Covid-19 : les vaccins, une arme diplomatique controversée aux États-Unis, en Afrique du Sud et au Kenya
Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Direction l'Afrique du Sud, le Kenya et les États-Unis, trois pays qui ont cédé des doses de vaccin à des pays ou ressortissants étrangers en suscitant la polémique.
Alors que des tensions apparaissent entre la France et le Royaume-Uni au sujet de la livraison du vaccin AstraZeneca, d'autres pays semblent faire preuve de plus de solidarité vis-à-vis de leurs voisins. Les dons ou revente de doses peuvent même servir d'arme diplomatique. Le club des correspondants nous emmène aux États-Unis, en Afrique du Sud et au Kenya.
Les États-Unis se délestent de leurs doses inutilisables
Aux États-Unis, Joe Biden a finalement décidé de céder des millions de doses à ses voisins, le Mexique et le Canada. C’est un véritable revirement de la part du président américain. Jusque là, c’était "les Américains d’abord" et ensuite on verra. Et pourtant, ce ne sont pas les doses qui manquent.
Trois vaccins sont sur le marché américain : Moderna, Pfizer et Janssen. 700 millions de doses ont été commandées, sans compter des dizaines de millions d’autres d'AstraZeneca toujours dans les cartons. Ce vaccin élaboré avec l'université d'Oxford n’a pas encore obtenu d’autorisation aux États-Unis. C’est justement une partie de ces doses d'AstraZeneca qui seront envoyées au Canada : un million et demi d’injections. Deux millions et demi d’autres iront au Mexique, troisième pays le plus meurtri par le Covid en valeur absolu. La décision n’engage donc pas beaucoup les États-Unis puisque ces doses sont pour l’heure inutilisables sur le sol américain.
Le revirement de Joe Biden n'est, malgré tout, sans doute pas dénué d’arrière-pensées politiques. Il s’agit tout simplement pour les États-Unis d’aider ses deux premiers partenaires commerciaux à se relever de la crise. L’impératif est sanitaire, économique et sans doute éthique. Il s’agit également, probablement, de rattraper le retard pris sur la Chine ou la Russie en matière de diplomatie vaccinale. Enfin, la décision du président américain est peut-être aussi liée à la première grande crise de son mandat. Une crise humanitaire à la frontière mexicaine où des milliers de migrants ont afflué. Face à cette situation, Mexico s’est engagé à aider Washington. Et les médias s’interrogent : y a-t-il eu "échange de bons procédés" ? La Maison Blanche le conteste mais on ne peut s’empêcher de remarquer que Joe Biden, inflexible jusque-là sur le partage des vaccins, a changé d’avis au moment où il avait besoin du Mexique.
L'Afrique du Sud se débarrasse aussi du vaccin AstraZeneca
L'Afrique du Sud a revendu un million de doses du vaccin AstraZeneca contre le Covid-19 à l'Union africaine. Le gouvernement sud-africain s'est détourné de ce vaccin après les conclusions négatives d'une étude locale. Elle pointait un manque d'efficacité du vaccin britannique sur les formes modérées de la maladie à cause du variant sud-africain. Depuis cette découverte, l'Afrique du Sud cherchait à écouler ses doses sans perdre d'argent, ni de temps.
Le gouvernement sud-africain était engagé dans une course contre la montre puisque les doses sont censées se périmer fin avril. Il y avait donc urgence à trouver un acheteur au risque de gâcher un lot de sept millions d'euros. Il faut savoir que les réticences de l'Afrique du Sud concernant l'efficacité du vaccin ne sont partagées, ni par l'Organisation mondiale de la santé, ni par l'Union africaine qui a racheté la cargaison au prix d'achat. 14 pays africains vont donc en bénéficier.
>> Covid-19 : cinq clés pour comprendre les campagnes de vaccination en Afrique
L'Afrique du Sud préserve ses finances mais prend-elle du retard dans sa campagne de vaccination ? Le vaccinologue Shabir Madhi, qui fait autorité dans le pays, s'est dit mortifié de voir partir ces doses d'AstraZeneca. Elles auraient pu être administrées aux personnes les plus vulnérables selon lui. Le fabricant Johnson&Johnson a pris le relais avec son vaccin Janssen mais les cargaisons sont beaucoup moins importantes. L'objectif de vacciner 40 millions de Sud-Africains d'ici la fin de l'année est impossible à tenir, affirme le vaccinologue. Il redoute une troisième vague épidémique dans les semaines à venir, alors que l'Afrique du Sud est le pays le plus endeuillé du continent africain avec plus de 50 000 morts.
Le Kenya vaccine des diplomates étrangers et suscite la colère des soignants
La diplomatie vaccinale fait également polémique au Kenya. Les autorités ont fait don de plusieurs milliers de doses de vaccins anti Covid-19 aux diplomates et aux employés des Nations-Unies vivant dans le pays. Il s’agit de doses reçues par le Kenya grâce au dispositif de solidarité Covax, lancé par l’OMS.
Ces vaccins sont offerts au personnel des ambassades, aux fonctionnaires de l'ONU qui habitent à Nairobi et à leur famille. Au total, entre 25 000 et 30 000 personnes. Plusieurs ambassades ont déjà reçu ces vaccins. Les Nations-Unies, elles, assurent ne vacciner pour l’instant que leurs personnels à risque. Cette distribution à des diplomates suscite la colère du personnel de santé. Une poignée d'entre eux seulement a reçu une première injection à ce jour, alors que le pays fait face à une troisième vague virulente. Les hôpitaux sont saturés, les soignants épuisés et sous-équipés.
COVID-19 Vaccination update.
— Ministry of Health (@MOH_Kenya) March 21, 2021
The vaccination plan remains intact and targets all persons resident in Kenya including those serving in the diplomatic corps.
Ce passe-droit passe très mal. La presse locale parle de favoritisme qui n’a pas sa place et rappelle que le dispositif Covax est destiné aux personnes vulnérables et non aux riches expatriés vivant dans les beaux quartiers de la capitale. Pourquoi ce don ? Quel intérêt pour le Kenya de donner ses vaccins ? Officiellement parce qu'il "faut protéger tous les résidents du Kenya, qu’ils soient étrangers ou locaux."
En réalité, le Kenya a toujours chouchouté ses résidents diplomates et travailleurs de l’ONU. Nairobi accueille le siège des Nations-Unies en Afrique depuis 40 ans. C’est d’abord une immense vitrine pour le Kenya sur la scène mondiale. Et c’est surtout une manne financière importante car cela attire les étrangers, rassure les investisseurs, fait venir une population riche qu’il faut garder à tout prix. C’est ainsi que ces fonctionnaires jouissent parfois de ce genre de privilège.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.