Une amende contre le cannabis ? "Nous restons dans un système d'interdit pénal", regrette le Syndicat de la magistrature
Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur, est favorable à une "amende forfaitaire" adressée aux usagers de cannabis. Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, n'y voit aucune forme de dépénalisation.
Les fumeurs de cannabis pourront écoper d'une amende au cas par cas. "Nous allons forfaitiser ce délit", a annoncé Gérard Collomb sur Europe 1, jeudi 25 janvier. Cette décision, qui rompt avec la politique répressive de la France, "n'éteint pas l'action pénale", a précisé le ministre de l'Intérieur, et convainc les syndicats policiers, favorables à une amende forfaitaire mais pas à une simple contravention.
Mais pour Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, cette solution reste inadaptée. Elle regrette que l'usage de stupéfiants soit considéré sous l'angle judiciaire plutôt que sous un angle sanitaire et social.
Franceinfo : La procédure d'amende forfaitaire va-t-elle vider les tribunaux ?
Laurence Blisson : Absolument pas. Avec cette amende forfaitaire, et via une politique du chiffre assez classique en matière policière, on risque en réalité d'avoir une augmentation des procédures. Dès lors qu'il y aura une contestation de l'amende délivrée par la police, on aura un recours devant les tribunaux. De fait, il n'y aura de gain de temps ni pour la police, ni pour la justice. Cette procédure ne va pas désengorger la justice, comme le prétend le gouvernement, si tant est que c'était véritablement l'objectif de la loi en la matière.
N'est-ce pas une forme de dépénalisation ?
Il y a visiblement un désaccord entre les deux rapporteurs. Pour l'un [Eric Poulliat, LREM], l'usage de cannabis reste un délit puni d'une peine d'emprisonnement, mais les policiers pourraient appliquer une amende forfaitaire plutôt que de renvoyer le dossier au procureur de la République. A partir du moment où on ne change pas la qualification du délit et la peine encourue, l'emprisonnement reste une possibilité. Par ailleurs, le mot de dépénalisation voudrait dire qu'il n'y a pas de sanction pénale à l'usage. Or, l'amende est une sanction pénale. Nous restons donc dans un système d'interdit pénal.
L'autre corapporteur, Robin Reda (LREM), propose l'abandon de la qualification de délit avec cette amende forfaitaire. Est-ce une bonne option ?
Cela poserait toujours un nombre important de problèmes, car nous resterions encore dans un système de répression. Le seul avantage de l'abandon de la qualification de délit, c'est que la France ne prévoirait plus de peine d'emprisonnement pour les usagers. A cet égard, il y aurait une légère progression, mais cette solution serait insuffisante.
Aujourd'hui, les petits consommateurs ne risquent pas grand chose...
La réponse pénale est très forte. Les interpellations pour usage de stupéfiants ont explosé : plus de 170 000 personnes en 2014, soit trois fois plus qu'il y a vingt ans. C'est vrai, beaucoup d'alternatives aux poursuites sont délivrées à ces personnes, avec des procédures simplifiées qui ne sont pas toujours adaptées : orientations sanitaires, classements sans suite avec rappels à la loi, amendes délivrées sur décision du procureur de la République... Mais aujourd'hui, il y a quand même des usagers de stupéfiants en prison – plus d'une centaine –, donc ce n'est pas un phénomène complètement virtuel.
Mais c'est aussi le rôle des policiers d'interpeller ?
Les policiers ne vont pas faire des consultations dans la rue. Ils n'ont aucun moyen de déterminer quels sont les risques associés à la consommation de drogue. La prise en charge de l'addiction aux drogues ne doit pas être confiée aux policiers et aux magistrats, car elle relève du domaine sanitaire et médical.
L'illégalité n'a aucun résultat et ne dissuade pas. Au contraire, elle va même parfois créer des obstacles à une prise en charge médicale. C'est une impasse.
Laurence Blissonà franceinfo
En plus d'être inefficace, cette amende forfaitaire est injuste sur le plan social, car elle s'appliquera majoritairement à des personnes issues des milieux populaires et précaires. Selon moi, l'usage de cannabis ne doit plus être une infraction pénale. La seule prise en charge d'un usager doit être sanitaire et sociale et non relever de l'autorité judiciaire. Il faut aller vers une légalisation contrôlée – comme en Uruguay, par exemple – ce qui implique qu'on arrête d'engloutir des sommes monstrueuses dans une répression qui ne marche pas. Aujourd'hui, la France prend ces problèmes à rebours du sens de l'histoire.
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