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Travailleurs mal payés, conditions déplorable, déforestation massive : en Côte d'Ivoire, la face cachée de la fabrication du chocolat

Pour tenter d'endiguer la déforestation dans le pays et mieux rémunérer les petits producteurs, la France tente de trouver un système plus durable en impliquant notamment les grandes surfaces, les ONG et les chercheurs. 

Article rédigé par Olivier Emond
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un agriculteur sous les cacaoyers, en Côte-d'Ivoire, en 2015. (LEGNAN KOULA / MAXPPP)

Pour Pâques, les oeufs en chocolats ont à nouveau envahi les jardins des Français. C'est le deuxième moment où l'on consomme le plus de chocolat après Noël. Et cela fait beaucoup, puisqu'en moyenne en France, un habitant mange 6,5 kilos de chocolat par an, un chiffre qui ne cesse de croître. Le problème, c'est que cette consommation va de pair avec des conditions de travail déplorables, des habitants mal payés et une déforestation de masse dans les pays producteurs. 

Les forêts tropicales se dégradent tellement que les experts appellent aujourd'hui à un changement rapide des conditions de production. Un pays symbolise ce lien entre production de cacao et déforestation, c'est la Côte d'Ivoire. Le pays est premier producteur mondial de cacao, avec environ 40% de la production annuelle... Et une forêt décimée à 90%.

Le cacao a "grignoté la forêt"

Il y a eu depuis des années un phénomène de vase communicant entre cette monoculture et les zones naturelles mises en place au fil des décennies, explique Frédéric Amiel. "En fait, les paysans ivoiriens sont fortement incités par le gouvernement, après la décolonisation, à se déplacer pour aller cultiver du cacao et faire rentrer de l'argent", raconte le coordinateur général de l’ONG les Amis de la Terre et auteur aux éditions de l’Atelier d’une Petite histoire de la mondialisation à l’usage des amateurs de chocolat.

"En fait ce sont vraiment ces mouvements de population successifs qui expliquent comment le cacao a grignoté la forêt."

Frédéric Amiel

à franceinfo

"C'est ça aussi qui explique ce caractère de monoculture" ajoute le spécialiste qui précise que "les personnes se déplacent ailleurs pour ouvrir une nouvelle production de cacao pendant 25 ou 30 ans. Tout un système s'est mis en place". Si aujourd'hui encore ce système perdure, c'est notamment parce que les petits producteurs de cacao en Côte d’Ivoire sont mal payés. Alors pour essayer de produire un peu plus et gagner un peu plus, "les petits producteurs de cacao vont être encouragés à défricher la forêt pour bénéficier d'un sol un peu plus fertile" dit la déléguée général de France Commerce équitable Julie Stoll. Cela s'appelle "exploiter la rente forestière".

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Dans le pays, on a donc des gens mal payés pour un produit qui entraîne une déforestation massive. Encore 20 000 hectares de forêt en moins en 2019 en Côte d’Ivoire, selon l’ONG Mighty Earth. Or la déforestation est un facteur du changement climatique, comme le Giec le rappelle d'ailleurs dans son dernier rapport. S'ajoute à cela le travail des enfants dans les plantations : 800 000 selon une étude de l’université de Chicago. Un bilan pas très reluisant pour la filière cacao.

La responsabilité des pays consommateurs

Faut-il pour autant arrêter de manger du chocolat ? Non, mais en revanche, les pays importateurs et consommateurs comme la France ont une responsabilité, et tâchent de répondre à ces défis. En 2018, une stratégie nationale contre la déforestation importée a été mise en place par le gouvernement français, désormais complétée par une initiative pour le cacao durable qui associe les acteurs, industriels, chercheurs, ONG et distributeurs. Un point essentiel pour Frédéric Amiel.

"Les grandes surfaces, qui sont les principaux points de vente, sont impliquées dans cette initiative. Et on sait bien qu'on n'ira pas vers un système plus durable si elles ne sont pas impliquées."

Frédéric Amiel

à franceinfo

D'ailleurs, "Le gouvernement aussi est signataire" , précise le coordinateur général de l’ONG les Amis de la Terre. "Est-ce que à un moment donné, s'il s'aperçoit que les engagements volontaires ne suffisent pas, le gouvernement va décider de passer à un cran supérieur dans la régulation ?" C'est aussi la question qu'il se pose. S'ajoute à cela un échelon européen puisque la commission a lancé un projet de règlement pour interdire l’importation de produits liées à la déforestation, du cacao au café en passant par l'huile de Palme.

En attendant, dans les pays producteurs de cacao, plusieurs choses sont mises en place. Côté revenus et conditions de travail, les labels équitables mettent en place des circuits dédiés depuis des années. Il y a aussi le volet agronomique, pour mettre fin à cette monoculture du cacaoyer qui dévaste la forêt. Et cela passe notamment par la promotion de l’agroforesterie, comme l'explique Martijn Ten Hoopen, chercheur et correspondant filière cacao au CIRAD, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement installé à Montpellier. "Dans un système agroforestier, on peut bien combiner des arbres fruitiers, des bananes, du cacao. Ces autres produits peuvent être pour la consommation personnelle ou commercialisés, c'est alors une deuxième source de revenus", explique-t-il.

Cela permet en outre de limiter les risques si le prix du cacao s'effondre, puisque les producteurs pourront vendre alors d'autres produits, leur assurant un revenu correct.

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