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Ce que l'on sait de l'histoire de Naomi Musenga, morte après avoir été raillée par une opératrice du Samu

AgĂ©e de 22 ans et mère d'une fille, Naomi Musenga est morte quelques heures après avoir appelĂ© le Samu, Ă  Strasbourg. Lors de ce coup de tĂ©lĂ©phone, deux opĂ©ratrices s'Ă©taient moquĂ©es de la patiente. L'attitude des secours pendant cet appel, dont l'enregistrement a Ă©tĂ© rendu public, fait polĂ©mique.

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Un ambulancier du Samu, à Strasbourg (Bas-Rhin), le 31 décembre 2001. (PIERRE ANDRIEU / AFP)

Au lieu de l'aider, les secours se sont moquĂ©s d'elle. Le parquet de Strasbourg (Bas-Rhin) a ouvert, mercredi 9 mai, une enquĂŞte prĂ©liminaire du chef de "non-assistance Ă  personne en pĂ©ril", au sujet de la prise en charge de Naomi Musenga. Cette mère de famille de 22 ans est morte peu après avoir Ă©tĂ© raillĂ©e par deux opĂ©ratrices des secours de l'hĂ´pital universitaire de Strasbourg (Bas-Rhin).

Les faits remontent au 29 dĂ©cembre dernier, mais la polĂ©mique enfle depuis qu'a Ă©tĂ© rendu public, le 27 avril, l'enregistrement de l'appel de la jeune femme, sur le site du journal d'information local Heb'di. On y entend Naomi Musenga dire qu'elle "va très mal".

Franceinfo fait le point sur la polémique.

Que s'est-il passĂ© ?

Naomi Musenga, 22 ans, est seule chez elle, ce vendredi 29 dĂ©cembre, Ă  son domicile strasbourgeois. Il est 11 heures lorsque cette mère d'une fille âgĂ©e d'un an et demi est prise de douleurs intenses. "A bout de forces", raconte Heb'di, elle compose sur son tĂ©lĂ©phone le 15, le numĂ©ro du Samu, le service des urgences mĂ©dicales.

Au bout du fil, une opĂ©ratrice transmet Ă  l'une de ses collègues les premières informations dont elle dispose sur le cas de Naomi. "Elle m'a dit qu'elle 'va mourir', rapporte l'opĂ©ratrice. Elle a 22 ans, elle a des douleurs au ventre, (...) elle a de la fièvre, et 'elle va mourir' ", poursuit-elle. "Ah, c'est sĂ»r qu'elle va mourir un jour, c'est certain", rĂ©pond l'opĂ©ratrice des secours, le ton moqueur. Après une minute trente de discussion entre les deux femmes, la deuxième opĂ©ratrice prend en ligne Naomi. Le souffle court, elle tente difficilement d'expliquer sa situation, comme on l'entend dans cet enregistrement. 

Voici la retranscription de l'Ă©change, qui dure une minute vingt. C'est la famille de la jeune femme qui l'a obtenu, puis transmis Ă  la presse.

- "Oui, allĂ´ !"
- AllĂ´... Aidez-moi, madame...
- Oui, qu'est-ce qui se passe?
- Aidez-moi...
- Bon, si vous ne me dites pas ce qu’il se passe, je raccroche…
- Madame, j’ai très mal...
- Oui ben, vous appelez un mĂ©decin, hein, d'accord ? VoilĂ , vous appelez SOS MĂ©decins.
- Je peux pas.
- Vous pouvez pas ? Ah non, vous pouvez appeler les pompiers, mais vous ne pouvez pas...
- Je vais mourir.
- Oui, vous allez mourir, certainement, un jour, comme tout le monde. Vous appelez SOS MĂ©decins, c'est 03 88 75 75 75, d'accord ?
- S'il vous plaît, aidez-moi madame...
- Je peux pas vous aider, je ne sais pas ce que vous avez.
- J'ai très mal, j'ai très très mal.
- Et oĂą ?
- J'ai très mal au ventre (...) et mal partout.
- Oui, ben, vous appelez SOS MĂ©decins au 03 88 75 75 75, voilĂ , ça je ne peux pas le faire Ă  votre place. 03 88 75 75 75. Qu'un mĂ©decin vous voie, ou sinon vous appelez votre mĂ©decin traitant, d'accord ? 
- D'accord.
- Au revoir."

