Esclavage : au Royaume-Uni, l'Église se repend et en Suisse, un rapport s'intéresse au travail forcé

En cette journée internationale des victimes de l'esclavage, on part au Royaume-Uni, où l’Église d’Angleterre veut réparer ses erreurs. Nous irons ensuite en Suisse, où un rapport de l'OIT détaille le volume d’argent généré par l'esclavage moderne.
Article rédigé par Jérémie Lanche - Laura Kalmus
Radio France
Publié Mis à jour
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L'esclavage moderne rapporterait 236 milliards de dollars par an, selon l'OIT. Photo d'illustration. (DIGITAL VISION VECTORS / GETTY IMAGES)

En ce lundi 25 mars, journée internationale de commémoration des victimes de l'esclavage, le Club des correspondants s'arrête d'abord au Royaume-Uni où en signe de repentance, l'Église d'Angleterre a alloué 100 millions de livres pour traiter de ses liens historiques avec l'esclavage, qui remontent au XVIIIe siècle. La somme peut sembler importante, mais elle est jugée insuffisante, selon un récent rapport.

Ce fléau n'appartient pas qu'au passé, le Club des correspondants s'arrête ensuite à Genève, en Suisse, où est basée l'Organisation internationale du travail. L'OIT vient de publier un rapport sur le travail forcé et plus de 27 millions de personnes sont aujourd'hui soumises à cet esclavage moderne. C'est plus qu'il y a dix ans et cela rapporte plus aussi aux réseaux criminels.

Royaume-Uni : "Nous avons instauré un système de racisme, qui se perpétue aujourd'hui"

Dans le but de laver son péché moral, l'Église d'Angleterre a lancé, en 2023, un programme pour investir dans la recherche et soutenir les communautés qui ont été affectées par le commerce transatlantique des esclaves. Il s'agit de 100 millions de livres, soit près de 120 millions d'euros étalés sur une période de neuf ans, pour dédommager les communautés victimes de l'esclavage. Le programme vise notamment à soutenir les entrepreneurs, les éducateurs et les historiens les plus brillants.

C'est un premier pas, mais un rapport publié le 4 mars 2024 recommande d'augmenter ce fonds à 1,2 milliard d'euros, soit 10 fois plus que la somme initiale. Le rapport souligne notamment l'ampleur des dégâts et du désavantage racial découlant de l'esclavage en Afrique. "Nous ne pouvons pas changer le passé, mais nous pouvons travailler pour le présent et nous pouvons construire un héritage pour l'avenir, nous pouvons réparer les dommages qui ont été causés par notre société. Nous avons instauré un système de racisme, où les gens étaient jugés par leur couleur et étaient considérés comme inférieurs à ce système, ce qui se perpétue aujourd'hui dans les communautés touchées", explique à la BBC Rosemarie Mallette, évêque à Croydon, dans le sud de Londres, en charge du rapport.

34 000 personnes entre 1714 et 1739

Les liens entre l'esclavage et l'Église d'Angleterre remontent à 1704, lorsque la Reine Anne crée un fonds pour compléter les revenus du clergé appauvri. Mais ce fonds a également investi massivement dans la Compagnie South Sea qui détenait le monopole sur le transport d'esclaves. Entre 1714 et 1739, la compagnie aurait transporté 34 000 personnes lors d'au moins 96 voyages. Il est encore difficile de connaître l'implication complète de l'Église d'Angleterre. Le rapport demande d'ailleurs des recherches approfondies sur le sujet.

Suisse : 236 milliards de dollars par an, soit la fortune d'Elon Musk

Le travail forcé, selon l'OIT, c'est tout travail accompli contre son gré, sous la menace. Cet esclavage moderne rapporterait 236 milliards de dollars par an. C'est à peu près la fortune d'Elon Musk ou le budget militaire annuel de la Chine. C'est donc colossal et cela ne fait qu'augmenter : + 30% en dix ans. C'est assez simple à expliquer. Déjà, parce qu'il y a plus de victimes et puis chaque victime a tendance à rapporter plus qu'avant.

Parmi les secteurs les plus touchés, figure l'industrie, qui englobe les usines, le BTP et les mines. Les services viennent ensuite : la restauration et les transports. Puis arrivent l'agriculture et le travail domestique. Très souvent, il s'agit de personnel de maison, étranger, payé au lance-pierre, sans jours de congé et dont on confisque le passeport. Il en a été beaucoup question au moment de la Coupe du monde de foot au Qatar. Mais cela existe aussi en Europe, et même à Genève, où une richissime famille d'origine indienne est poursuivie actuellement pour traite d'êtres humains. L'esclavage moderne ne connaît en effet pas de limite géographique. Même si c'est en Asie Pacifique qu'on compte le plus de victimes, c'est plutôt en Asie centrale et en Europe que ce trafic rapporte le plus.

Prostitution : 73% des profits, 80% de femmes, un quart d'enfants

Ce travail forcé se fait donc sous la menace et revêt toute sorte de formes. Le passeport, qui est enlevé pour empêcher la personne de partir, les retenues sur salaire, voire pas de salaire du tout. Mais cela peut aussi être une dette contractée qui place la personne dans une situation de servitude par rapport à quelqu'un. Parfois, il faut ajouter à cela des menaces physiques. Et là, on en vient à un autre gros pourvoyeur de travail forcé : l'exploitation sexuelle.

Les travailleurs du sexe représentent moins de 30% de toutes les victimes de travail forcé. Mais ils rapportent plus de 73% des profits illégaux. Et 80% du temps, il s'agit de femmes, dans un quart des cas, il s'agit d'enfants. Il y a des instruments pour lutter contre ce phénomène. Une convention internationale a été rédigée en 1930 et un protocole additionnel en 2014. La Chine, souvent pointée du doigt, tente depuis quelques années de faire amende honorable sur ce dossier, notamment pour éviter les sanctions de l'Union européenne qui l'accuse de recours massif au travail forcé au Xinjiang. Bruxelles veut interdire tous les produits issus du travail forcé, qu'ils soient importés ou bien fabriqués en Europe. Cela ne réglera pas tout, mais c'est un premier pas.

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