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François Boucq : "La puissance d’un dessin humoristique, c’est qu’il échappe à la doctrine"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’auteur de bande dessinée, scénariste et dessinateur, François Boucq. Il sort "Un Général, des généraux" aux éditions Le Lombard et "Le petit Pape Pie 3,14" chez Fluide glacial.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le dessinateur François Boucq à Paris (France) le 17 mars 2018 (JOEL SAGET / AFP)

François Boucq est auteur de bande dessinée, scénariste et dessinateur. Le dessin l'accompagne depuis sa jeunesse et c'est très tôt qu'il entre dans l'univers de la BD notamment avec ses Cornets d'humour dans la revue Pilote (1975). On se souvient des deux tomes de Rock Mastard (Editions Le Lombard), ou encore Les leçons du professeur Bourremou (Fluide Glacial). En 1998, il a reçu le Grand Prix de la Ville d'Angoulême pour l'ensemble de son œuvre. Aujourd'hui, il signe : Le petit Pape Pie 3,14 chez Fluide Glacial et Un Général, des généraux aux éditions Le Lombard.

franceinfo : Le petit Pape Pie 3,14 et Un Général, des généraux sont deux histoires diamétralement opposées. L'une pour rappeler, l'autre pour se détendre. Ce sont deux projets qui apparaissent après le procès des attentats de 2015 qui vous a beaucoup marqué.

François Boucq : Oui, c'est vrai, bien sûr. L'album des généraux, je l'ai fait juste avant de commencer le procès des attentats de 2015. Et il fallait absolument que je l'ai terminé pour pouvoir me libérer l'esprit et totalement me consacrer au procès. Quand il y a eu le procès, c'était assez lourd à supporter émotionnellement avec l'équipe de Charlie. Donc, j'avais besoin de m'aérer un peu l'esprit en retrouvant un humour un petit peu plus désinvolte. Je me suis donc mis à faire une petite histoire avec un Pape parce que quand j'étais petit, je voulais être Pape ! Je me suis dit : tiens, je vais prendre un petit pape et il va être affublé d'une espèce d'évêque, garde du corps. Il a les oreilles labourées par le rugby. J'ai fait cette série en petites histoires et d'un seul coup, les mecs de Fluide glacial m'ont dit : "Tu sais que tu as fait un album ? On va le sortir tout de suite !" Oui, mais moi, j'ai Un Général, des généraux qui sort aussi et ils m'ont répondu : "On va le sortir en même temps !" J'ai donc deux albums qui sortent coup sur coup.

Il y a une vraie poésie dans votre façon d'imaginer les personnages. Vous la ressentez cette poésie, elle fait partie de vous ?

Oui. Enfin, je ne sais pas si j’emploierais le terme de ‘poésie’. Le dessin semble tellement loin de la poésie. Ce qui est intéressant, c'est comment je vais dessiner les personnages ? Donc, d'un côté, j'ai de Gaulle, Massu, des types qui ont existé et ceux-là, je me demande : comment ils étaient ? Alors je regarde comment ils sont et il se dégage, bien sûr, une sensation. De Gaulle, qui est une espèce de père de la France. On se dit, mais il connaît son destin : "Fatalement, je vais revenir au pouvoir donc, ce n'est pas la peine de se presser". C'est un inspirateur.

Ce qui est intéressant, c'est cette capacité de passer d'un aspect à un autre. Et ça résume très bien qui vous êtes d'ailleurs. À quel moment le dessin rentre dans votre vie ?

L'écriture à la main vient parce que vous avez, d'abord, dessiné. Vous avez commencé à apprendre le monde des formes. Avec l’écriture, vous pouvez voir le monde comme un enchevêtrement de formes qui sont analogues à des pièces de puzzle.

François Boucq

à franceinfo

J'ai toujours dessiné. La plupart du temps, on me demande quand est-ce que vous avez commencé à dessiner ? On l'oublie, mais on a tous commencé par dessiner. Vous êtes passée des formes visuelles, celles qu'on vous donnait à voir à des formes plus conceptuelles qui sont l'écriture, les lettres, etc. La combinaison des formes entre elles, c'est un vocabulaire et une syntaxe, une grammaire, qui est formidable. Nous, les dessinateurs, par exemple, on fait exactement l'inverse de ce que la morale veut. On s'attache à l'aspect extérieur des gens et on en tire des enseignements parce que la forme dit le problème qui est soulevé à ce moment-là, c'est : "Comment je me vis intérieurement et comment ma forme s'insère dans le monde social dans lequel je suis ?"

Ça veut dire que vous avez dessiné aussi pour vous permettre d'avoir un peu plus confiance en vous ?

Bien sûr, parce que quand j'étais môme, j'étais gros. Il y avait des termes : "Espèce" de gros, par exemple, dans la cour de récréation. Alors, je me disais : "une espèce de gros, je suis une 'espèce". Et quand j'ai changé de forme, il y avait une résistance du monde extérieur parce qu'il ne pouvait plus dire : "espèce" de gros. À ce moment-là, je me suis rendu compte comment la forme était un indicateur. Avec de Gaulle, Massu, Salan, le petit Pape, simplement en les voyant, on a déjà d'emblée la sensation de ce qui se passe entre eux.

Votre travail est, en fait, une vraie réflexion sur le monde. C'est ça que vous cherchez ?

Quand vous dessinez des personnages, vous dessinez les êtres humains. Vous essayez de les comprendre, de les vivre de l'intérieur.

François Boucq

à franceinfo

Constamment. Je fais jouer des acteurs. Les diriger, fait que je suis obligé de m'investir de l'intérieur. Un acteur, lui, va jouer son personnage tandis que moi, je suis obligé de jouer tous les personnages en connexion les uns avec les autres.

Vous avez assisté au procès des attentats de 2015. Vous en êtes ressorti très affecté. Effectivement, le dessin était visé, le crayon face à un fusil. C'est finalement l'humanité, l'Histoire de l'humanité contre la barbarie. Je voudrais juste que vous me racontiez ce que représente le dessin, l'importance de maintenir ce métier-là.

Le dessin, c'est ce qui va parler directement au cerveau. Il a une puissance d'évocation énorme parce que ça fait perdre les pédales à tous les systèmes doctrinaux. C'est ça qui me plaît dans le dessin humoristique. Durant le procès, à un moment donné, la maman de Charb a dit : "Je ne vais pas trop parler de mon fils, mais je vais montrer ses dessins" et on a tendu l'écran géant et on a projeté les images de Charb. Les gars, qui étaient dans les box, se marraient des dessins de Charb et là, d'un seul coup, on se dit : "Mais c'est ça, le dessin, c'est ça, sa puissance. Sa puissance est que ça échappe même à la doctrine".  

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