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Covid-19 : le dispositif Covax remis en cause en Suisse, au Nigeria et en Afrique du Sud

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qu'il se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui direction Berne, Lagos et Le Cap où le système de don de vaccins par l'Occident est critiqué.

Article rédigé par franceinfo - Jérémy Lanche, Liza Fabbian, Romain Chanson
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des doses de vaccin contre le Covid-19 périmées déversées dans une décharge à Abuja (Nigeria), le 22 décembre 2021. (KOLA SULAIMON / AFP)

Covax, le système international qui fournit des vaccins anti-Covid-19 aux pays pauvres, appelle à l'aide financière. Il lui faut réunir 5,2 milliards de dollars dans les trois mois à venir pour assurer les approvisionnements jusqu'à la fin de l'année. Plus d'un milliard de doses (75 millions par la France) ont été livrées dans 144 pays, soit moitié moins que l'objectif initialement fixé pour 2021. Ce n'est pas la seule critique dont le mécanisme fait l'objet à travers le monde. Nous partons en Suisse, au Nigeria et en Afrique du Sud.

En Suisse, des problèmes de commande dès le début

Pour comprendre les déconvenues de Covax, il faut se rendre en Suisse d'où il piloté. La structure a été créé très tôt, en 2020, à un moment où on pensait encore que les premiers vaccins n'arriveraient pas avant, au moins, l'été 2021. À l'époque, il s'agissait surtout de récolter de l'argent pour pouvoir acheter les doses quand elles seraient disponibles. Sauf que les vaccins sont arrivés plus vite que prévus. Les pays riches ont multiplié les commandes avec les fabricants, grillant la politesse à Covax. Le système de partage a, en plus, longtemps misé sur le seul vaccin d'Astrazeneca produit en Inde. Un choix qui s'est révélé catastrophique, puisque l'Inde a interdit pendant des mois les exportations de vaccins à cause de la flambée de cas de Covid-19 sur son sol. Covax s'est donc retrouvé le bec dans l'eau. Pendant que les pays développés passaient commande sur commande de vaccins ARN.

Ce n'est pas le seul défaut de Covax. Certains regrettent également que le dispositif soit si peu transparent, notamment sur les prix d'achat. Les pays bénéficiaires ne savent pas non plus toujours ce qu'ils reçoivent comme type de vaccins. Ce qui pose problème quand on doit les stocker. Covax est en fait né dans l'urgence, et ça se voit. Cela ne veut pas dire que le mécanisme n'est pas utile. Ses promoteurs estiment qu'il pourrait sauver plus d'1,2 million de vies en 2022.

Le Nigeria ne veut plus de doses périmées

Les pays en développement servent-ils de déchetterie pour les vaccins contre le Covid-19 dont l'Occident ne veut pas ? C'est la question qu'ont posée les autorités nigérianes au mois de décembre, contraintes de détruire plus d'un million de doses d'AstraZeneca expirées. Celles-ci avaient été livrées dans le cadre du dispositif Covax, alors qu'elles arrivaient à expiration quelques semaines plus tard.

Comment expliquer un tel gâchi quand on sait que seuls environ 10 millions de personnes sont vaccinées au Nigeria sur les 200 millions d'habitants que compte le pays le plus peuplé d'Afrique ? Au mois d'octobre 2021, le Nigeria a reçu deux millions et demi de doses d'AstraZeneca avec une date de péremption très courte, de quatre à six semaines après livraison. Malgré plusieurs campagnes de vaccination massive, notamment dans les lieux de culte, seulement 1,5 million de doses ont pu être utilisées avant expiration. Les autorités sanitaires ont donc été forcées de détruire le reste. On a vu en décembre des image de ces montagnes de boîtes de vaccins enterrées par des bulldozers.

Ces doses étaient d'autant plus difficile à écouler que la logistique était déjà un défi avant la pandémie. Le Nigeria est un pays ravagé par l'insécurité, les routes sont difficilement praticables, l'électricité manque. La population est, par ailleurs, méfiante vis-à-vis de la vaccination. Or proposer des vaccins dont l'Occident ne veut pas ou qui expirerons avant d'avoir atteint les cliniques locales n'est pas de nature à augmenter la confiance des Nigérians. Mardi 18 janvier, le Nigeria a reçu plus de trois millions de doses de vaccin Pfizer dans le cadre d'un don des États Unis, cette fois avec une date de péremption de six mois, ce qui devrait faciliter leur distribution, selon les autorités.

L'Afrique du Sud préfère des vaccins 100% africains

L'Afrique du Sud a, elle, fait un grand pas vers l'indépendance vaccinale. Une nouvelle usine de production de vaccins vient d'être lancée dans la ville du Cap. Elle pourrait être opérationnelle dès cette année pour produire des vaccins anti-Covid-19 100% africains, une première sur le continent. L'Afrique du sud a réussi à attirer les investissements d'un enfant du pays, le milliardaire Patrick Soon-Shiong. Cet entrepreneur a fait fortune aux États-Unis dans les biotechnologies. Aujourd'hui il veut transférer ses technologies sur le continent africain, à commencer par l'Afrique du Sud qui s'en réjouit.

C'est la troisième usine de production vaccinale qui voit le jour en Afrique du Sud depuis le début de la pandémie. Mais c'est la première qui va entièrement concevoir le vaccin de bout en bout. Les autres sont des usines d'assemblage. Objectif : un milliard de doses par an d'ici 2025. Le président Ramaphosa était présent au lancement du site pour savourer ce qu'il qualifie d''étape importante dans la marche en avant de l'Afrique vers la santé, le progrès et la prospérité".

Cyril Ramaphosa est le porte-voix du continent dans la dénonciation de l'inégalité vaccinale. Il dit en substance : arrêtez de nous donner des doses, on veut pouvoir les produire. Ses efforts paient et il s'en félicité mercredi 19 janvier : "Aujourd'hui, nous faisons la démonstration de notre progression vers un continent autonome et nous devrions être fiers de ce que nous avons achevé. Les chaînes du colonialisme se brisent petit à petit." 

Patrick Soon-Shiong, l'investisseur qui lance cette usine de production vaccinale en Afrique du Sud, voit beaucoup plus gros encore. Il veut produire des vaccins de deuxième génération contre le Covid-19, censés être plus efficaces contre le virus. Le chef d'entreprise veut aussi produire des vaccins contre le VIH, la tuberculose, le cancer ou la fièvre jaune. Il ambitionne de bâtir une industrie en Afrique, pour l'Afrique, avant d'exporter dans le monde. Patrick Soon-Shiong prévoit d'ouvrir des usines au Botswana, au Ghana, au Kenya, et en Ouganda. "Nous ne sommes pas jaloux", a réagi dans un trait d'humour le président sud-africain.

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