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"Si demain je meurs là-dedans, c'est que c'était écrit" : à la rencontre des jeunes qui s'affrontent entre bandes rivales

Deux adolescents sont morts lors d'affrontements entre groupes rivaux dans l'Essonne, en début de semaine dernière. Le phénomène est en recrudescence dans le département. franceinfo a tendu son micro aux premiers concernés.

* Cet article, initialement publié en mars 2021, a reçu le 14 décembre 2021 le prix "radio" de la Fondation Varenne. 

Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le quartier des Pyramides, à Evry (Essonne). (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

Deux adolescents sont décédés en Essonne, lors d'affrontements à Saint-Chéron et à Boussy-Saint-Antoine en début de semaine dernière. Face à ce phénomène de rixes entre bandes rivales, les ministres de l'Intérieur, de la Justice et de l'Éducation s'entretiennent lundi 1er mars avec préfets, procureurs et recteurs d'Île-de-France.

"C'est mes potes, mes frères, leur mère, c'est ma mère"

Faire partie d'une bande, c'est d'abord appartenir à un bout de territoire, explique C., un adolescent d'Evry dans l'Essonne. "Dans une bande, il n'y a pas de chef. On a commencé à traîner ensemble depuis qu'on est tout petits. Il y a eu le foot, après on est rentrés au collège, ça se fait tout seul, explique ce garçon de 17 ans, de gros bras, des joues de bébé et les yeux rieurs. C., qui tient son surnom de l'expression "coucher quelqu'un à terre", fait partie de la bande "secteur B" du quartier des Pyramides. Il traîne particulièrement avec les "04", ceux qui sont nés en 2004. Les autres membres de la bande, "c'est mes potes, mes frères. Leur mère, c'est ma mère. S'il leur arrive un truc, je suis obligé de faire un truc pour eux"", ajoute C., dont le père est absent.

C., 17 ans, habitant d'Évry, dans l'Essonne. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

Ce "truc", ça peut être un échange de regards, une histoire de filles, un message moqueur qui tourne en boucle sur Snapchat ou Instagram. Les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans ce contexte de rivalité. Avant la bagarre, pour se "chauffer" et prendre rendez-vous, pendant, pour se filmer en pleine action et après, pour asseoir une réputation.

"C'est aussi par rapport au manque de respect, ajoute C. Sur les réseaux sociaux, s'il y en a un qui nous a mal parlé, qui fait le chaud, on va aller le refroidir. Les embrouilles de réseaux, ça commence avec des provocations. L'autre, il va lancer une pique, nous on va le 'steaker', on va le 'fumer', on va 'fumer' son équipe dans son quartier."

On va le courser. On va le filmer et on va poster ça pour montrer qu'on est les plus forts. C'est comme ça qu'on devient des ennemis et qu'on se fait la guerre.

C.

franceinfo

"Après, nous, on ne poste pas, tient à préciser C. Pyramide, tu ne vas jamais nous voir poster, parce qu'on n'est pas des 'prouveurs'. Les gens pensent qu'on est très méchants. Mais c'est du bouche-à-oreille."

La dalle de Beaugrenelle, dans le 15e arrondissement de Paris, où le jeune Yuriy s'est fait tabasser par une dizaine d'adolescents.  (ARNAUD JOURNOIS / MAXPPP)

Cette violence n'est pas près de s'arrêter, d'après les jeunes rencontrés dans le 15e arrondissement de Paris, sur la dalle de Beaugrenelle. C'est là que le jeune Yuriy a été tabassé, en répression d'une autre agression violente d'un adolescent de Vanves. D'après un garçon qui se présente comme l'un de ses amis, "plein de petits se font 'matrixer' par la rue." Cette référence au film Matrix signifie que de nombreux adolescents, y compris "des fils de bourges qui ont bien grandi", sont pris dans l'engrenage de la rivalité entre bandes.

"Tout le monde veut se prendre pour un gangster, montrer qu'il a la plus grosse paire. L'échelle de la violence va monter", d'après lui. "Aujourd'hui, tu me mets un coup de bâton, demain je te mets un coup de couteau. Demain tu me mets un coup de couteau, après-demain je vais te tirer dessus.", résume-t-il.

"Soit on joue au foot, soit on va se battre"

La perspective de mourir n'arrête pas C. "Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, si demain je prends un coup de couteau ?", dit-il en riant, en montrant l'un de ses doigts entaillés. "Si demain je meurs là-dedans, c'était écrit. Les anciens, c'était la même chose", assure C. "Après, ici, nous on est délaissés. Il n’y a rien, pas d'activité. Soit on joue au foot, soit on va se battre", explique le jeune homme, qui a quitté le système scolaire. "Ça ne va pas s'arrêter, c'est la nature humaine", professe-t-il.

Le quartier des Pyramides à Évry (Essonne). (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

"Tu peux t'en sortir quand même !", lui répond Mama Sy, éducatrice spécialisée en Seine-Saint-Denis et ancienne élue de l’Essonne. "Il manque du cadre, juge-t-elle. La responsabilité est collective dans cette histoire, tout le monde a échoué. Les pouvoirs publics, les familles. Moi j'ai 34 ans, j'ai toujours connu les rivalités entre quartiers." D'après elle, il n'y a pas assez d’adultes, de parents, d'éducateurs pour ces enfants ultra-connectés, mais finalement seuls derrière leurs écrans.

"On évite énormément d’affrontements"

Ces réseaux sociaux sont scrutés à la loupe par les cinq enquêteurs de la cellule spéciale de suivi du plan bandes de 2010. Ils recherchent les signes avant-coureurs d’une tension. Combien d’affrontements ont-ils pu être évités en 2020 ? Difficile à dire, pour le commissaire de police et chef de la sûreté territoriale de Paris, Julien Herbault. "C'est par essence impossible de mesurer le nombre d'affrontements qui ont été évités. On en évite énormément, on le sait, explique-t-il. On arrive à désamorcer des tensions, à partir des signaux faibles partagés entre ces différents partenaires qui sont mobilisés sur la lutte contre ces phénomènes de bandes. Mais c'est difficile de mesurer des événements qui ne se produisent pas." En 2020, 357 affrontements entre groupes rivaux ont été recensés sur tout le territoire français. Une hausse de 23% par rapport à 2019.

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