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Récit Des premières salmonelloses aux excuses publiques de Lactalis, les six semaines qui ont fait éclater le scandale du lait contaminé

Des premiers nourrissons malades à la fin août, aux boîtes de lait premier âge toujours présentes dans les rayons des supermarchés malgré trois rappels successifs, franceinfo revient sur une affaire qui éclabousse Lactalis et les principaux groupes de distribution.

Article rédigé par Carole Bélingard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Des boîtes de lait pour bébé Milumel de chez Lactalis. (MAXPPP)

Avant d'ouvrir la boîte de lait Milumel Lémiel 1er âge pour en donner à son nourrisson, Virginie a un doute. Cette jeune mère de famille repère le numéro 17C0012681 inscrit sur le socle de la boîte. Vérification faite : le lait qu'elle tient entre les mains fait partie des lots potentiellement contaminés à la salmonelle, et rappelés par Lactalis depuis le 21 décembre. Or, comme elle l'a assuré à franceinfo, Virginie a acheté son lait le 3 janvier à l'Intermarché de Marles-les-Mines (Pas-de-Calais) : "C'est honteux de vendre cela alors que c'est pour des bébés !" 

Les principaux groupes de grande distribution (Leclerc, Système U, Auchan, Cora, Carrefour, Casino) ont reconnu, mercredi 10 et jeudi 11 janvier, avoir vendu des boîtes de lait infantile Lactalis malgré les différents rappels. Mais comment du lait destiné aux bébés potentiellement contaminé a-t-il pu se retrouver dans les rayons de centaines de supermarchés, et ce malgré trois campagnes de rappel ?

Fin novembre, 20 premiers bébés infectés

L'alerte est donnée à la fin novembre. Les autorités sanitaires sont informées d'un nombre anormalement élevé de cas de salmonellose chez des nourrissons. Une bactérie qui provoque le plus souvent une gastroentérite bénigne, mais elle peut être extrêmement grave chez des bébés. Vingt jeunes enfants âgés de moins de 6 mois sont ainsi infectés depuis le mois d'août, sans conséquence durable. Tous ont consommé du lait Lactalis 1er âge.

La marque Celia a été intégrée au Goupe Lactalis en 2007 (ici, l'usine de Craon, en Mayenne). (DAMIEN MEYER / AFP)

Le ministère de la Santé décide de diligenter une enquête dans l'entreprise Lactalis de Craon (Mayenne). Le 1er décembre au soir, les résultats tombent sur le bureau de la la ministre de la Santé, Agnès Buzyn : la contamination à la salmonelle est confirmée. Dès le 2 décembre, Lactalis procède au rappel de 12 lots fabriqués dans cette usine et met en place un numéro vert à destination des familles. Le début d'une longue série de rappels. 

Bercy hausse le ton contre Lactalis

A partir du 4 décembre, deux enquêtes sont lancées : les services vétérinaires de la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) enquêtent dans l'usine Lactalis de Craon et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) mène son enquête. Leurs conclusions tombent le 8 décembre : l'origine de la contamination est identifiée, la bactérie est repérée dans la tour de séchage numéro un de l'usine.

Par ailleurs, cinq nouveaux cas de contamination à la salmonelle sont détectés chez des bébés. Le groupe annonce alors qu'il stoppe l'activité de ses installations de Craon "afin d'y engager des mesures de nettoyage, de désinfection additionnelles, renforcées, pour le futur".

Le patron de Lactalis est convoqué dès le lendemain à Bercy par le directeur de cabinet du ministre Bruno Le Maire. Bercy assure avoir demandé à l'entreprise un retrait plus large de produits. Le ton monte. Bruno Le Maire estime que "les mesures prises par l'entreprise n'étaient pas de nature à maîtriser le risque de contamination", affirme Le Figaro. Il signe alors lui-même, le 10 décembre, un arrêté demandant la suspension de la commercialisation de 620 nouveaux lots. De son côté Lactalis évoque une "parfaite collaboration" avec les autorités.

Un père saisit la justice, une enquête est ouverte

Du côté des parents d'enfants en bas âge, l'inquiétude grandit. C'est le cas de Quentin Guillemain. Sa fille de trois mois a consommé un lot concerné par les rappels mais n'est pas tombée malade. Il décide néanmoins de porter plainte, le 11 décembre, contre Lactalis pour mise en danger de la vie d'autrui et non-assistance à personne en danger. Dans le même temps, il monte un collectif. 

On est en colère parce qu'on s'attend à ce que ces produits soient irréprochables. Il y a une espèce de nonchalance par rapport à un sujet grave où on laisse le fabricant juge et partie. Ce n'est pas sérieux.

Quentin Guillemain

à france bleu

L'autorité de surveillance Santé publique France recense, le 20 décembre, 35 nourrissons atteints de salmonellose en France depuis la mi-août. Pour 31 enfants malades, il a été prouvé qu'ils avaient consommé un lait de l'usine de Craon. Dans le même temps, la DGCCRF et les services vétérinaires poursuivent leurs contrôles. Le 21 décembre, des traces de salmonelles sont détectées dans un atelier de fabrication. La présence de la bactérie semble généralisée au sein de l'usine. Lactalis annonce alors le retrait, en France et à l'international, de 720 lots de laits infantiles et autres produits "infantiles et nutritionnels fabriqués ou conditionnés dans le site de Craon (Mayenne) depuis le 15 février 2017." Au total, 1 345 références sont retirées des rayons pour risque de contamination à la salmonelle.

