"Soit tu rentres chez toi changer de coupe, soit tu ne viens pas travailler" : victime de discriminations en raison de ses cheveux frisés, Kenza témoigne

Alors que l'Assemblée nationale examine, à partir de mercredi, une proposition de loi visant à sanctionner les discriminations capillaires au travail, une jeune femme témoigne de plusieurs expériences dans le milieu professionnel.
Article rédigé par Farida Nouar
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le texte prévoit d’ajouter à la liste des discriminations passibles de sanctions pénales celles relatives à "la coupe, la couleur, la longueur ou la texture des cheveux". Photo d'illustration. (LAURENCE MOUTON / MAXPPP)

"Locks, torsades, tresses, afro, roux, blond..." L’Assemblée Nationale examine, à partir de mercredi 27 mars, la proposition de loi visant à reconnaître et à sanctionner les discriminations capillaires au travail, portée par un député du groupe indépendant Liot. Le texte prévoit d’ajouter à la liste des discriminations passibles de sanctions pénales celles relatives à "la coupe, la couleur, la longueur ou la texture des cheveux" en s’inspirant notamment des ÉtatsUnis. En France aussi, il existe de nombreux témoignages de personnes qui en sont victimes.

Comme celui de Kenza Bel Kenadil, 26 ans, créatrice de contenu suivie par 257 000 personnes sur Instagram. La jeune femme a vécu deux expériences professionnelles traumatisantes, selon elle, en matière de discrimination capillaire : "J'avais fait une demi-queue : les cheveux attachés sur le dessus, détachés en dessous. À savoir que j'ai les cheveux frisés et je les avais laissés au naturel en dessous. J'étais alors hôtesse d'accueil dans un hôtel à Nîmes. Quand je suis allée travailler avec cette coupe, c'est parce que j'avais vu une autre personne aux cheveux raides faire cette coupe quelques jours plus tôt. Je me suis dit 'C'est trop beau, je vais faire pareil'... Je n'avais même pas passé le pallier de l'hôtel que le directeur est venu me voir et il m'a dit 'Tu as deux options : soit tu rentres chez toi changer de coupe, soit tu ne viens pas travailler.'"

"Je suis rentrée chez moi et je suis revenue avec un chignon bien tiré."

Kenza Bel Kenadil

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"Là, je me suis rendu compte qu'il y avait une différence de traitement énorme entre mon cheveu frisé et le cheveu raide, dans ce milieu-là en tout cas", raconte la femme.

À 19 ans, elle revit la même situation : "Cette fois-ci c'était un coaching d'entretien d'embauche. J'étais venue avec les cheveux détachés naturellement frisés, jusqu'à ce qu'on vienne me voir pour me dire 'Kenza, le jour de l'entretien d'embauche, il faudra que tu t'attaches les cheveux parce que ça fait sale, ce n'est pas pro et c'est sauvage' J'ai beaucoup pleuré et je ne suis jamais allée à l'entretien d'embauche avec mes cheveux détachés naturels, parce que j'avais peur qu'on me vire, qu'on ne me prenne pas et surtout qu'on passe à côté de mes compétences...", regrette-t-elle.

"J'ai eu du mal à me sentir femme"

Sur ses réseaux, elle publie alors une vidéo : "A ma grande surprise, ma vidéo a fait des millions de vues. Il y a au moins mille commentaires, c'est très impressionnant. Il y en a une à qui on avait dit 'Tes cheveux sont aussi sales que ta peau'".

"On ne parle pas que des cheveux frisés, bouclés et crépus. On parle aussi des blonds, des roux, des personnes qui ont de la calvitie."

