une mesure qui soulève plusieurs questions.

1C'est quoi, une journée de solidarité ? 

Cette journée serait similaire au lundi de Pentecôte. Depuis le 30 juin 2004, une loi portée par Jean-Pierre Raffarin (alors Premier ministre) impose aux salariés français de travailler gratuitement un jour par an pour financer "des actions en faveur de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées." Une mesure prise après la canicule qui avait frappé la France en 2003 et provoqué une surmortalité de près de 15 000 personnes, dont +70% chez les habitants âgés de 75 à 94 ans et +120 % chez les habitants de 95 ans et plus, rappelle Libération. 

En contrepartie de ces heures travaillées gratuitement, l’employeur doit verser 0,3 % de sa masse salariale à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dans le cadre de la contribution solidarité autonomie (CSA). Régulièrement critiquée, la loi instaurant la CSA a été assouplie en 2008 afin de permettre aux entreprises de déterminer leurs propres modalités d'exécution de cette journée de solidarité.

Contactée par franceinfo, l'avocate spécialiste du droit du travail Emmanuelle Destaillats synthétise : "La seule évolution a consisté à ne plus imposer que cette journée de solidarité soit réalisée le jour du lundi de Pentecôte."

2C'est obligatoire pour tout le monde ?

Tous les salariés sont concernés. Seuls les travailleurs indépendants et les professions libérales en sont exemptés. Depuis 2008, les entreprises peuvent décider elles-mêmes des modalités : les salariés sont tenus de travailler sept heures de plus dans l'année sans être payés. Ils peuvent réaliser ces heures sur une journée ou de manière fractionnée, sur l'année. Des employeurs peuvent décider de supprimer une journée de congé ou de RTT à cet égard. Et impossible de s'y soustraire. "Le salarié qui refuse d'effectuer la journée de solidarité s'expose à des sanctions disciplinaires", précise Emmanuelle Destaillats. 

Les revenus du capital sont aussi soumis à ce prélèvement de l'ordre de 0,3%, à l'exception de l'épargne populaire comme le Livret A. Les retraités et les invalides qui sont redevables de l'impôt sur le revenu doivent eux-aussi contribuer au financement de la dépendance, en versant 0,3% de leur pension, depuis le 1er avril 2013. C'est également le cas des Français qui touchent des allocations de préretraite. Ces fonds récoltés sont regroupés dans la contribution additionnelle de solidarité autonomie (Casa). Les versements peuvent faire l'objet d'un contrôle par l'Urssaf. 

3Comment est utilisé cet argent ? 

La journée de solidarité a rapporté 2,4 milliards d'euros en 2018 et la Casa 765,4 millions d'euros, d'après le gouvernement. Depuis la mise en place de la journée de solidarité en 2004, le montant total versé pour l’autonomie des personnes âgées et dépendantes a dépassé les 33 milliards d’euros, précise Le Monde. 

Dans son rapport de 2018, le CNSA annonçait consacrer "plus de 26 milliards d'euros" au financement de politiques d'aides à l'autonomie, pour les personnes âgées et handicapées. Des financements de l'Etat, de la Sécurité sociale et des départements viennent s'y ajouter. 

Sur son site, le gouvernement détaille la distribution des fonds pour 2017, assurée par la CNSA. La contribution solidarité active a été répartie en deux : 1,45 milliard d'euros sont distribués aux personnes âgées, par des aides versées aux départements afin de financer l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), et pour soutenir les établissements et services médico-sociaux. Et 967,7 millions d'euros sont versés aux conseils départementaux pour financer la prestation de compensation du handicap (PCH) et le fonctionnement d'établissements médicaux. 

4Est-ce une "nouvelle taxe déguisée" ?

La mesure annoncée par Stanislas Guerini a fait réagir : certains y voient une nouvelle "taxe" imposée aux salariés, comme le conseiller municipal et membre du Conseil national de l'UDI, Philippe Bruneel, et le porte-parole et candidat du PCF aux européennes, Ian Brossat. 

Les députés LREM s'en défendent : "Le produit économique de cette journée va au financement d'une cause que les Français voient comme prioritaire", a assuré à France 2 la députée et vice-présidente du groupe parlementaire LREM Amélie de Montchalin. A première vue, pourtant, le financement de la dépendance ne semble pas prioritaire dans les remontées du grand débat national...

L'avocate spécialiste du droit du travail Emmanuelle Destaillats assure qu'une journée de solidarité supplémentaire "n'est pas une nouvelle taxe déguisée" puisqu'elle est appliquée depuis 2004. "On peut légitimement penser que ce projet a pour objectif d'augmenter parallèlement le montant de la contribution de solidarité autonomie à la charge de l'employeur" poursuit l'avocate. Le député Olivier Véran (La République en marche, Isère), rapporteur de la commission des Affaires sociales, avait estimé qu'une deuxième journée de solidarité pourrait rapporter deux milliards d’euros.

5Le gouvernement peut-il imposer cette nouvelle journée de solidarité ? 

La journée de solidarité pour les salariés français a été instaurée par la loi du 30 juin 2004, qui a été ensuite modifiée à plusieurs reprises. "Seul le législateur semble donc pouvoir imposer une deuxième journée de solidarité, le Code du travail n'imposant actuellement qu'une seule journée aux salariés", développe Emmanuelle Destaillats. Aujourd'hui simplement évoquée par LREM, cette proposition, si elle est retenue, devra faire l'objet d'un projet de loi avant d'être soumis au vote des députés. 

Si une deuxième journée de solidarité est effectivement adoptée à l'issue du processus législatif, chaque entreprise sera libre d'en décider les modalités. Ce peut être un accord collectif ou une décision unilatérale de l'employeur, après consultation des représentants du personnel. Une deuxième journée de solidarité pourrait donc avoir lieu lors d'un jour jusqu'ici férié, lors d'un jour de repos (congé payé ou RTT). Ou elle pourrait consister à travailler pendant sept heures gratuitement, à tout moment de l'année.

En avril 2018, lors d'une interview, Emmanuel Macron s'était montré favorable à l'instauration d'une telle mesure : "Je trouve que ce n’est pas forcément une mauvaise idée, Jean-Pierre Raffarin et Jacques Chirac l’avaient proposé par le passé, ça peut être une option" pour financer l'augmentation des coûts liés à la dépendance. Le président de la République a estimé que 5 millions de personnes auront plus de 85 ans en 2050 en France, contre 1,5 million aujourd'hui. 

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