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"J'ai envie que le Chat reste provocant" : Joann Sfar et "Le Chat du Rabbin" fêtent leur vingt ans

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’auteur, illustrateur, romancier et réalisateur, Joann Sfar. Il fête les 20 ans du "Chat du Rabbin" en publiant : "Le Chat du Rabbin - recueils" tomes : 1, 2, 3, 4 aux éditions Dargaud.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'auteur, dessinateur, scénariste et réalisateur français Joann Sfar en juillet 2016. (PATRICE LAPOIRIE / MAXPPP)

Joann Sfar est auteur, illustrateur, romancier, réalisateur. Son enfant le plus connu, le plus adopté dans le monde de la bande dessinée par les Français, c'est Le Chat du Rabbin qu'il a d'ailleurs adapté au cinéma. Ce beau bébé a grandi depuis sa naissance en 2002 et à l'occasion de ce vingtième anniversaire, Joann Sfar publie, ce mercredi 8 avril 2022, Le Chat du Rabbin - recueils, tomes : 1, 2, 3, 4 aux éditions Dargaud.

franceinfo : Cela fait vingt ans que ce Chat partage votre vie ainsi que celle de nombreux lecteurs. Vous vous rappelez de ce moment, avec votre crayon, où vous avez réussi à trouver le personnage parfait du Chat ?

Joann Sfar : Oui. C'était après les attentats du 11 septembre 2001, après la naissance de mon premier enfant et après le décès de ma grand-mère d'Algérie. Pour mille raisons, j'ai eu envie de créer une histoire pour réenchanter la mémoire maghrébine et pour me battre contre cette promesse de choc des civilisations dont je n'ai pas envie.

Pour fêter ces 20 ans, il y a quatre recueils avec les 9 tomes existants. Est-ce que cela veut dire qu'il y aura une surprise au bout du chemin avec un nouveau recueil, un nouveau tome ?

Moi, à chaque fois que le Chat du Rabbin vient me parler, je fais un récit.

Joann Sfar

à franceinfo

Non. Le Chat est une série de bande dessinée finalement assez classique, qui voudrait être dans la lignée des Astérix ou des Tintin. Comme le format roman-BD s'impose un petit peu, peut-être pour faire un appel du pied à un lectorat de 'littérature générale', on a choisi de rassembler des volumes. Ça reste la même histoire, les mêmes personnages. Il n'y a pas de fin à cette série.

Ce Chat du Rabbin vous ressemble énormément. Il raconte sa vie, ses dialogues avec son maître. Ce Chat a dévoré le perroquet de la maison, ce qui justifie qu'il puisse parler, et il a tendance à dire tout ce qu'il pense. Un peu comme vous !

Non. Moi, j'ai beaucoup moins de courage que lui. Je me planque beaucoup. Je suis ni le Rabbin ni le Chat ni Zlabya, mais leur trio me plaît. C'est un peu un petit théâtre et c'est vrai que, quand il m'arrive des choses ou quand j'ai des émotions, je les mets dans le chat, mais ça devient romanesque. Ce n'est pas un aveu de ma vraie vie. Ça reste un récit imaginaire.

Ça montre aussi à quel point les hommes ont marqué votre vie. Je pense à votre père et à votre grand-père, qui avaient vraiment des points de vue totalement différents sur le sujet de la religion. Ils font partie aussi du Chat du rabbin, inévitablement.

C'est très bizarre, mais vraiment en creux et avec des masques parce qu'ils ne ressemblent ni au Rabbin ni au Chat. Et en même temps, il y a leur voix partout. Mon grand-père était un juif d'Ukraine, très provocateur, très anticlérical, et mon père était beaucoup plus rigoriste, beaucoup plus traditionnel et en même temps, très aimant. Donc, sans doute, il y a ces deux voix-là qui reviennent, mais vraiment transformées.

Votre maman a disparu très jeune, vous aviez 4 ans. Est-ce que justement, votre schéma familial vous a donné envie de parler de la famille, de l'importance de la famille, à quel point elle façonne les êtres ?