Une enquête préliminaire est ouverte, le 22 décembre, par le pôle santé publique du parquet de Paris pour "blessures involontaires", "mise en danger de la vie d'autrui", "tromperie aggravée par le danger pour la santé humaine" et "inexécution d'une procédure de retrait ou de rappel d'un produit d'origine animale ou de denrée en contenant préjudiciable à la santé".

La salmonelle détectée dans l'usine dès l'été 2017

Alors que la situation semble sous contrôle, un article du Canard enchaîné vient jeter le trouble. Le journal assure, dans son édition du 3 janvier, que Lactalis Nutrition Santé a constaté l'existence des salmonelles sur les carrelages et du matériel de nettoyage dès le mois d'août 2017. Des résultats confirmés en novembre lors d'autocontrôles menés par Lactalis, un mois avant que le scandale n'éclate.

Ces analyses "ont été révélées [de la salmonelle] uniquement dans l’environnement et non dans les produits", se justifie Lactalis dans un communiqué publié le 3 janvier.  L'entreprise a-t-elle livré ces informations aux autorités dès qu'elle en a eu connaissance ? Elle assure que oui. "Cela a donné lieu comme il se doit à l’application d’un programme de nettoyage adapté et à des contrôles renforcés sur les lots fabriqués à ces dates, contrôles qui se sont tous révélés négatifs. Toutes ces analyses ont été transmises aux autorités compétentes dès le début."

Problème : le ministère de l'Agriculture assure n'avoir "pas eu connaissance" de ces autocontrôles. On apprend aussi qu'au mois de septembre, les services vétérinaires ont effectué un contrôle dans l'usine de Craon. Bilan de l'opération : rien de suspect. Là encore, le ministre de l'Agriculture, Stéphane Travert, se défend : "Ces contrôles ont été faits sur un site qui ne correspond pas à l'endroit où est produit le lait infantile. Nous ne pouvions pas savoir. A partir du moment où on ne trouve rien, on ne nous alerte sur rien."

Pas de quoi calmer la colère des familles. Ségolène Noviant, vice-présidente de l'association des victimes de Lactalis pousse un cri d'alerte dans Le Parisien du 9 janvier. Son fils Noan, 6 mois, est hospitalisé lundi pour la troisième fois en un mois, après avoir consommé du lait Picot Riz, contaminé à la salmonelle. Le bébé de 7 kg perd beaucoup de sang, atteint les 42,7°C de fièvre. "J'ai cru que je le perdais", confie-t-elle.

C'est faux ! Il faut arrêter de dire que nos enfants intoxiqués sont désormais en bonne santé, mon fils va très mal.

Ségolène Noviant

au Parisien

"Clairement, on a eu une faille, surtout au niveau des magasins"

L'affaire prend une nouvelle tournure. Audrey, une cliente du Leclerc Drive de Seclin (Nord) constate à la même période que le magasin lui a vendu des boîtes de lait Milumel, censés avoir été rappelés depuis le 21 décembre. "J’ai demandé au Leclerc de contacter tous ceux qui avaient pu acheter ce produit pour les alerter, mais j’envisage aussi un dépôt de plainte pour mise en danger de la vie d’autrui", affirme-t-elle, le 5 janvier, dans La Voix du Nord.

Face à ces accusations, Leclerc reconnaît, le 9 janvier, avoir vendu des produits de Lactalis concernés par le rappel. "Moi-même, j'étais atterré, je pensais que tout était nickel (...) Clairement, on a eu une faille surtout au niveau des magasins"regrette le patron du groupe, Michel-Edouard Leclerc, sur France Inter. C'est ensuite l'effet domino.

Cora reconnaît la vente de 72 boîtes depuis le 22 décembre. Le groupe Système U indique que 384 boîtes de lait infantile ont été vendues. Intermarché confirme au moins deux cas, l'un à Marles-les-Mines et l'autre à Beauvais (Oise). L'enseigne décide d'arrêter "définitivement" de commercialiser des laits infantiles Lactalis de la marque Milumel. Auchan a aussi vendu 52 boîtes de lait infantile Lactalis qui auraient dû être retirées de ses rayons. Carrefour estime, de son côté, à 434 le nombre de boîtes vendues après rappels. Pour Casino, 403 articles sont concernés. 

"L'Etat s'est substitué à une entreprise défaillante"

Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, exige, jeudi 11 janvier, des explications des distributeurs. Il critique surtout vertement le groupe Lactalis. "L'Etat s'est (...) substitué à une entreprise défaillante dont je rappelle qu'elle est la seule responsable de la qualité et de la sécurité des produits mis sur le marché", lâche-t-il lors d'une conférence de presse.

Mais les supermarchés ne sont pas les seuls concernés. Le ministre précise que 2 500 contrôles ont été réalisés depuis le 26 décembre par la DGCCRF. Dans des supermarchés comme dans des crèches ou encore des hôpitaux, "91 détenaient des boîtes de lait infantile Lactalis qui auraient dû être retirées", dont 30 grandes surfaces, 44 pharmacies, 12 hôpitaux et 2 crèches. Le ministre de l'Economie annonce 2 500 contrôles supplémentaires "dès la semaine prochaine".

Face au feu nourri des critiques, Lactalis renforce ses contrôles pour déterminer l'origine de la contamination. "Nous ne nous excuserons jamais assez, lance Michel Nalet porte-parole de Lactalis, face aux journalistes dans la soirée. Nous devons trouver une explication."

Il n'est pas le seul. Plusieurs députés réclament la création d'une commission d'enquête parlementaire. Et dans les jours à venir, d'autres familles vont porter plainte, annonce le président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles.

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