Jeûne intermittent, recettes fitness, perte de poids... Quand des influenceurs mettent en danger la santé des internautes

Article rédigé par Audrey Abraham
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Certains influenceurs promettent à leurs abonnés de perdre une dizaine de kilos en quelques semaines, photo d'illustration. (BOILEAU FRANCK / MAXPPP)
Sur Instagram et autres réseaux sociaux, les néo-experts en nutrition fleurissent quotidiennement, poussant un public, parfois très jeune, à multiplier les restrictions alimentaires. Quels sont les dangers, comment s'en prémunir ? Les conseils d'une nutritionniste à franceinfo.

Les influenceurs autoproclamés experts en nutrition se multiplient sur les réseaux sociaux, donnant toujours plus de conseils pour obtenir une "silhouette de rêve". Instagram comptabilise plus de deux millions de publications avec le hashtag #regime, plus de 111 000 publications avec le hashtag #chrononutrition, plus de 93 000 avec le hashtag #jeuneintermittent, 77 000 avec le hashtag #alimentationintuitive.

Des recommandations en tous genres promettent aux internautes qui les suivront à la lettre de perdre parfois plusieurs dizaines de kilos. Au risque de provoquer, chez certains, des troubles du comportement alimentaire.

À la une de son compte Instagram, une de ces influenceuses – près de deux millions d'abonnés – propose de devenir "la meilleure version" de soi-même, avec ses "programmes sportifs et nutritionnels". Des packs vendus en moyenne à 60 euros, proposant des vidéos de séances de sport, des recettes minceur et des conseils "pour que toute la famille partage les mêmes repas." Au fil de ses publications, d'impressionnants avant/après d'internautes qui auraient perdu six kilos, parfois dix, en seulement six semaines.

L'accroche de la pratique sportive

Sur son site internet, la jeune femme se présente comme coach sportive. "L'accroche, c'est souvent les fitness girls ou fitness boys", confirme la nutritionniste et endocrinologue Dominique-Adèle Cassuto, auteure de l'ouvrage Silhouette, mon amie, mon ennemie. "C'est souvent plutôt de bonne guerre, faire du sport, c'est une bonne idée", reconnaît la professionnelle. Mais le contenu proposé dérive rapidement vers un objectif de perte de poids. "Tous les jours", la nutritionniste assure recevoir des patientes dans son cabinet en perte de repères après avoir suivi des régimes sur les réseaux sociaux.

Une autre créatrice de contenus et son compagnon – 1,5 million d'abonnés à eux deux – multiplient les promotions pour les boissons protéinées et compléments alimentaires "que vous soyez sportif ou non, que vous vouliez perdre du poids ou en prendre." Une autre encore – 1,4 million d'abonnés – a publié un livre de recettes "idéales pour une perte de poids et un rééquilibrage alimentaire", indique son compte Instagram.

Entre deux autopromotions, ces influenceurs et des dizaines d'autres encouragent à la consommation de gummies minceur, de cookies, snacks ou repas pour une perte de poids "rapide et gourmande". Le tout en proposant des challenges dans des délais particulièrement courts avec des objectifs de perte de poids excessifs. Ces influenceurs "n'ont aucune expérience en nutrition ou en régime", s'inquiète Dominique-Adèle Cassuto.

Ce qui alarme particulièrement la nutritionniste, c'est l'absence de régulation des influenceurs : "Nous, nutritionnistes, on n'oserait pas dire des choses comme ça en ligne parce qu'on a la régulation de nos pairs." Elle souligne, par ailleurs, que certains professionnels experts dans le domaine, des médecins, utilisent les réseaux sociaux à bon escient pour donner des conseils généraux en matière de nutrition.

Toutes les recommandations présentes sur les réseaux sociaux ne sont pas à jeter. Mais la contrainte d'un régime alimentaire doit être adaptée et personnalisée au patient. "Le jeûne intermittent ? Pour quelqu'un qui n'a jamais faim le matin, pourquoi pas. Les régimes sans gluten ? Ça dépend. Les régimes sans sucre ? Ça dépend…", poursuit Dominique-Adèle Cassuto.

La santé mentale des plus jeunes en danger

Le facteur essentiel à côté duquel passent les influenceurs, c'est le profil de leurs internautes. "Ils ne savent pas qui il y a derrière l'écran," alerte Dominique-Adèle Cassuto. 94% des 13/24 ans sont sur Instagram : "Prescrire un régime à une adolescente, pour moi, c'est une faute professionnelle, insiste la nutritionniste. Faire un régime quand on a faim, qu'on grandit, que le corps change, c'est très angoissant."

Parmi les "followers", certains sont déjà particulièrement fragiles. Dominique-Adèle Cassuto se souvient d'une jeune patiente anorexique qui suivait des ateliers de yoga sur les réseaux sociaux. "Elle me dit : 'Je me suis mise sur un truc de yoga et on m'a dit qu'il fallait manger ceci ou cela.' Ça ne va pas ! " Des conseils nutritionnels, évidemment, inadaptés à une jeune fille anorexique.

Pour motiver sa "team" sur les réseaux sociaux, une influenceuse assure que "tout est dans la tête, le corps suivra." Une hérésie pour Dominique-Adèle Cassuto : "C'est très grave ! C'est tellement faux, elle envoie comme message que c'est la tête qui décide. C'est tout l'inverse, que je répète tous les jours à mes patients."

Ces restrictions extrêmes entraînent régulièrement des troubles du comportement alimentaire, tels que l'anorexie ou la boulimie : "Ça normalise une alimentation qui n'est pas adaptée à l'âge, à l'activité physique, au sexe..." Sans parler des carences potentielles : "Evidemment si on ne mange plus rien... En plus il y a ces tendances sur Instagram de montrer des menus qui ont l'air très copieux mais dans lesquels il n'y a rien, de la salade, des graines de chia et je ne sais pas quoi."

La nutrition, un sujet "très rentable"

Pour expliquer ces tendances qui se multiplient sur les réseaux, la nutritionniste évoque le caractère universel de l'alimentation en tant que besoin primaire : "Tout le monde mange tous les jours. C'est très rentable. Ça fait venir beaucoup de monde, beaucoup de personnes qui sont perdues."

"Ce sont souvent des gens qui sont fragiles, qui ne vont pas bien, et qui voient des gens qui ont l'air très heureux" qui tombent dans ces mécanismes, poursuit Dominique-Adèle Cassuto. "Cette fille a l'air heureuse avec ses copines, ça a l'air de fonctionner la vie. En plus, elle a eu un bébé, elle est toute mince, elle gagne de l'argent… 'Peut-être que si j'étais mince comme ça, et ben j'y arriverai comme ça.' Il y a aussi cette identification qui se met en route."

D'autant que le modèle que prônent ces influenceuses est souvent le même : celui d'un corps d'une extrême minceur, sans imperfection. La nutritionniste rappelle que chaque régime ou parcours nutritionnel doit faire l'objet d'un suivi par un professionnel et doit être adapté au patient. Pour éviter l'éternelle dysmorphophobie à laquelle les adolescents sont confrontés, Dominique-Adèle Cassuto rappelle que les photos sur les réseaux sociaux sont souvent retouchées.

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