Naomi Musenga raccroche, puis trouve la force d'appeler SOS MĂ©decins. A partir de ce moment, tout se passe très vite. Devant l'Ă©tat critique de la jeune femme, les praticiens dĂ©clenchent l'intervention du Samu de Strasbourg. Naomi est "consciente", rapporte Heb'di, mais son Ă©tat se "dĂ©grade" lors de son transfert Ă  l'hĂ´pital. Elle passe un scanner, mais fait deux arrĂŞts cardiaques, victime d'un infarctus, prĂ©cisent Le Monde et Heb'di. TransfĂ©rĂ©e en rĂ©animation, elle meurt Ă  17h30, soit six heures et demie après son appel.

Une autopsie est pratiquée cinq jours plus tard. Naomi Musenga est morte des suites d'une "défaillance multiviscérale sur choc hémorragique", selon le rapport consulté par Le Monde, qui précise qu'il s'agit de "l'arrêt de plusieurs organes", dont la cause peut résulter de "facteurs variés"

Comment rĂ©agit la famille ?

Peu après la mort de Naomi, sa famille a contactĂ© Heb'di, qui a publiĂ© son enquĂŞte le 27 avril, après avoir obtenu l'enregistrement de l'Ă©change tĂ©lĂ©phonique entre les secours et la victime. "J'Ă©tais effondrĂ©e, abasourdie, choquĂ©e" après l'Ă©coute de l'enregistrement, raconte Ă  France Bleu Bablyne Musenga, la mère de Naomi. Aide-soignante, elle s'interroge : "Est-ce que le Samu est toujours Ă  sa place ou c'est SOS MĂ©decins qui devient le Samu ou ce sont les pompiers ?"

Pour y voir plus clair, la famille a saisi le procureur de la RĂ©publique de Strasbourg, afin de connaĂ®tre les causes rĂ©elles du dĂ©cès de la jeune femme, et de savoir si une prise en charge adaptĂ©e de Naomi aurait pu la sauver. "Quelqu'un qui appelle le Samu, c'est pour ĂŞtre sauvĂ© ! Mais si on appelle le Samu pour qu'il nous crache dessus, c'est choquant", dĂ©nonce Louange Musenga, la sĹ“ur de Naomi, interrogĂ©e par France 2.

Les opératrices ont-elles respecté les procédures ?

L'attitude des deux opĂ©ratrices du Samu, qui n'ont pas su saisir l'urgence de la situation de Naomi, pose question. Dans l'attente des conclusions de l'enquĂŞte administrative, plusieurs mĂ©decins ont eu des mots très durs envers les deux femmes. "Ça n'est pas pardonnable, la manière qu'il y a eu de rĂ©pondre Ă  Naomi, et de ne pas comprendre sa dĂ©tresse", dĂ©plore Patrick Pelloux, mĂ©decin urgentiste, sur franceinfo

Les propos qui sont tenus par l'opĂ©ratrice du Samu ne sont "pas acceptables", confirme François Braun, prĂ©sident de Samu-Urgences de France, sur franceinfoSelon lui, l'opĂ©ratrice n'avait pas Ă  prendre seule la dĂ©cision de rediriger Naomi vers SOS MĂ©decins. "Ce qui est encore moins acceptable, poursuit-il, c'est que normalement tout appel est transmis Ă  un mĂ©decin rĂ©gulateur. C'est ce mĂ©decin qui prend les dĂ©cisions après un interrogatoire mĂ©dical et, dans ce cas, l'appel n'a pas Ă©tĂ© transmis au mĂ©decin. Ce n'est absolument pas la procĂ©dure. Ce n'est absolument pas ce que l'on apprend Ă  nos opĂ©ratrices. On ne demande pas aux gens de rappeler, on le fait nous-mĂŞmes et on transmet l'appel Ă©ventuellement Ă  un autre service."