Oui, parce que je n'ai pas eu ça. J'ai une manière un peu surannée presque de diviniser la figure féminine ou la figure maternelle. Je me vois beaucoup comme le petit chat qui écoute poliment sa maîtresse qui joue du piano, et qui se demande comment aller dans ses bras sans trop l'emmerder, mais en l'emmerdant quand même un peu. Il y a peut-être des restes de machisme derrière ça, mais j'ai une fascination pour la figure maternelle dans ce qu'elle a d'imaginaire puisque je n'ai pas de souvenirs de ma mère, en réalité. Ce n'est pas que je l'ai perdue, c'est que je n'ai pas de souvenirs. J'ai une feuille blanche, donc je remplis les cases, c'est sûr.

C'était une évidence pour vous de vous mettre à dessiner, d'en faire votre métier ?

Oui et sous forme de feuilletons. Je n'aime pas le point final. Je n'aime pas les grandes œuvres. J'aime les récits populaires. J'aime les récits à suivre. J'aime les petites blagues. Si j'ai le choix entre raconter quelque chose de définitif ou faire marrer mon lecteur, je préfère le faire marrer. Oui, j'ai besoin de noircir du papier, je n'arrive pas à dormir, sinon. Je crois que j'ai des trucs à raconter. Ce n'est pas que je raconte des choses mieux que les autres, c'est que ce que je raconte, je ne l'entends pas ailleurs.

Je ne travaille pas pour moi, je travaille pour mes lecteurs. Je suis tout content quand ils viennent me voir en signature, quand on se parle. Moi, quand ça ne vend pas, je me rends malade. Je vais demander à l'éditeur combien il a perdu d'argent sur mon dos. Je me sens coupable. J'ai envie que le Chat reste provocant, qu'il soit sur la table du salon. Sur la table des familles croyantes, incroyantes, de toutes les religions, et j'ai envie que ça les fasse un peu chier. Il ne faut pas non plus de paresse intellectuelle, quand quelque chose nous embête dans notre pensée ou dans notre tradition religieuse ou républicaine, c'est intéressant d'affronter ça.

Comment vous définissez-vous ?

Je pense que le dessin est aussi une science humaine, c'est une manière de regarder le monde avant de mettre les mots.

Joann Sfar

à franceinfo

Dessinateur, ça me va très bien parce que je pense que le dessin est une écriture. C'est un domaine littéraire dans lequel la France excelle. Je dois dire que dans un pays où tout le monde se gargarise de diversité sociale ou ethnique, la bande dessinée, c'est vraiment un creuset pour ça. C'est-à-dire qu'en bande dessinée, on ne vous demandera jamais ce que vous avez fait comme études, votre race, votre religion. On vous demandera juste si votre histoire est intéressante. La question la plus cruelle que je pose à mes élèves, c'est : "Est-ce que si c'était le livre de quelqu'un d'autre, tu achèterais ton propre livre ?" Quand on a répondu à cette question, alors là, ça va, on peut le voir dans un éditeur.

Vous qui avez vécu les attentats de Charlie Hebdo, c'est important, justement, de maintenir ce dessin pour pouvoir continuer à dire des choses avec tout l'humour que ça engendre aussi ?

Le massacre de Charlie Hebdo a été une immense défaite. C'est le moment à partir duquel tout le monde a eu peur de tout et c'est le moment depuis lequel, les dessins sont vus avec un viseur. C'est-à-dire que les dessinateurs ne se sont jamais faits autant attaquer, comme s'ils avaient fait quelque chose de mal, comme s'ils l'avaient bien mérité.

Moi, j'ai eu une chance d'une certaine façon, c'est que mon travail n'est pas provocateur. J'ai toujours fait des bandes dessinées pour la jeunesse, pour la famille, pour les enfants. Mais pour autant, je souhaite que mes collègues les plus provocants puissent continuer à travailler sans se faire emmerder. Moi, j'ai eu la chance de grandir avec des génies comme Philippe Vuillemin, Reiser, Georges Wolinski, Cabu. Franchement, ça manque. Moi, je pense que si Dieu existe, il adore les bandes dessinées, il n'a pas envie d'emmerder les dessinateurs.

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