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Dix ans de mariage pour tous : "Tout ce qui touche à l'intime en France fait encore l'objet d'un énorme blocage, c'est un vrai problème", souligne Jean Viard

Il y a dix ans, jour pour jour, le 23 avril 2013, le parlement français a adopté la loi sur le mariage pour tous. Loi qui a permis à quelque 70 000 couples depuis, de se dire oui. Le décryptage du sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le samedi 12 octobre 2013, presque six mois après l'adoption par le parlement français de la loi sur le mariage des personnes de même sexe, le premier mariage pour tous se déroule à la Mairie de Saint- Martin, aux Antilles. Après 38 ans de vie commune, Marc et Jean-Claude se sont unis, malgré des cris et des slogans anti-mariage pour tous, lancés pendant la cérémonie. (Illustration) (ROGER MASIP - AGENCE DE PRESSE DES ILES DU NORD / MAXPPP)

franceinfo vous en parle depuis le début de ce week-end, il y a 10 ans, jour pour jour, le 23 avril 2013, le parlement français a adopté la loi sur la loi sur le mariage des personnes de même sexe. Une loi promulguée le 17 mai 2013. La France, quand il s'agit de ces sujets intimes, est souvent à la peine sur ces questions de société. Eclairage et analyse avec le sociologue Jean Viard. 

franceinfo : Est-ce que ça a été un changement majeur pour notre société, le mariage pour tous ?

Jean Viard : D'abord en France, ça a été un énorme conflit, alors qu'autour de nous, par exemple en Belgique, c'est passé assez comme une lettre à la poste. Donc ça veut bien dire que la France, quand il s'agit d'évoluer, a toujours d'immenses difficultés. Ça peut valoir pour d'autres sujets. On est dans une période où l'intime devient au centre du fait social : la vie privée, les orientations sexuelles, mais c'est vrai aussi pour le débat sur #metoo, etc. Les générations précédentes étaient beaucoup plus portées sur le plan politique, révolution, capital/travail, marxisme, etc.

On est dans une sphère de l'intime et dans une époque de l'intime, ça devient le cœur des débats publics. Je crois que c'est une libération de l'individu, ça marque que nous sommes des individus de plus en plus autonomes, n'appartenant pas à nos familles. Nous ne sommes pas d'abord une lignée. Nous sommes d'abord un acteur dans une société, qui a multiplié ses rencontres, ses amours, etc. Tout ça, c'est une société bâtie autour de l'individu, avec du coup l'intime qui monte, qui des fois, envahit même la sphère politique, au point qu'on n'arrive plus à parler vraiment de politique avec le fait que la France, effectivement, a du mal sur tous ces sujets. Regardez le débat sur la fin de vie en France, tout ce qui touche à l'intime en France, fait encore l'objet d'un énorme blocage, et je crois que c'est un vrai problème.

Après, une deuxième question, c'est qu'on confond toujours les orientations sexuelles et la perversion. Et donc effectivement, on entend des discours homosexualité, pédophilie, etc. des discours homophobes, comme si la liberté des orientations sexuelles renvoyait forcément à cette question. Ce qui renvoie à la question de l'enfant, parce qu'un des grands débats sur le mariage pour tous, c'était effectivement oui d'accord, mais après, les enfants, après, les adoptions, après les GPA, etc. Comme si effectivement, il y avait un problème particulier, ce que l'histoire ne montre pas, parce qu'il y a toujours eu des couples, notamment de femmes, mais pas seulement, qui effectivement avaient des enfants d'une manière ou d'une autre. Je crois que sur tous ces niveaux-là, plus on va vers une société de l'intime, plus la médecine rentre à l'intérieur de ces processus. C'est une transformation.

Après, je crois qu'il faut toujours dire que ce qui compte, c'est que l'aventure d'avoir un enfant, c'est une aventure absolument géniale, et que donc, au fond, c'est ça qui se bat, et qu'effectivement, la façon dont on a conçu l'enfant n'a pas un enjeu majeur. Je mets à part la question de la gestion pour autrui, la GPA, qui est un problème effectivement d'usage du corps de l'autre, ça renvoie quelque chose d'autre. Ce serait un débat déjà, je pense complètement différent. 

François Hollande a eu raison sur le mariage pour tous. C'est ce qu'a dit sur France Info, il y a deux jours, Gérald Darmanin, lui, il était opposé précisément en 2013, à la loi Taubira. Et il y avait toute cette opposition dans la rue qu'on entendait. Est-ce qu'en 10 ans, ces débats se sont apaisés, est-ce qu'une réalité commune s'est installée petit à petit ? 

Oui, moi je crois, d'une part, parce qu'on s'est rendu compte que j'allais dire : c'était pas si grave. Et d'autre part, parce que nous évoluons tous : le nombre de pratiques religieuses diminue, on est en train de sortir de tous les cadres traditionnels de nos sociétés ; en 10 ans, on a tous beaucoup changé. Il peut y avoir aussi des opportunités politiques chez certains, mais fondamentalement, je ne crois pas. Ça nous montre aussi une chose, c'est que la France est un pays qui a extrêmement du mal à se réformer. Et quand on fait une réforme, il y a souvent une bagarre énorme. Et puis après on se dit : mais après tout, ce n'était pas si grave. 

Et quand on regarde sur 10 ans, le nombre de mariages de couples de même sexe est globalement stable, autour de 7000 par an. Celui des couples hétéros, lui, est globalement en baisse constante, depuis les années 70 même ? 

Ce qu'il faut dire, c'est que les couples ont complètement changé. 63% des bébés naissent hors mariage. Le couple hétéro n'est plus le couple de nos grands-parents. Un mariage sur deux se défait en Ile de France avant cinq ans. Le mariage est devenu une fête. Ce n'est plus un engagement à vie de cogestion de l'épicerie ou de la famille. Et donc là, on a un rapport entre la natalité, le couple, etc. qui est bâti sur l'individu, qui n'est plus bâti sur le mariage. Et donc, d'une certaine façon, à partir de ce moment-là, l'enjeu du mariage a complètement changé puisque l'enjeu du mariage, c'était la procréation.

La procréation s'est échappée du mariage, si on peut dire, et donc le mariage, au fond, est devenu volonté de s'afficher dans la société, d'avoir des droits aussi, des droits d'héritage, des droits au compte commun, des tas de droits qui sont liés à ça. Et j'attire l'attention des gens qui nous écoutent et nous lisent sur une chose importante : il n'y a que le mariage qui permet la réversion de pensions. En cette période de débat sur les retraites, il faut le rappeler tous les jours.

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