Je crois qu’il faut faire toute la lumière sur ce qu’il s’est passé parce que c’est vraiment trop grave.

Patrick Pelloux

Ă  franceinfo

"Inutile de vous dire que je ne considère pas que ce soit un modèle de prise en charge, renchĂ©rit FrĂ©dĂ©ric Lapostolle, professeur de mĂ©decine d'urgence, sur RMC. (…) Ça manque d'empathie et d'intĂ©rĂŞt portĂ© au patient."

Comment se dĂ©fend l'hĂ´pital ?

Depuis la publication de l'enregistrement, la polĂ©mique enfle. Sur Twitter, des soutiens de la famille rĂ©clament des "sanctions". D'autres internautes, scandalisĂ©s, accusent l'hĂ´pital de racisme. Les hĂ´pitaux universitaires de Strasbourg, qui hĂ©bergent les services du Samu, n'ont pas souhaitĂ© en dire plus sur les circonstances de cet appel. "On a fait un communiquĂ© de presse, une enquĂŞte est en cours. On ne dira rien de plus", a rĂ©pondu l'hĂ´pital au Monde

Dans leur communiquĂ© datĂ© du 3 mai, ils annoncent ainsi avoir diligentĂ© une "enquĂŞte administrative destinĂ©e Ă  faire toute la lumière sur les faits relatĂ©s dans l'article" du journal alsacien. Ses rĂ©sultats devraient ĂŞtre connus d'ici trois semaines.

Mercredi après-midi, la direction des hĂ´pitaux de Strasbourg a suspendu Ă  titre conservatoire l'opĂ©ratrice, a confirmĂ© auprès de franceinfo Christophe Gautier, son directeur gĂ©nĂ©ral. Ce dernier, sans Ă©voquer ses Ă©changes avec l'intĂ©ressĂ©e, explique que les Ă©lĂ©ments qu'il a pu recueillir lui semblent "de nature Ă  constituer un manquement Ă  la procĂ©dure". 

Que rĂ©pond le gouvernement ?

Dans un communiquĂ© commun, deux organisations de mĂ©decins urgentistes ont demandĂ© mardi "un rendez-vous immĂ©diat" avec la ministre de la SantĂ©, Agnès Buzyn, "pour trouver des solutions aux problèmes de rĂ©gulation mĂ©dicale afin qu'un tel drame ne se reproduise pas". Le prĂ©sident de l'Association des mĂ©decins urgentistes de France (Amuf), Patrick Pelloux, rĂ©clame notamment plus de moyens pour les services de rĂ©gulation. "On ne peut pas dire que c'est normal d'avoir le mĂŞme nombre de personnes qui rĂ©pond au tĂ©lĂ©phone au Samu quand on avait 10 millions d'appels et quand on en a 30 millions aujourd'hui, dĂ©plore-t-il. Ce n'est pas possible. Il faut moderniser le système avec pour objectif que chaque appel soit pris en charge."

Cet incident doit nous faire réfléchir pour réformer le Samu, pour que cela ne se reproduise pas.

Patrick Pelloux

Ă  franceinfo

"Une rĂ©union Ă  ce sujet se tiendra dans les jours qui viennent au ministère", a dĂ©clarĂ© la ministre de la SantĂ© après avoir prĂ©sentĂ© ses condolĂ©ances sur Twitter. "Je suis profondĂ©ment indignĂ©e par les circonstances du dĂ©cès" de Naomi Musenga et "je tiens Ă  assurer sa famille de mon entier soutien", a-t-elle Ă©crit. Elle annonce avoir demandĂ© une enquĂŞte de l'Inspection gĂ©nĂ©rale des affaires sociales (Igas) "sur ces graves dysfonctionnements", s'engageant Ă  ce que la famille "obtienne toutes les informations"

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