Vrai ou faux
Est-ce vrai que deux agriculteurs se suicident par jour en moyenne en France ?

En plein mouvement de contestation des agriculteurs en France, le sénateur écologiste Yannick Jadot a affirmé sur franceinfo que "un tiers des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté" et que "deux agriculteurs se suicident par jour". C’est plutôt vrai.
Article rédigé par Lise Roos-Weil
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Les études montrent une surmortalité des agriculteurs par rapport au reste des Français, (photo d'illustration , le 12 juin 2023). (MICHAEL DESPREZ / MAXPPP)

La colère des agriculteurs ne faiblit pas. Les rassemblements, blocages et manifestations se multiplient dans la Sarthe, en Alsace, en Dordogne ou encore en Haute-Garonne. Les syndicats agricoles ont promis lundi 22 janvier de poursuivre les actions sur le terrain tant qu’il n’y aurait pas de "décisions concrètes" du gouvernement. En plein mouvement de contestation, le sénateur écologiste Yannick Jadot a affirmé sur franceinfo qu’on était "dans un modèle agricole complètement dingue, on a un tiers des agriculteurs qui vivent sous le seuil de pauvreté, on a deux suicides par jour. " Est-ce vrai ? Y-a-t-il vraiment deux suicides d’agriculteurs par jour en moyenne en France ? Et un tiers des agriculteurs vivent-ils sous le seuil de pauvreté ? Le vrai ou faux a vérifié.

529 suicides en 2016 selon la MSA

Yannick Jadot se base sur les données de la Mutualité sociale agricole (MSA). Selon son décompte, publié dans un rapport datant d’octobre 2022, 529 agriculteurs affiliés se sont donné la mort en 2016. Ce sont les derniers chiffres publiés. Cela correspond à environ 1,5 suicide par jour. En 2015, la MSA avait dénombré 604 suicides parmi ses bénéficiaires. Mais ces chiffres, pourtant impressionnants, sont jugés comme sous-estimés, notamment parce que les victimes qui n’ont pas été remboursées par la sécurité sociale agricole pour des soins ne sont pas considérées par l’étude comme affiliées à la MSA. Elles ne sont donc pas toute comptabilisées.

Un autre chiffre circule aussi souvent, celui d’un suicide tous les deux jours parmi les agriculteurs. Il provient d’une étude réalisée par Santé publique France, en collaboration avec la MSA, entre 2007 et 2011. En 2010 et 2011, les auteurs de l’étude ont comptabilisé "253 décès par suicide chez les hommes et 43 décès par suicide chez les femmes ". Soit près de 300 suicides en deux ans, c’est-à-dire environ un suicide tous les deux jours. Ces chiffres continuent de circuler mais étant plus anciens, ils sont considérés comme moins pertinents.

Statistiquement, les agriculteurs de 15 à 65 ans ont un risque de se suicider 30% supérieur aux autres catégories professionnelles

Dans tous les cas, les études montrent une surmortalité des agriculteurs par rapport au reste des Français. Dans son rapport 2024 sur les charges et les produits, la MSA précise : "En 2020, les consommants de soins du régime agricole de 15 à 64 ans ont un risque de mortalité par suicide supérieur de 30,9 % à celui des assurés tous régimes". Si l’on prend uniquement les propriétaires agricoles, en excluant les salariés agricoles, "l’excès de risque est de 77,3 %".

Plus les agriculteurs sont âgés, plus le risques est important : les agriculteurs de 65 ans et plus ont statistiquement un risque 63,5% supérieur de se suicider que dans l’ensemble de la population. Les hommes sont aussi plus touchés que les femmes. Vivre dans une zone rurale défavorisée ou souffrir d’une affection de longue durée sont aussi des facteurs de risque supplémentaire, selon les études menées par la MSA. Les éleveurs de bovins, parmi les agriculteurs les plus pauvres, sont aussi surreprésentés parmi les exploitants qui se sont suicidés.

Les faibles revenus des agriculteurs et le sentiment de dénigrement, les principales causes pour expliquer ce phénomène

Pour comprendre les causes de ce phénomène, les sénateurs Henri Cabanel et Françoise Férat ont publié un rapport d’information en 2021. Même si les causes d’un suicide restent toujours "multifactorielles", précisent les auteurs, plusieurs facteurs reviennent régulièrement dans les témoignages recueillis par le groupe de travail : "la question économique et l'endettement, le sentiment de dénigrement, l'isolement, les relations familiales complexes dans le monde agricole en raison de l'héritage et du poids de la transmission, le modèle agricole lui-même poussant parfois à une course à l'agrandissement, un sentiment de perte de la liberté d'exploiter, la surcharge de travail et le manque de reconnaissance." Mais les deux principales raisons évoquées restent : le faible revenu des agriculteurs et le sentiment de dénigrement.

26% des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté

Yannick Jadot évoque justement le chiffre d’"un tiers des agriculteurs sous le seuil de pauvreté". D’après les dernières données publiées par l’Insee, dans un rapport de 2022, 26% des agriculteurs vivaient sous le seuil de pauvreté en 2019, c’est-à-dire environ un quart. Le seuil de pauvreté correspondait à l’époque à 1102 euros, soit 60% du revenu médian français. Ce résultat cache de fortes disparités. Si l’on examine les revenus des exploitants agricoles uniquement, et non des salariés agricoles, en 2021, selon l’Insee, les producteurs de fruits et légumes ou les vignerons touchent en moyenne 2800 euros par mois. Les éleveurs bovins, eux, gagnent en moyenne à peine 1500 euros, et les éleveurs de moutons ou de chèvres, moins de 700 euros.

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