Kenza Bel Kenadil

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Accepter ses cheveux a été un long processus : "J’ai grandi avec mon premier défrisant à l'âge de 7 ans. Quand je lissais mes cheveux par rapport à quand ils étaient au naturel, c'était une ribambelle de compliments. 'Ça te va mieux, tu fais beaucoup plus femme.' Ce terme-là, il me reste encore ancré. Au moment où j'ai voulu assumer mon cheveu, j'ai eu du mal à me sentir femme." Mais aujourd’hui Kenza arbore fièrement sa chevelure bouclée : "Mes cheveux, c'est ma couronne. Quand je sors dans la rue, j'ai une telle fierté, je me sens belle, je me sens bien ! Mon cheveu, c'est du militantisme. C'est mon héritage. Je suis unique avec mes cheveux, je ne les changerais pour rien au monde."

La Défenseure des Droits précise qu’en 2023, seules 2% des réclamations reçues en matière de discriminations portaient sur l’apparence physique. L’une d’elles concerne les parents d’un petit garçon de 4 ans qui ont saisi l’instance car la cheffe d’établissement où il était scolarisé lui imposait de modifier sa coupe de type "afro", en déclarant notamment qu’elle faisait "sale et négligée" et lui donnait une apparence de "bad boy". La cheffe d’établissement justifiait sa décision d’une part, par un souci de sécurité pour l’enfant vis-à-vis de ses camarades - car une fois lors d’une récréation, les enfants lui avaient tiré les pointes des cheveux - et, d’autre part, par respect du règlement intérieur de l’école qui interdisait les "coiffures fantaisistes".

Reste qu'il est difficile de quantifier le phénomène : beaucoup de personnes qui en sont victimes, dans le milieu professionnel ou autre, subissent sans rien dire, mais aussi parce qu’il est interdit en France de faire des études ethniques. Alors pour appuyer son projet de loi, le député Liot Olivier Serva se base sur des études anglo-saxonnes qui viennent des Etats-Unis et de Grande-Bretagne, notamment de l’entreprise Dove filiale Unilever. "Deux femmes noires sur trois disent qu'elles doivent changer leur coupe de cheveux lorsqu'elles postulent à un entretien d'embauche. Une femme blonde sur trois dit qu'elle doit changer sa couleur de cheveux quand il s'agit de progresser dans l'entreprise", dénonce le député.

Cancer de l'utérus et dysfonctionnement des reins

Pour Olivier Serva, c’est aussi une problématique sanitaire qui est en jeu. Des néphrologues de l’hôpital de la Conception de Marseille ont mis à jour les risques d’insuffisance rénale après l’utilisation de produits lissants dans une étude publiée en mars 2024. "Les femmes qui utilisent des produits lissants ont trois fois plus de chances d'avoir un cancer de l'utérus ou des fibromes. Les produits lissants induisent des problématiques liées au dysfonctionnement des reins. Je pense à toutes celles et tous ceux qui sont en entreprise aujourd'hui, qui ont dû lisser leurs cheveux pour se faire recruter et qui après un an, deux ans, quinze ans, vingt ans, trente ans dans l'entreprise veulent revenir à leurs cheveux naturels et qu'on leur dit 'Ah bah tiens, aujourd'hui c'est Bob Marley, c'est le paillasson au-dessus de la tête'. Ces personnes-là pourront dire 'Attention, monsieur l'employeur, c'est une discrimination capillaire.'"

Une loi qui a tout son sens, donc, pour l’élu, mais qui est contestée : il existe déjà dans le Code du travail une loi contre les discriminations physiques, analyse Laura Ballester, avocate en droit du travail. "Le juge sait que le physique inclut les cheveux. Ce n'est pas un nouveau critère de discrimination qui est apporté, c'est une précision. Maintenant, où est-ce qu'on arrête la précision ? Est-ce que si on parle de cheveux, on doit ensuite parler d'autres parties du corps ? Ça pose aussi la question de cette tendance à faire beaucoup de lois et souvent modifier une loi qui est déjà difficile à appréhender pour les particuliers", souligne la spécialiste. Si la loi est votée, la France pourrait devenir le premier pays à légiférer contre les discriminations capillaires.

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