Question de société. Jean Viard : "Il faut en France une grande politique agricole, parce que c'est un projet de toute la société"
La crise sanitaire que l'on vit depuis un an aurait-elle une influence sur le rapport entre les Français et les agriculteurs ? C'est le sujet de réflexion du jour avec le sociologue Jean Viard.
Pas de Salon de l'agriculture, porte de Versailles à Paris, aujourd'hui dimanche 28 février. Il devait commencer hier. L'année dernière, c'est d'ailleurs l'un des derniers événements d'ampleur qui avaient pu se tenir. On décrypte avec le sociologue Jean Viard les relations entre les Français et les agriculteurs. Le prisme de la crise sanitaire a-t-t-il modifié le rapport ?
franceinfo : Jean Viard, la crise que nous vivons depuis un an a-t-elle changé le rapport entre les Français et les agriculteurs ?
Disons que cela va plutôt dans le bon sens. C'est-à-dire que, d'une part, il y a beaucoup de gens qui ont eu accès au local, les fermes se sont ouvertes. On a eu le sentiment que heureusement qu'ils étaient là les agriculteurs et ça, c'est déjà positif. En plus, on a beaucoup plus cuisiné, on a pris des produits frais, on a acheté plus de viande, et je pense que c'est très positif. Et puis les conflits qu'il y avait avant, depuis 10/15 ans, il y avait beaucoup de tensions, d'abord sur les questions écologiques et des produits chimiques, et puis sur des problèmes de voisinage, disons qu'on en a moins parlé parce qu'on avait d'autres soucis. Mais ça va revenir.
Est-ce que cette crise sanitaire a changé aussi le métier des agriculteurs et peut-être leur avenir ? Le rôle qu'ils jouent dans la société ?
Moi, je pense que l'agriculture, c'est un grand métier d'avenir. C'est le genre de métier qui ne va pas disparaître. Ils tiennent toujours 52, 53% du sol de France, plus les forêts, qui pourraient être en exploitation davantage. Et puis, on aura toujours besoin de se nourrir, et je pense que demain plus qu'hier, on sera un peu plus européen et français, voire local dans la nourriture, y a des batailles sur les importations et tout ça. Tout ça fait que ça va dans le bon sens. Après, il faut aussi que le monde agricole se transforme en interne parce qu'on a des demandes beaucoup plus écologiques.
On a la question de l'animal, qui est beaucoup plus compliqué qu'avant, parce que quelque part, on a beaucoup d'animaux domestiques, etc. Donc, est-ce qu'on peut offrir un petit lapin en peluche à ses enfants, et amener un lapin sur la table du dimanche ? Ce n'est pas évident du tout. On a là des évolutions culturelles, et un monde paysan qui pour une part est très innovant, par exemple, le labour est un sujet passionnant, la fin des labours, le fait qu'on plante dessus, mais il y a d'énormes investissements techniques à faire. Juste un exemple : les vignes, on n'a pas encore la machine pour faire à la fois le désherbage dans l'allée et entre les pieds de vigne. C'est pour ça qu'il y en a qui mettent du glyphosate dans leurs vignes. C'est pour dire que l'une des questions actuelles, c'est les mentalités, la culture. L'autre question, c'est la technique.
Justement sur les mentalités. On a l'impression qu'il y a pour une partie de la France, ce désir d'un retour à une forme de paysannerie avec la remise en cause de deux modèles qui existent déjà, la monoculture, l'élevage intensif ?
Oui, c'est toujours facile de remettre en cause le système des autres. Si vous voulez que les gens des villes préfèrent l'agriculture urbaine, c'est sûr. Mais comme je dis souvent, je crois qu'à Paris, on doit manger 2 ou 3 millions d'oeufs par jour. On peut aussi envoyer les poules. C'est pour dire si vous voulez que c'est facile de l'extérieur. C'est un métier qui est peu rémunérateur parce que les mêmes qui vous expliquent comment il faudrait changer l'agriculture, et souvent à raison, pas toujours, ce sont les mêmes qui veulent que les prix soient pas chers.
Or, un des gros problèmes des agriculteurs, c'est la faiblesse des marges, parce qu'on écrase les prix pour qu'on puisse nourrir tout le monde, y compris les plus modestes. Parce que le problème, c'est de nourrir les gens qui ont le moins d'argent, et donc c'est un vrai enjeu, la nourriture, sans ça, on ne peut pas avancer.
Je pense qu'il faut en France une grande politique agricole, comme avait su le faire Edgard Pisani dans les années 70, parce que c'est un projet de toute la société : c'est l'aliment, c'est les paysages, c'est les hommes qui y travaillent. Donc, c'est tout ça qu'il faut remettre au cœur de la société. C'est pour cela que je disais tout à l'heure que l'agriculture, c'est un métier d'avenir.
Justement, parlons d'avenir. Il y a une dimension peut être générationnelle à prendre en compte, des départs à la retraite, la reprise par des néo-agriculteurs aussi, aux pratiques peut-être différentes. Il y a cet aspect générationnel qui est important ?
Oui, bien sûr, parce que d'abord il ne reste plus que 440.000 chefs d'exploitation, il y en avait 3 millions après guerre. C'est la plus grande saignée professionnelle qu'on ait connue de tous les métiers. La question, c'est que c'est un mouvement qui continue et la question, c'est comment on l'arrête, c'est-à-dire au lieu d'agrandir les exploitations, de les mécaniser et de faire de la chimie, comment on arrête de les agrandir, qu'on en ait plus, mais qu'on crée plus de valeur ajoutée. Et sinon, ça peut pas marcher.
Il y a une autre question immense qui est celle du foncier. Vous avez la moitié des agriculteurs qui vont se retirer dans les 10 ans. Il y en a qui ont des descendants qui parfois sont partis en ville et qui vont revenir, avec un autre savoir technique, qui ont fait du commerce, du numérique, etc. Et qui reviennent parce qu'ils n'ont pas eu envie de travailler avec leur papa toute leur vie. La vie s'est allongée, des fois ce sont des petits enfants qui reprennent. Et puis, il faut sans doute créer de grandes coopératives foncières dans les régions pour prendre en viager les exploitations que les paysans ne veulent plus tenir, plutôt que ça soit le voisin qui s'agrandisse, il vaut mieux installer un jeune avec une autre culture, un autre rapport.
La plupart des jeunes ne sont plus des couples d'agriculteurs. C'est un agriculteur et une dame. C'est souvent des messieurs. Ça peut être l'inverse. Mais si vous voulez le deuxième en général a un emploi à l'extérieur de l'exploitation, et donc du coup, ça aussi, ça change fondamentalement les mentalités. Parce que du coup, on a envie de partir en week end, on a envie de partir en vacances, etc. On a envie de faire comme tout le monde, en faisant ce métier génial. Donc, c'est cet équilibre qui se cherche.
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