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Témoignages
"Je me sens vide de tout engagement" : le spleen des militants de La France insoumise face à l'affaire Quatennens et la gestion interne du mouvement

Le moral est au plus bas chez les Jeunes Insoumis de Montpellier, deuxième plus grand groupe d'action du mouvement en France. La gestion de l'affaire Quatennens et l'organisation interne du parti commencent à peser lourd sur l'investissement des troupes.  

Article rédigé par franceinfo - Victoria Koussa
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Sylvin, Selma et Goran (de gauche à droite), militants LFI montpelliérains.  (VICTORIA KOUSSA / FRANCE-INFO)

La France Insoumise est toujours à la recherche d'une sortie de crise. Alors que la réforme des retraites doit être présentée mardi 10 janvier, plusieurs figures de la Nupes se retrouvent en meeting dans la soirée pour s'opposer au texte. Mais, dans cette bataille, les Insoumis vont devoir faire sans une partie de leurs forces vives. Des centaines de militants ont suspendu leurs actions depuis mi-décembre et l'annonce de l'exclusion temporaire d'Adrien Quatennens.

>> Affaire Adrien Quatennens : comment les explications du député LFI, qui reconnaît avoir giflé son épouse, sont accueillies au sein de la Nupes

"Jamais, je ne me serais imaginée qu'au sein de La France Insoumise, ce soit possible qu'un député qui ait commis des violences sur sa conjointe soit juste écarté du parti pour quatre mois", déplore Selma, militante LFI depuis 2017 et membre des Jeunes Insoumis de Montpellier, l'un des plus gros groupes d'action du pays. Ces derniers temps, la jeune femme de 23 ans a décidé de lever le pied sur le collage et le tractage. Sur son téléphone, les boucles WhatsApp et Telegram sont en mode "silencieux". 

"Je me sens vide de quelque chose, je me sens vide de tout l'engagement que j'avais. Il est en train de disparaître."

Selma, militante LFI

à franceinfo

Tout explose à la mi-décembre, lorsque le groupe LFI à l'Assemblée nationale prononce une exclusion de quatre mois contre Adrien Quatennens après sa condamnation pour violences conjugales. C'est la douche froide pour les militants qui réclament de leur côté une radiation définitive. Depuis, la moitié des groupes d'action sont en grève ou dénoncent cette décision, notamment dans un communiqué et dans une tribune d'un millier de signatures publiée après Noël. 

Parmi les signataires, Goran est particulièrement déçu du chef Jean-Luc Mélenchon. " Cet homme, c'était mon président de la République", se souvient le jeune homme de 18 ans, lui aussi membre des Jeunes Insoumis. "J'ai pleuré pendant deux jours quand il est arrivé troisième. Là, oui, il y a ces étoiles qui sont parties, il y a cette admiration pour cet homme qui est partie, parce qu'il a choisi les mauvais mots...", regrette-t-il.

Goran et Selma s'accrochent maintenant à de nouvelles figures comme Alexis Corbière ou Raquel Garrido, deux camarades historiques du leader insoumis qui – et c'est une première  – prennent et affichent leurs distances.

Une demande d'ouverture "sur la base militante"

L'affaire Quatennens n'est que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Avec 22% à la présidentielle et quatre fois plus de députés élus, le mouvement a changé de dimension, mais pas de fonctionnement d'après le jeune homme, pour qui "La France insoumise ne peut plus fonctionner comme elle a fonctionné depuis 2016. Il y a une envie d'avoir une structure. On n'a pas de locaux, rien que ça, avoir un local, voter !". Goran attend une évolution dans l'organisation : "À quoi ressemblerait la sixième République que l'on met tant en avant alors que nous-mêmes, on ne vote pas ? Dans un mouvement de 500 000 personnes, ce n'est pas possible de fonctionner par consensus ".

"Nos cadres, notre direction, c'est un clan fermé et ils décident de tout."

Goran, militant LFI

à franceinfo

Le militant réclame "une ouverture sur la base militante, parce que sans nous les militants, le mouvement n'est rien". Chez La France insoumise, il n'y a pas d'adhérents et donc pas de vote des militants. Certains cadres insoumis appellent à changer les règles, la question va d'ailleurs se retrouver lundi 9 janvier au cœur des discussions entre les députés du mouvement à l'occasion d'un séminaire organisé à l'Assemblée nationale. La nouvelle direction du parti prévoit de son côté de financer les actions locales et d'installer des quartiers généraux dans chaque département. 

Une "hémorragie" de militants vers les autres partis de gauche

Le spleen des militants LFI tombe mal, juste avant la bataille des retraites. Habituellement, les Jeunes Insoumis sont ceux qui se mobilisent le plus. Mais cette fois " si je dois militer pour les retraites, comme beaucoup de mes camarades, on le fera en notre nom ou avec d'autres camarades de la Nupes et non plus au nom de la FI", met en garde Selma. Cette prise de distance a déjà débuté, d'après la jeune femme : " Au-delà de la grève, il y a aussi une hémorragie de militants qui vont dans d'autres partis de gauche comme le PS, EELV ou Génération.s, c'est très dangereux pour eux, je ne sais pas s'ils ont encore saisi la gravité de ce qui est en train de se passer pour le parti".

Parmi ceux qui ont claqué la porte, on citera des féministes rassemblées dans le collectif "Relève féministe", créé au début de l'affaire Quatennens. C'est le cas de Mathilde, pour qui Jean-Luc Mélenchon a perdu la confiance de son électorat féminin. "Il y avait une réelle écoute des femmes, ça aurait pu se faire de manière très fluide", estime la militante, partie de l'organe du parlement de l'union populaire, l'organe de campagne, après dix ans de soutien à Jean-Luc Mélenchon. 

"C'est la crise parce qu'à l'intérieur, il y a un petit groupe de masculinistes qui fait de la résistance, à commencer par 'Papi'."

Mathilde, militante "Relève féministe"

à franceinfo

Face au traitement de l'affaire Quatennens, Mathilde se sent "trahie en tant que féministe, mais aussi face au programme que l'on a porté. Comment peut-on se retrouver sur les bancs de l'Assemblée à exiger un milliard contre les violences faites aux femmes si on ne sait déjà pas gérer une affaire de cette ampleur, non pas législativement ni même juridiquement, mais politiquement ?

Peu de personnes ont l'air de s'inquiéter de ce détachement des militants du côté de la direction de LFI, en tout cas pas au point de répondre à nos sollicitations.

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