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Témoignages
Guerre en Ukraine : à Odessa, le blocage du port précipite les Ukrainiens dans la précarité et le chômage

La mise à l'arrêt du port d'Odessa est l’une des nombreuses conséquences de la guerre en Ukraine. Outre la menace d'une crise alimentaire mondiale liée à l'exportation de blé, la paralysie du port de cette ville du sud du pays touche durement les habitants.  

Article rédigé par Boris Loumagne - Eric Audra
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
 Depuis le début de la guerre en Ukraine, le port d'Odessa est à l'arrêt. Ici, le 26 mars 2022. (FIORA GARENZI / HANS LUCAS)

C’est dans un parc d’Odessa, loin du port, que nous avons pu échanger avec Dmitri Barinov. Même lui qui est le chef adjoint des ports ukrainiens, ne peut pas nous faire entrer sur le site. "Le port est contrôlé par les militaires, voilà pourquoi c’est impossible d’y entrer". Un port à l’arrêt, un port barricadé, une forteresse, qui renferme un trésor : plusieurs millions de tonnes de céréales ukrainiennes, majoritairement du blé.

Depuis les premiers bombardements de la ville le 21 mars 2022, l'activité est à l'arrêt, soumise à un blocus de l'armée russe. Odessa, la grande ville du sud de l'Ukraine, près d'un million d'habitants avant la guerre, dispose du plus grand port maritime du pays, et de l'un des plus grands de la mer Noire. Sa capacité de trafic annuel atteint 40 millions de tonnes.

Dmitri Barinov dans un parc à Odessa/  (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE)

Avant la guerre, deux tiers des exportations de céréales ukrainiennes passaient par la mer Noire. Mais aujourd’hui cette mer est en partie minée. Impossible de naviguer ici dans le golfe d’Odessa. Ces mines sont de deux types, soit elles sont lestées, c’est-à-dire qu’elles flottent entre deux eaux, à quelques mètres de la surface ; soit elles sont ancrées au fond de la mer. Ces engins explosifs ont été installées par les deux parties : par les Russes pour bloquer le trafic commercial, mais aussi par les ukrainiens pour empêcher l’ennemi d’approcher.

Déminer cette zone pourrait prendre un peu de temps mais c’est faisable. Pour ce genre d’opération il faut l’accord des ukrainiens et des russes. C’est cet accord que tentent de trouver depuis plusieurs jours les pays occidentaux mais aussi l’Union africaine. Mais en attendant de trouver un terrain d’entente, à Odessa, les ukrainiens essaient d’évacuer comme ils le peuvent les céréales bloquées dans le port.

Deux semaines pour faire 500 kilomètres

À la sortie d’Odessa, des milliers de camions chargés de blé ukrainien se dirigent chaque jour vers la frontière roumaine. Alec, un routier, a mis plus de deux semaines pour livrer du blé à Constanta en Roumanie. Deux semaines pour faire 500 kilomètres. "Notre travail est beaucoup plus difficile aujourd’hui. Il y a beaucoup de camions là-bas aux frontières… Des milliers ! Et de toutes sortes !" Avant la guerre, il faisait ce trajet en deux jours. "Quand on va à la frontière, on doit attendre cinq ou six jours au bord de la route, sans douche, sans toilettes. Tout est compliqué : la douane, les pots-de-vin à la frontière…"

"Tout est compliqué : la douane, les pots-de-vin à la frontière…", dénonce Alec, un routier ukrainien (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE)

Il faudra des mois pour exporter vers l’Europe, l’Afrique du Nord ou le Proche-Orient les 20 millions de tonnes de céréales que l’Ukraine a encore en stock. 20 millions auxquelles vont s’ajouter les 30 millions de tonnes issues de la récolte à venir.

Cette situation de blocus est synonyme de catastrophe économique pour le pays. Les conséquences en sont déjà visibles ici à Odessa. Depuis la terrasse de son appartement qui domine les 32 km de littoral de la ville, Vadim Terechiuk, se désole. Il est conseiller municipal d’Odessa, en charge des affaires économiques.

>> Guerre en Ukraine : comment rouvrir la route des céréales ?

"Aujourd’hui, il n’y a pas seulement le port qui est à l’arrêt, il y a aussi les compagnies de dockers, le marché de vente en gros qui est le plus grand d’Ukraine, les entrepôts, la logistique…", dit-il, alors que le port d'Odessa s'étire au loin par la fenêtre. "C’est très difficile pour moi de voir cette situation. On a travaillé dur pour convaincre nos partenaires étrangers d’investir ici à Odessa ces dernières années. 300 millions d’euros ont été investis. Et puis, il y a aussi toutes ces familles au chômage. Je ne peux pas regarder cette situation sans éprouver de la douleur".

Vadim montre le port d'Odessa au loin. (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE)

Dans la banlieue d’Odessa, nous rencontrons chez lui Alexander. Il subit de plein fouet le blocus du port. Avant la guerre il était serveur sur un bateau de croisière. Odessa est la première ville touristique d’Ukraine. "Le contrat saisonnier a pris fin. Et maintenant la société ne pourra nous embaucher à nouveau qu’après la fin de la guerre. Là, on ne touche plus d’argent".  Ici à Odessa, un habitant sur trois a un emploi lié à l’activité du port.

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