Reportage
"Tous les jours, il y a des petites avancées vers une dérive illibérale" : en Italie, la révolution conservatrice de Giorgia Meloni a-t-elle lieu ?

Lors de son élection, la Première ministre italienne avait promis une révolution conservatrice. Un an et demi plus tard, le conservatisme se décline sur plusieurs sujets de société, mais les grandes réformes se font attendre à la veille des élections européennes.
Article rédigé par Bruno Duvic
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, le 8 mai 2024 à Rome. (FILIPPO MONTEFORTE / AFP)

Giorgia Meloni, la Première ministre italienne reste populaire. Elle est candidate symboliquement aux européennes, sa liste a six à sept points d’avance sur celle du parti social-démocrate. En un an et demi de gouvernement, la révolution conservatrice promise au moment de l’élection a-t-elle eu lieu ? Quelques éléments de réponse se trouvent dans un bastion du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia, à Pescara, sur la côte est de l’Italie.

Une centaine de personnes sont sous la tente d’un restaurant de plage. Le patron des lieux, responsable de Fratelli d’Italia dans la province, chauffe la salle en attendant le candidat local aux européennes. "Je n'ai pas honte de dire que je suis antieuropéen, j'en suis même fier !" Le candidat lui-même, Nicola D’Ambrosio, 33 ans, a un discours plus modéré, pour une Europe des patries. Quand on lui demande de définir Giorgia Meloni, il répond par un mot qui revient chez les militants. "La cohérence." 

"Giorgia Meloni est une personne du peuple, qui n'a jamais trahi la parole donnée aux citoyens. Et la stabilité du gouvernement valide le parcours de leader de Giorgia Meloni."

Nicola D'Ambrosio, candidat local de Fratelli d’Italia

à franceinfo


"Cette stabilité nous laisse le temps de mettre notre projet en place", se réjouit Carola. Cette quinquagénaire est candidate aux municipales, qui se dérouleront le même jour que les européennes. Le projet au plan des valeurs, c’est le conservatisme. "Le conservatisme me permet de faire de la politique tout en restant fidèle à mes convictions religieuses, avance Carola. La défense de la vie, la famille naturelle, l'union entre un homme et une femme, et appliquer pleinement la loi sur l'avortement. Nous voulons aider les mamans à faire un choix différent."

Un conservatisme qui se décline

Allusion à un amendement récent : les associations pro-vie ont désormais accès aux centres de consultation avant une IVG pour essayer de dissuader les femmes d’avorter. Le conservatisme se décline sur beaucoup de sujets de société.

Illustration à Rome. C’est dans le centre, chez un glacier célèbre de la ville que nous retrouvons Eric Jozsef, jusque-là correspondant de Libération en Italie. Il se lance en politique sur une liste de centre gauche très critique vis-à-vis de Giorgia Meloni. "Pour chaque phénomène social, elle décrète des peines de prison totalement disproportionnées, estime l'ancien journaliste. Jusqu'à six ans de prison si vous organisez une rave party. Giorgia Meloni est totalement allergique aux contre-pouvoirs. Elle a pris le pouvoir à la télévision, à l'audiovisuel public, elle cherche à minimiser le pouvoir de la justice, il y a les menaces par rapport aux intellectuels... Tous les jours, il y a des petites avancées vers une dérive illibérale."

La Première ministre avance ses pions, mais les grandes réformes se font attendre. Si la politique migratoire s’est nettement durcie, les arrivées sont en forte baisse, au plan économique, le conservatisme confine à l’immobilisme. Rien ou peu contre la dette et pour le financement du système de santé, pourtant deux défis majeurs.

Une réforme constitutionnelle en préparation

À Rome, la rédaction de l’hebdomadaire L’Espresso est dans le même immeuble que le siège de Forza Italia, le parti de feu Berlusconi. C’est de lui que part Susanna Turco, l’une des plumes du journal, pour parler de Giorgia Meloni dont elle a écrit une biographie. "Au fil du temps, elle est de plus en plus devenue une héritière de Silvio Berlusconi. Il n'a pas fait de réforme, il n'a rien laissé. Et pourtant, son écho médiatique, sa place dans l'imaginaire, sont très forts. Giorgia Meloni est sur le même chemin."

"Même dans sa personnalité, il y a une tendance à l'immobilisme, qui finira par se voir."

Susanna Turco, journaliste

à franceinfo

Et pourtant, une réforme importante est dans les cartons dans le domaine constitutionnel. Très importante même, si l’on en croit Francesco Clementi, professeur de droit public à l'université Sapienza. "Même si ce n'est pas présenté aussi clairement, c'est un passage à une nouvelle république, comme en France entre IVe et Ve République." Il s’agit de l’élection du Premier ministre au suffrage universel le même jour que les législatives, avec une prime qui garantirait la majorité aux listes du candidat Premier ministre arrivé en tête. 

"En fait, le gouvernement se résumerait à une personne, ajoute le professeur de droit, et la majorité parlementaire, le pouvoir législatif, passerait sous la coupe, pas même du pouvoir exécutif, mais d'une seule personne. Nulle part au monde, pas même aux États-Unis, la majorité au Parlement dépend d'un nom et d'un prénom. Cela poste la question du caractère démocratique de ce projet." Si elle aboutit, cette réforme passera certainement par un référendum très risqué. Giorgia Meloni serait alors confrontée à ce peuple dont elle se réclame en permanence.

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