Bernard Lavilliers : "Je reste un ouvrier"
Bernard Lavilliers est l’invité exceptionnel du Monde d'Élodie toute cette semaine. L'occasion de revenir sur cinq moments forts de sa vie avec cinq chansons de son répertoire. Bernard Lavilliers, auteur prolifique, compositeur et interprète depuis 1965, n'a jamais cessé de nous faire voyager en mélangeant le rock, le reggae, la salsa, la bossa-nova et la chanson française. Fensch Vallée (1976), La Samba (1975), Saint-Étienne (1975), Stand The Ghetto (1980), Kingston (1980), Idées noires (1983) ou encore On the Road Again (1988) autant de chansons devenues pour la plupart des hymnes, la parole de celles et ceux qui ne se faisaient pas et ne se font pas entendre, un arrêt sur image sur certains conflits ou périodes difficiles.
En novembre dernier, le Stéphanois à la voix et au phrasé si emblématiques, sortait un album : Métamorphose et un livre : Écrire sur place aux Éditions des Équateurs. Il sera en concert fin septembre.
franceinfo : En 2010, vous sortiez l'album Causes perdues et musiques tropicales qui vous a valu d'obtenir une Victoire de la musique. Il y a quelques semaines, vous avez été célébré par une Victoire d'honneur aux Victoires de la Musique. C'est une reconnaissance pour l'ensemble de votre carrière. Que représentent tous ces titres ? Ont-ils une saveur particulière pour vous ?
Je n'accorde pas tellement d'importance aux médailles, mais ça me fait plaisir. C'est-à-dire que j'ai tout reçu dans ma vie. Je ne sais pas combien de fois le prix de la SACEM, le prix des Éditeurs pour toute ma carrière. Après, il y a la phrase traditionnelle : "Être reconnu par ses pairs". Je n'arrive pas à comprendre exactement ce que cela signifie parce que ses "pairs" à mon âge, c'est curieux. J'aurais pu dire aux Victoires de la musique comme Henri Salvador : "Vous auriez pu me l'offrir à titre posthume", j'avais trouvé ça super. C'était dans l'esprit d'Henri Salvador, une espèce de mec qui, au fond, faisait des chansons drôles, mais préférait les chansons mélancoliques.
À travers votre album Carnets de bord (2004) ou votre livre, Écrire sur place, on comprend que vous avez toujours été contre vents et marées et avez maintenu le cap. Où avez-vous situé votre ligne d'horizon durant tout votre parcours ?
La liberté évidemment ! D'écrire, le courage de continuer, de ne pas se répéter. Moi, je suis extrêmement violent avec moi-même. Je ne veux surtout pas me répéter. Et ne jamais être satisfait de moi. Enfin, comme dirait Brassens, "la célébrité est un malentendu".
"Chercher d'autres mélodies, d'autres musiques, d'autres cultures très différentes de la nôtre, c'est pour ne pas me répéter."
Bernard Lavilliersà franceinfo
Vous vous êtes toujours battu pour les autres. Vous étiez de tous les combats. François Mitterrand vous demandait un jour ce que vous faisiez de vos journées. Vous lui avez répondu : "Je soutiens des causes perdues sur des musiques tropicales". Ne vous êtes-vous pas oublié ?
Je crois que non. Je sais qui je suis. Enfin, est-ce qu'on sait vraiment qui on est ? Je le sais parce que je n'ai jamais retourné ma veste, donc je sais que j'ai peut-être tort et que je serais plus riche si je m'étais adapté aux circonstances. J'aurais peut-être moins de cicatrices. J'ai du temps pour dresser le bilan, pour me regarder dans la glace. Je ne suis pas non plus l'abbé Pierre. Et je pense que si vous lui aviez posé la question, il savait bien pourquoi il faisait ça et qui il était. Le fait de s'oublier, et bah tant mieux parce qu'il y a des artistes qui ne parlent que de leur nombril, au bout d'un moment, c'est lassant.
Est-ce que la colère, avec le temps, s'est un peu estompée ?
Non, cela fait partie de mon moteur. La colère. Pas la haine. Attention. Alors, une certaine colère, une colère sourde, de longue distance. Je suis en colère depuis super longtemps, peut-être même depuis que je suis né. Je vous dirais : non, je ne suis pas d'accord, c'est ça.
"Je crois que je ne suis pas d'accord depuis que je suis né."
Bernard Lavilliersà franceinfo
Votre album Métamorphose est considéré comme un chef-d’œuvre symphonique. C'est vrai que vous réinventez vos tubes avec pas moins de 50 musiciens. Cet album est né après un concert ici en Radio France.
L'idée est de Radio France. Ce n'est pas du tout parce que je veux me distinguer des autres. J'aime le travail bien fait. Je reste un ouvrier. J'ai beaucoup travaillé en amont et d'ailleurs, le jour où j'ai chanté, j'avais une énorme bronchite, donc je n'avais pas de voix. J'étais désolé et c'est pour ça qu'après, je me suis vengé. J'ai pris les mêmes arrangements et j'ai ajouté quatre chansons plus une originale qui s'appelle La bandiera rossa (Le drapeau rouge) écrite pour Serge Reggiani mais que les gens adorent, qui correspond à notre époque. C'est fou parce que finalement on va peut-être se retrouver avec des dictateurs. Je ne fais pas exprès de ne pas faire comme les autres, je suis un marginal et encore, ce n'est même pas à moi de le dire, c'est aux juges.
Il y a 14 titres dans Métamorphose. Quelle chanson aimeriez-vous mettre en avant ?
La bandiera rossa, c'est vrai que je l'ai écrite pour Reggiani, mais quand je regarde la société mondiale actuellement… "Ça ressemble à du Jean Ferrat ", m'a dit un journaliste.
C'est sur la résistance italienne.
Oui, anti-Mussolini et communiste italien. Enfin les gens qui ne la connaissent pas vont justement la découvrir. Il faut acheter l'album.
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